Intervention de Tom Jefferson

Commission d'enquête sur la grippe A — Réunion du 19 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Tom Jefferson épidémiologiste membre du réseau cochrane acute respiratory infections group

Tom Jefferson :

a indiqué qu'il présenterait brièvement à la commission, en procédant à l'aide d'une vidéoprojection, un certain nombre de « points-clés » qui lui semblent essentiels pour éclairer le débat sur la grippe A (H1N1)v.

Le premier de ces points est la définition de la grippe.

La grippe au sens strict du terme (en anglais « influenza ») et les maladies de type grippal (en anglais « influenza like illnesses » ou ILI) ne sont pas la même chose, bien que l'une et les autres soient souvent confondues dans les documents publics, par les médias ou de soi-disant experts.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a donné une définition des maladies de type grippal correspondant à des symptômes que nous avons tous connus, car nous avons tous eu ce qu'on appelle communément « la grippe » (en anglais « flu »).

Ces symptômes, ce sont la fièvre, des maux de tête, des douleurs, des problèmes respiratoires...

Mais le problème, c'est que seule une petite minorité (7 à 15 %) des pathologies se manifestant par ces symptômes sont véritablement des grippes, provoquées par un virus grippal A ou B, qui sont les principaux virus grippaux pathogènes pour l'homme.

Les autres peuvent être dues à bien d'autres virus, à des bactéries, voire au stress ou à la pollution.

Sur la base d'observations cliniques et d'études spécifiques, les travaux du groupe Cochrane ont établi que sur une population de cent personnes, on constatera par an, en moyenne, sept cas de maladies de type grippal, dont un seul sera causé par un virus grippal.

Cette proportion d'un septième est à rapprocher des résultats d'une étude d'octobre 2009 publiée dans la revue The Lancet, qui indique que l'on a détecté la présence du virus A (H1N1)v chez 11 % des personnes qui avaient présenté une maladie de type grippal.

La grippe est donc une maladie relativement rare parmi l'ensemble des affections de type grippal que l'on recense à travers les symptômes que déclarent les patients chez leur médecin, les informations recueillies par des systèmes de veille sanitaire. Les outils Internet, comme le logiciel Flu Tracker de Google, qui sont censés permettre de suivre l'évolution des vagues de grippe, montrent en fait l'évolution de l'ensemble des maladies de type grippal.

La définition de la grippe n'est donc pas du tout spécifique.

Si l'on voulait savoir si les personnes qui présentent ces symptômes ont vraiment la grippe, il faudrait procéder à des tests pour savoir si elles sont infectées par un virus grippal.

Cette confusion entre grippe et maladies de type grippal conduit à exagérer l'incidence de la grippe saisonnière.

Cette incertitude sur l'ampleur de la grippe saisonnière explique peut-être celle qui affecte la définition de la grippe pandémique, qu'a modifiée l'OMS : en somme, a souligné M. Tom Jefferson, en abordant ce deuxième point-clé, la grippe pandémique est ce que l'OMS décide qu'elle est.

L'OMS a dit n'avoir pas modifié la définition de la grippe pandémique, mais c'est faux. Un logiciel Internet, Wayback Machine, permet de retrouver les anciennes définitions. De 2003 à 2009, il y a pandémie lorsqu'apparaissent « plusieurs épidémies simultanées à travers le monde avec un grand nombre de décès et de maladies ».

Ce critère lié à la gravité à disparu en mai 2009 de la définition de l'OMS, comme l'a montré un étudiant doctorant à Harvard, Peter Doshi. Le Centre de prévention et de contrôle des maladies (Center for Disease Control and Prevention, CDC) d'Atlanta a également modifié sa définition.

Non seulement la définition de la pandémie a changé avec la disparition des critères de gravité, mais il a également été apporté la preuve que l'OMS a modifié le contenu de ses pages sur Internet sans changer la date affichée, ce que l'on pourrait considérer comme « un faux en écriture », comme le retrace une étude publiée dans le British Medical Journal (BMJ) : Peter Doshi a téléchargé ces documents trouvés grâce à Google, dont les traces ne vont pas disparaître, à la différence des documents de l'OMS. Pour citer une malédiction chinoise, a conclu M. Tom Jefferson, nous vivons une ère intéressante.

Un troisième point concerne les experts, dont les avis ne se fondent pas sur des preuves scientifiques suffisantes.

Il existe une mentalité collective (group think), selon le terme utilisé par Harvey Fineberg à propos de « l'épidémie qui n'a jamais existé », celle de grippe porcine aux Etats-Unis en 1976.

Les experts « leaders d'opinions clés » (« key opinions leaders » ou KOL), comme les appellent les agences de communication, n'apparaissent pas spontanément.

Ils sont recrutés assez jeunes, ils peuvent être « fabriqués » pendant des années. Ces leaders d'opinion sont chargés de faire passer des messages clés.

Certains d'entre eux ont fait carrière au sein des comités responsables de la grippe à l'OMS, y compris du comité d'urgence dont nous ne connaissons que le président, l'Australien M. Mackenzie. Il existe beaucoup « d'experts », réticents à révéler leurs liens d'intérêt, il y en a aussi qui n'ont aucun lien d'intérêt mais ont des motivations de carrière.

Pour illustrer les effets de l'action des « leaders d'opinion », M. Tom Jefferson a cité un extrait de l'ouvrage consacré par le professeur Philip Alcabes à l'ouvrage (« Dread » ou « Epouvante ») qu'il a consacré aux peurs et aux fantasmes associés aux épidémies : « Nous sommes censés être préparés à faire face à une pandémie de grippe d'une sorte ou d'une autre, car ceux qui guettent les grippes, ceux qui consacrent leur carrière à l'étude des virus et qui ont besoin d'un flux continu de subventions pour poursuivre cette étude doivent convaincre les bailleurs de fonds de l'urgence de combattre un fléau à venir ».

Il a ensuite montré des titres et des couvertures de grands périodiques et cité les articles d'experts ou de journalistes de renom consacrés à l'annonce des effets dévastateurs de pandémies grippales futures, observant que certaines présentations relevaient du « terrorisme intellectuel », alors que les menaces à redouter pèsent surtout sur les contribuables, et que l'industrie pharmaceutique trouve toujours de bons journalistes prêts à pister « la prochaine grippe tueuse » qu'évoquait par exemple un titre d'une publication de grande renommée, le « National Geographic ».

Il a également dénoncé les références à la grippe espagnole de 1918, soulignant que les études consacrées à cette épidémie tendent à conclure que ses conséquences ne seraient plus aujourd'hui ce qu'elles ont été à l'époque.

a enfin soulevé la question de l'efficacité de la vaccination et des traitements antiviraux contre la grippe, dont il a estimé qu'elle n'était pas scientifiquement prouvée.

Pour ce qui est de la vaccination, montrant des diapositives illustrant les données tirées par Cochrane de quarante-deux essais cliniques réalisées sur une longue durée, il a indiqué que l'on pouvait conclure, à partir de ces essais, qu'en moyenne, sur cent personnes adultes vaccinées, une présentera des symptômes de grippes ; sur cent personnes non vaccinées, il y en aura en moyenne deux. Cela revient à dire que vacciner cent personnes ne permet d'éviter qu'un seul cas clinique de grippe. De plus, on n'a pas de preuve que la vaccination permet d'éviter les complications ou un décès, peut-être parce que ces cas graves sont trop rares pour apparaître au sein de l'échantillon considéré.

En ce qui concerne les antiviraux, M. Tom Jefferson a relevé que très peu de données concernant des essais menés par le laboratoire Roche avaient été publiées. On estime que soixante-dix-sept essais ont été réalisés depuis 1997, dont huit seulement ont donné lieu à des publications.

Or, les politiques d'emploi du Tamiflu ont été fondées sur les seuls résultats publiés et non sur l'ensemble des données collectées.

En particulier, les essais publiés ne donnent aucune indication sur les effets du Tamiflu sur les complications de la grippe.

On peut donc se demander si le Tamiflu est plus efficace que l'aspirine, qui coûte beaucoup moins cher et dont les effets toxiques sont mieux connus que ceux du Tamiflu.

Compte tenu de tous ces éléments, que propose l'OMS pour lutter contre la grippe ? Un document d'orientation d'avril 2009 de soixante-trois pages sur la préparation et la réponse à une pandémie de grippe fait apparaître seize citations relatives aux antiviraux et vingt-quatre aux vaccins, tandis que le lavage des mains n'est mentionné que deux fois. Pourtant, on sait qu'il suffit que quatre personnes se lavent les mains plus de dix fois par jour pour éviter un cas de Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), comme le fait apparaitre une méta-analyse à partir de six études de terrain menées en Extrême-Orient en 2003, lors du pic de l'épidémie de SRAS. Ces résultats proviennent d'une analyse Cochrane réalisée à partir de cinquante-neuf études cliniques.

Se laver les mains coûte moins cher que des médicaments. Cette méthode permet d'éviter les gastro-entérites et peut être mise en place dans les pays pauvres à tout moment, permettant de sauver des vies. Par exemple, un bébé dans un bidonville de Karachi peut éviter une pneumonie si la mère et son enfant se lavent les mains. Aussi peut-on s'interroger sur les raisons pour lesquelles le document d'orientation de l'OMS ne parle pas davantage du lavage des mains, en insistant au contraire sur l'intervention pharmacologique.

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