Intervention de Bernard Bégaud

Commission d'enquête sur la grippe A — Réunion du 5 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Le Professeur bernard bégaud professeur de pharmacologie à l'université de bordeaux directeur de l'unité de recherche « pharmaco-épidémiologie et évaluation de l'impact des produits de santé sur les populations »

Bernard Bégaud :

a tout d'abord indiqué qu'il n'avait pas de liens avec l'industrie pharmaceutique.

Soulignant qu'il considérait comme un honneur d'être entendu par la commission d'enquête, il a indiqué qu'il s'efforcerait de lui présenter la perception qu'il avait eue de la campagne contre la pandémie H1N1, en tant que médecin et spécialiste de santé publique, et à la lumière de son expérience de la vaccination contre l'hépatite B.

Les pays développés, et en particulier les pays européens, se sont trouvés confrontés à un risque pandémique, ce qui est peu fréquent.

Conformément à son rôle, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a fourni des indications sur le risque pandémique, son niveau et les stratégies à adopter. Il revenait aux Etats d'adapter leurs moyens de prévention en fonction de leurs systèmes de santé et de leurs politiques propres.

Ces moyens lui inspirent trois réflexions :

- en premier lieu, d'un point de vue de santé publique, on peut s'étonner des disparités entre les stratégies menées par des pays assez proches, comme ceux de l'Union européenne ;

- en deuxième lieu, il est difficile de reprocher aux Etats d'avoir mis en oeuvre des moyens, même si a posteriori ils peuvent paraître un peu excessifs, pour protéger leur population car, dans ces situations, on est dans l'incertitude et on doit tenir compte du scénario du pire. Il est vrai que le dispositif français semble avoir été quelque peu disproportionné, mais c'est une remarque qu'il est facile de formuler a posteriori. On peut observer cependant que l'on disposait d'informations assez peu alarmistes provenant des pays touchés avant la France et qui ont un système de santé comparable au nôtre ;

- en troisième lieu, la mise en place d'un système de vaccination de masse impose des délais très longs, en particulier dans un cas comme celui-là, du fait de la phase de modélisation des risques et des stratégies, de la mise au point puis de la fabrication des vaccins, des négociations avec les laboratoires, des stockages et de la répartition des stocks. Ce qui peut expliquer qu'au terme de ces nombreux mois, on peut se trouver, comme cela a été le cas, un peu en décalage avec la réalité.

a souligné que, connaissant ce type de difficultés pour y avoir été confronté, il se garderait de « hurler avec les loups ». Il lui paraît cependant difficile de s'aligner sur la position d'autosatisfaction qui a été exprimée dans la presse ou dans les débats au sein des assemblées parlementaires, et qui consiste à dire que tout a fonctionné pour le mieux et que, si c'était à refaire, on ne changerait rien. Cela pour deux raisons : d'abord parce que l'on peut quand même avoir de sérieuses interrogations sur la campagne qui a été menée, ensuite parce que la mondialisation et la multiplication des déplacements exposent de plus en plus les Etats à de telles pandémies, qui pourront être causées par des virus beaucoup plus agressifs : il convient dès lors d'être certain de pouvoir leur apporter une réponse adaptée.

Il faut donc se poser la question de savoir si le dispositif mis en place par le gouvernement français aurait efficacement protégé la population si le virus H1N1 avait eu la dangerosité annoncée et s'il avait, par exemple, effectivement été associé à une mortalité d'au moins 10 % des personnes atteintes.

Si l'on en juge par ce qui a été réalisé au cours de l'automne-hiver 2009-2010, la réponse est évidemment, et sans polémique, négative.

En effet, à la fin du pic pandémique, un peu plus de cinq millions de personnes avaient été vaccinées, soit 8 à 10 % de l'objectif que traduisait le fameux achat de 94 millions de doses correspondant à 47 millions de vaccinations. Certains experts répondent à cela en affirmant que le seuil de 30 % de la population immunisée - seuil présenté à tort comme une fin en soi - a été atteint, car 20 % de la population ont été immunisés par comptage. Cet argument n'est pas recevable. Il équivaut en effet à reconnaître que 20 % de la population ont été atteints par le virus malgré la campagne de vaccination, soit 12 millions de personnes. Si 10 % de ces 12 millions de personnes avaient développé une forme clinique, et si 10 % d'entre elles étaient décédées, cela aurait représenté 120 000 morts. Ce qui est présenté comme un argument rassurant est donc en fait extrêmement préoccupant.

Une question se pose, à laquelle la commission d'enquête pourra peut-être apporter une réponse : ou bien le Gouvernement a su très tôt que le virus n'aurait pas la dangerosité redoutée et il n'a pas fait fonctionner le dispositif à plein, tout en maintenant une pression dramatique, ou bien le dispositif était incapable de fonctionner beaucoup mieux. Cette dernière hypothèse est réellement inquiétante a posteriori, surtout pour l'avenir.

a estimé que deux autres sujets méritaient d'être abordés : d'une part, les aspects peu idoines de la campagne d'information ; d'autre part, le fait que la campagne vaccinale contre le virus H1N1, au lieu de solder l'échec de la campagne de vaccination contre l'hépatite B, qui a été une honte républicaine, a pu encore aggraver la crise de confiance de la population française vis-à-vis de la vaccination, notamment parmi les plus jeunes et au sein du corps médical.

En ce qui concerne les défauts de la campagne de communication, on peut relever qu'il y a eu de nombreux messages inadaptés, ce qui s'explique peut-être par le trop grand nombre d'intervenants. Par exemple, les vaccins avec adjuvant ont été présentés comme absolument sans risque et, simultanément, on disait que des lots sans adjuvant avaient été préparés pour les personnes à risques. Cela pouvait être difficile à comprendre pour la population. De même, l'annonce quasi quotidienne du nombre de morts ne pouvait qu'inciter à une comparaison avec le nombre très supérieur des décès dus à la grippe saisonnière, ce qui a conduit beaucoup de gens à considérer, à tort, que la grippe ne présentait aucun danger et qu'il n'y avait pas de raison de se faire vacciner. Ce sont des erreurs de gestion de la santé publique dont il faudra tirer les leçons progressivement et dont on ne comprend pas pourquoi elles ont été commises.

Contrairement à ce qu'elle croit, la France n'est pas le pays qui a inventé la vaccination, plutôt due à Jenner qu'à Pasteur, mais elle lui était extrêmement attachée. Cependant, ces dernières années, une sorte de divorce, de non-adhésion de la population, s'est développée à la suite de la gestion un peu catastrophique de la campagne de vaccination de l'hépatite B. La décision de mener la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 sans le concours des médecins généralistes a creusé ce fossé et, malheureusement, laissera peut-être des séquelles.

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