Intervention de Marc Gentilini

Commission d'enquête sur la grippe A — Réunion du 5 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Le Professeur marc gentilini professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de la pitié-salpétrière président honoraire et membre de l'académie de médecine membre du conseil économique social et environnemental

Marc Gentilini :

A titre liminaire, M. Marc Gentilini s'est dit honoré d'être entendu par la commission d'enquête, à laquelle il s'efforcerait de donner son sentiment sur le déroulement des événements qui ont suivi l'apparition de la grippe H1N1 à la fin d'avril 2009.

Il a été frappé par la répétition, pendant les mois de mai et de juin, de l'annonce d'une catastrophe imminente, voire d'une véritable apocalypse. Son impression était que l'on en faisait beaucoup trop par rapport à ce qu'il était normal d'envisager et il s'est senti, dès le mois de juin, un peu « en rébellion » contre ce climat.

N'y tenant plus, il a accepté le 22 juillet, à la demande d'une journaliste de France Inter, de dire publiquement son agacement. Ce qui se passait ne lui semblait en effet pas convenable pour des raisons à la fois sanitaires et éthiques.

Des raisons sanitaires d'abord : tous les éléments disponibles portaient à penser, dès cette époque, que la catastrophe annoncée ne se produirait pas. On avait l'impression que l'on voulait « gonfler » cette maladie. M. Marc Gentilini a donc souhaité affirmer que l'on en faisait trop, ajoutant qu'il lui aurait semblé alors souhaitable que le Premier ministre ou le Président de la République prennent les choses en mains pour permettre un retour à une analyse plus réaliste de la situation.

Des raisons éthiques, ensuite, qui tenaient au contraste entre l'agitation - déjà onéreuse - à propos de quelque chose « qui ne se passait pas » en France, et la situation sanitaire bien réelle d'autres parties du monde. Il y a un milliard d'affamés dans le monde, on estime jusqu'à 3 milliards le nombre d'êtres humains qui n'ont pas accès à l'eau ou à une eau potable - auxquels ne pouvait s'adresser la description donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) des onze opérations nécessaires pour bien se laver les mains. Chaque année, un million de personnes meurent du paludisme et il y a, dans notre pays, 150 000 accidents vasculaires cérébraux.

On a dépensé en France 1,5 milliard d'euros pour une maladie qui a causé 350 décès. Il faut certes déplorer ces morts, mais aussi rappeler que leur nombre équivaut à celui des gens qui meurent chaque année anonymement dans la rue sans que l'on consacre beaucoup de moyens à prévenir leur décès.

a observé que ses critiques avaient été imputées, de façon un peu méprisante, à « son tiers-mondisme ». Mais il n'a fait que souligner une évidence. Quand on voyage un peu, comme beaucoup de Français, on voit qu'il peut se passer ailleurs des choses plus graves que chez nous et il faut quelquefois le rappeler à nos concitoyens.

Il a été, à la suite de cette prise de position, conduit à participer à des débats avec des représentants de tous les partis politiques. Il a été frappé, en ces occasions, de constater que les porte-paroles des deux plus grands partis nationaux étaient au fond d'accord. Peut-être parce qu'ils avaient connu dans le passé des épisodes douloureux de santé publique dont ils portent - pas toujours légitimement - le poids, ils considéraient en effet qu'il fallait privilégier le principe de précaution : il vaut mieux en faire trop que pas assez, sinon on peut le payer très cher.

a exprimé son désaccord sur ce point : l'erreur par défaut est une faute très grave, mais l'erreur par excès est aussi une faute, surtout dans la situation nationale et mondiale actuelle : « un sou est un sou » et les responsables doivent bien mesurer le coût des décisions qu'ils prennent. On a rappelé avec raison au monde de la santé publique que la santé n'a pas de prix, mais qu'elle a un coût certain. Il est difficile, quand on demande aux médecins de faire des économies, d'avoir l'air de ne pas se préoccuper du prix d'une opération qui, aux yeux de beaucoup, n'est pas justifiée.

Certes, a-t-il souligné, on peut lui objecter qu'en dehors de celle du député et médecin Bernard Debré et de la sienne, peu de voix divergentes se sont fait entendre. Mais la presse était, aussi, réticente à les relayer. M. Marc Gentilini a dit avoir demandé au responsable d'un important journal médical pourquoi il ne se faisait pas l'écho de la position qu'il exprimait. Il a souligné, évoquant notamment un grand quotidien du matin, que toute la presse, pendant toute cette période, présentait les faits de façon alarmiste, et invitait à se préparer au pire.

En matière de santé publique, susciter la peur est une mauvaise démarche. Il faut au contraire s'efforcer d'apprécier les problèmes à leur juste niveau, pour les appréhender correctement et les maîtriser avec le concours de la population. Au contraire, toute cette période où il n'y avait pas de discussion possible a été celle de l'indécence et de la démesure.

On peut du reste penser que la présentation de la grippe faite au public l'a en fin de compte démotivé parce que, très vite, il n'a plus cru à l'apocalypse annoncée. En dépit de ce martèlement, l'opinion publique n'a - heureusement - pas cédé sous le poids des responsables et des médias qui relayaient un discours venu d'ailleurs.

a insisté sur le fait que le mal n'était, au départ, pas français. Ce n'est pas la ministre française de la santé qu'il faut accuser au premier chef, et il s'est gardé de le faire, tout en étant - et en restant - critique à l'égard de certaines de ses décisions.

L'erreur majeure est au départ venue de l'OMS qui devrait pourtant être « le phare sanitaire de l'humanité ».

Mais l'OMS, on le sait, est une organisation politique. Les décisions sont prises par les représentants des gouvernements des Etats qui en sont membres. Et parce qu'elle est politique, l'OMS peut faire des erreurs techniques. L'exemple du sida est à cet égard particulièrement significatif. Lorsque a éclaté l'épidémie causée par ce virus nouveau, inconnu et meurtrier, l'OMS a considéré qu'elle ne frappait que l'Amérique et des catégories limitées de la population, qu'elle n'était pas un problème mondial et ne concernait pas le Tiers monde. Ce déni a eu des conséquences tragiques en Afrique, épicentre de cette affection, et lui a fait payer un très lourd tribut.

L'OMS se trompe soit par défaut ou en réagissant trop tard, comme dans le cas du sida, soit par excès de précipitation, comme dans le cas de la grippe.

Pourquoi s'est-elle trompée sur la grippe ? Sans doute parce que sa direction générale est dans les mains d'une personne très respectable et d'une très grande qualité technique, Mme Margaret Chan. Mais celle-ci est originaire de Hong Kong, d'une région de l'Asie très chargée en virus grippaux, et elle a acquis son expérience dans la lutte contre ces virus, celui du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), de la grippe aviaire, de ce qui a suivi.

Elle a remarquablement « mis en scène » la lutte contre des épidémies potentielles, lutte qui s'est notamment traduite par la mise à mort, pour pas grand-chose, de 20 millions d'oiseaux.

En 2005 et 2006, le risque de grippe aviaire avait beaucoup inquiété et le ministre alors en charge de la santé, M. Xavier Bertrand, avait à juste titre pris des mesures pour s'en prémunir. On a acheté des vaccins, des masques.

a dit avoir mesuré, lorsqu'il était président de la Croix rouge, l'importance des stocks de masques résultant de ces achats, beaucoup moins importants cependant que l'acquisition de 2 milliards de masques pour la grippe A(H1N1)v, et dont on ne savait que faire. L'OMS était déjà la première responsable des excès constatés un peu partout, à l'époque, en matière d'achat de masques ou de Tamiflu.

a souligné qu'il comprenait tout à fait l'attitude de la ministre de la santé à laquelle des conseillers par définition crédibles disaient que l'on pouvait s'attendre à 30 000 ou 60 000 morts en France.

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