Le centre hospitalier de Cayenne propose une offre de santé unique et incontournable pour la Guyane. Il assure environ 60 % des séjours hospitaliers effectués en Guyane, non seulement sur son site de Cayenne, mais également au sein des 17 centres délocalisés de prévention et de soin qui couvrent les territoires de l'intérieur et les communes isolées. Un bon nombre de ces centres ne sont accessibles qu'en pirogue, en hélicoptère ou en avion.
Environ 84 % des populations prises en charge par le CH sont en situation de précarité extrême. En Guyane, le taux standardisé d'hospitalisation pour AVC est le deuxième de France, le taux de VIH est historiquement l'un des plus élevés de France et le risque de maladies infectieuses est très présent. Les indicateurs de santé publique sont dégradés, notamment le taux mortalité périnatale et le taux de naissances prématurées, qui sont les plus élevés de France, ou le nombre d'accouchements pour des femmes de moins de 15 ans, qui est supérieur à celui de la métropole. Le taux de natalité est extrêmement dynamique, puisque plus de 4 000 accouchements ont lieu chaque année à l'hôpital de Cayenne et 3 000 à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, ces chiffres augmentant d'environ 3 % par an.
Permettez-moi d'insister sur le caractère particulier que revêt cette crise en Guyane. Nos personnels sont fatigués, pour la simple raison que cette crise est très longue chez nous. Elle a démarré avec la décision de confinement prise au niveau national. Nous n'avions alors que des cas importés, fort heureusement peu nombreux, mais dès cette période, le personnel a été mis en tension. Nous avons travaillé sur l'ensemble des scénarios de gestion de crise et nous avons mis en place des formations ; 800 personnels ont ainsi été formés ou reformés, notamment sur les techniques d'habillage et de déshabillage.
Les personnels ont très vite pris la mesure de la responsabilité qui allait nous échoir, le CH de Cayenne étant l'établissement de première ligne disposant des seuls lits de réanimation sur le territoire et d'une unité dédiée aux maladies infectieuses et tropicales. Et, en même temps, un peu comme dans Le Désert des Tartares, nous n'en finissions plus de redouter ce mal qui ne venait pas. Puis la vague haute est arrivée par le Brésil.
L'hôpital de Cayenne a mis en place un plan lui permettant de tripler en quelques semaines ses capacités d'hospitalisation. En un mois, nous sommes passés de 50 à 159 lits covid. Nous avons aujourd'hui 31 lits de réanimation, sachant que 5 lits supplémentaires peuvent être ouverts à tout moment si nécessaire. Ce matin, 19 personnes étaient en réanimation. Nous avons actuellement 75 lits de médecine covid, 12 lits de soins de suite et de réadaptation covid, 21 lits de maternité, 4 lits de pédiatrie et 2 lits de réanimation néonatale.
Cette montée en charge n'aurait pu se faire sans la très forte mobilisation des professionnels du CH ni l'arrivée de renforts très importants, ces derniers étant issus de la « réserve » guyanaise - infirmières libérales, professionnels retraités, etc. -, d'autres établissements et du CH lui-même qui, à la suite d'un appel lancé sur les réseaux professionnels, a recruté 70 professionnels toutes catégories confondues. Grâce à ces apports, nous avons pu ouvrir assez rapidement ces nouvelles places, tout en maintenant une capacité d'accueil pour les hospitalisations non covid.
Nous avons procédé à des déprogrammations d'activités lors de la phase de confinement, puis, dans un deuxième temps, nous avons de nouveau déprogrammé de manière importante, notamment les interventions chirurgicales non urgentes.
La solidarité de l'ensemble des établissements de Guyane a été exemplaire et nous a permis de débloquer des capacités d'aval, notamment grâce aux partenariats qui se sont mis en place avec la clinique privée qui se trouve en face de l'hôpital ou avec les établissements médico-sociaux.
J'en viens à la question sensible du matériel et des équipements de protection individuelle (EPI). S'agissant des respirateurs, l'hôpital de Cayenne était dans une situation relativement unique en France, puisque, en plus des 11 lits de réanimation que compte notre service, nous disposions déjà d'un stock de plus de 23 anciens respirateurs qu'en raison de notre éloignement nous avons gardés et entretenus après leur remplacement. Par ailleurs, nous avons rapidement commandé de nouveaux respirateurs. Au niveau régional, le parc de respirateurs est donc largement suffisant pour couvrir la demande.
S'agissant des EPI, bien que la gestion ait été très tendue, je tiens à préciser que nous n'avons jamais été en rupture. La situation a été paradoxalement plus dure durant la première phase, quand il n'y avait pas de circulation active du virus sur notre territoire, mais que des professionnels demandaient à être équipés comme si nous étions déjà au stade 3. Or le virus flambait alors en métropole, entraînant une tension importante sur ces équipements sensibles. Cela a engendré des problèmes de communication avec les services et les agents, problèmes qui se sont réglés devant le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Du fait de son éloignement, l'hôpital de Cayenne a toujours mené une politique de stocks particulière : nous disposons en général de stocks suffisants pour trois à six mois. Or dès que nous sommes passés au stade 2, les consommations étaient telles qu'un stock de six mois était consommé en un mois. C'est à ce moment que, avec l'aide de l'État et des services de l'ARS, nous avons commencé à recevoir régulièrement l'ensemble des équipements.
Je ne dis pas que la situation a toujours été merveilleuse ; nous avons connu des étiages assez bas, et il nous a fallu parfois accélérer le dédouanement et les procédures de fret pour être livrés plus rapidement. Nous avons notamment connu un épisode compliqué à gérer sur les surblouses, que nous avons résolu de manière pragmatique, en commandant dans des ateliers de couture locaux des surblouses en tissu, qui nous ont permis de passer le cap. Nous avons encore des tensions sur certaines tailles de gants - nous proposons alors aux professionnels de porter des gants plus grands. Nous avons réussi à gérer tous ces épisodes de tension, qui, s'ils créent du stress, ne nous ont jamais conduits à une situation de rupture.
La crise à Cayenne a été d'autant plus délicate qu'elle se conjugue avec une épidémie très virulente de dengue, ce qui mobilise directement notre service de maladies infectieuses et tropicales.
Le contexte est donc compliqué et délicat, et le personnel un peu fatigué par cette crise, qui est sans doute plus longue qu'en métropole. Aujourd'hui, nous avons le sentiment d'arriver à un plateau, mais nous restons très vigilants et prudents.