A titre liminaire, M. Patrick Weil a caractérisé l'immigration irrégulière comme un phénomène réel, difficile à évaluer, impossible à supprimer mais qu'il était probablement possible de réduire.
Il a noté que sa réalité était attestée par l'interpellation de personnes qui ne peuvent présenter de titre de séjour. Soulignant qu'il était déjà difficile de produire des statistiques fiables sur l'immigration régulière, il a indiqué que l'immigration irrégulière ne pouvait faire l'objet que d'estimations et qu'il s'abstiendrait pour sa part de tenter de la chiffrer.
Il a ajouté que, bien que ce fait puisse être difficile à admettre, l'immigration irrégulière était le produit de la réglementation destinée à la contrôler, notant que le même phénomène pouvait être observé dans tous les domaines d'intervention du législateur, la législation fiscale ou les modifications du code de la route ne pouvant supprimer ni la fraude fiscale ni les infractions aux prescriptions du code de la route.
Cependant, alors que l'on ne s'émeut guère de la persistance de la fraude fiscale ou des accidents de la route, l'immigration irrégulière est un sujet si sensible, si « politisable » et si lié à des principes fondamentaux et contradictoires de la République - le respect des droits de l'homme et de la souveraineté nationale - que le public et les responsables politiques ont tendance, dès qu'il revient sur le devant de l'actualité, à demander que l'on légifère pour supprimer ce problème qu'il est impossible de supprimer.
Faisant état de la nécessité de tenter d'analyser et de comprendre l'immigration irrégulière pour essayer de la réduire, M. Patrick Weil a évoqué la croissance des inégalités au niveau mondial, les persécutions dont pouvaient être victimes des individus ou, simplement, leur volonté d'échapper à la misère.
Il a relevé que les dispositifs mis en place depuis trente ans pour contrôler l'immigration irrégulière avaient eu une certaine efficacité, comme en témoigne le fait que la majorité des immigrants irréguliers interpellés sont entrés régulièrement sur le territoire national, avec un visa délivré par la France ou par un autre Etat de l'espace Schengen : il a souligné à ce propos que la France n'avait plus la maîtrise de la circulation des personnes sur son territoire et insisté en conséquence sur la nécessité de coordonner les conditions de la délivrance des visas dans les pays appartenant à la zone Schengen.
a ensuite observé que s'il fallait certes poursuivre la lutte contre les filières et les trafics, le fait que la plupart des immigrés en situation irrégulière étaient entrés régulièrement sur le territoire devait conduire à constater que les dispositifs policiers avaient atteint leurs limites et à s'interroger, d'une part, sur les conséquences des procédures d'admission légale des étrangers sur l'immigration irrégulière et, d'autre part, sur les actions de coopération à mener avec les pays du Sud afin de « cogérer » les flux migratoires légaux ou illégaux.
Sur le premier de ces points, passant tout d'abord en revue les éléments de comparaison qu'offre la diversité des procédures en usage dans les pays d'Europe et d'Amérique du Nord, M. Patrick Weil a relevé que les pays pratiquant un système de quotas - l'Espagne et l'Italie en Europe, les Etats-Unis en Amérique du Nord - sont aussi ceux qui ont sur leur sol le plus grand nombre d'immigrants irréguliers, ce qui s'explique par le fait que « l'affichage » des quotas attire un nombre de candidats bien supérieur aux chiffres annoncés. En conséquence, l'Espagne et l'Italie ont dû pratiquer des régularisations massives tous les deux ou trois ans ; les Etats-Unis, où les régularisations doivent être autorisées par le Congrès, ont quant à eux accumulé un « stock » de travailleurs irréguliers évalué à 12 millions de personnes, ce qui crée une situation intenable et explique que le Congrès envisage actuellement une procédure de régularisation permettant d'y mettre fin.
Examinant ensuite la situation communautaire, M. Patrick Weil a relevé qu'une certaine harmonisation était intervenue dans le domaine des procédures d'asile et, dans une moindre mesure, dans celui des procédures de regroupement familial. En revanche, il n'y a pas eu d'harmonisation dans le domaine de l'immigration de travail et l'attitude des Etats membres à l'égard des ressortissants des nouveaux adhérents à l'Union européenne traduit aujourd'hui des divergences importantes : alors que la Grande-Bretagne, l'Irlande, la Suède ou l'Italie ont marqué leur préférence pour l'immigration légale européenne en ouvrant leur marché du travail aux ressortissants des nouveaux Etats membres, les autres pays européens ont opté pour l'application des mesures transitoires prévues par le traité d'adhésion. M. Patrick Weil a souligné que, compte tenu de la liberté de circulation, ce choix avait favorisé dans les Etats membres de l'Europe continentale le travail irrégulier des ressortissants des pays d'Europe orientale qui, en revanche, dans les Etats membres ayant fait le choix de l'ouverture, travaillent légalement et paient cotisations sociales et impôts : il a relevé le problème que posait ce défaut d'harmonisation des politiques nationales.
a conclu que ces exemples illustraient la nécessité, dans le domaine des procédures d'admission légale, d'agir avec beaucoup de finesse et de tenir compte des expériences du passé comme de celles des autres pays.
Prenant un autre exemple, celui de l'asile, M. Patrick Weil a cité la procédure complémentaire introduite par la loi de 1998. Notant que cette procédure avait été reprise sous une autre forme par la loi de 2003, ce qui montrait que son principe même n'était pas en cause, il a en revanche évoqué les problèmes auxquels avait donné lieu son application, en raison de la décision de faire gérer les deux procédures par deux autorités différentes, ce qui avait provoqué un allongement des délais d'examen des demandes propice au développement d'une certaine forme d'immigration irrégulière.
a observé à cet égard qu'en matière d'asile, la meilleure procédure est une procédure indépendante, et donc inattaquable du point de vue de la protection des demandeurs, mais qui doit être rapide, aussi bien dans l'intérêt des réfugiés que pour dissuader ceux qui voudraient en abuser pour se maintenir sur le territoire national.
Il a donc estimé qu'en cas d'encombrement des procédures d'asile, il fallait non pas changer les textes mais donner aux instances chargées de les appliquer les moyens nécessaires pour rendre des décisions rapides.
voquant ensuite le cas particulier de l'outre-mer, M. Patrick Weil a estimé, à propos de Mayotte, qu'il n'y avait plus aujourd'hui de liens entre le droit de la nationalité, tel qu'il a évolué, et le droit au séjour, compte tenu de la durée de présence sur le territoire national exigée pour prétendre acquérir la nationalité française. Il a en revanche estimé que la présence prolongée d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire justifiait l'application des dispositions de la loi de 1998 qui ont prévu un système de « régularisation permanente et individuelle ». Notant que ce dispositif, qui existe également sous d'autres formes en droit anglais ou allemand, s'apparentait à un mécanisme de prescription ou d'« amnistie individuelle», il a observé qu'il présentait l'avantage d'offrir une alternative aux régularisations massives : en effet, a-t-il souligné, le choix n'est pas entre l'absence de régularisation et un petit nombre de régularisations, mais entre les régularisations périodiques et un mécanisme discret, individuel et permanent.
Abordant ensuite la question du rapport - inégal - entre les pays d'immigration et les pays d'origine des migrants, dont la coopération est indispensable pour permettre le retour des immigrants en situation irrégulière, M. Patrick Weil a estimé nécessaire de mettre en place des mécanismes plus satisfaisants pour les pays du Sud.
Prenant l'exemple de l'immigration qualifiée, il a opposé les deux « modèles » existants, celui des pays qui accueillent les meilleurs éléments et qui, sans s'interroger sur leur devenir, considèrent qu'ils ont vocation à servir leur pays d'accueil, et celui - qui correspond à la position traditionnelle de la France - des pays qui encouragent le retour dans leur pays des travailleurs qualifiés qu'ils ont formés.
Notant que cette dernière attitude conduisait aujourd'hui à des résultats absurdes car les étudiants formés chez nous, attirés vers d'autres pays, sont perdus pour la France comme pour leur pays d'origine, M. Patrick Weil a estimé qu'il conviendrait d'encourager une nouvelle approche et de remplacer la « fuite des cerveaux » par la « circulation des cerveaux », en ouvrant la possibilité aux étudiants formés en France de faire des allers et retours avec leur pays d'origine.
Il a suggéré à cet égard deux mécanismes :
- l'obligation de motiver les refus de visa opposés aux diplômés de l'enseignement supérieur français ;
- la mise en place, au niveau de l'Union européenne, d'un dispositif permettant aux médecins, chercheurs ou professeurs recrutés par un Etat membre de faire une partie de leur carrière dans leur pays d'origine, en percevant les mêmes émoluments, pris en charge par l'Union européenne dans le cadre de la coopération avec les pays du Sud.
a souligné qu'un tel dispositif permettrait de créer des « agents du co-développement » qui transmettraient leurs compétences dans leur pays d'origine, et pourraient y créer des pôles de développement du savoir tout en ayant la garantie de pouvoir revenir en Europe au cours de leur carrière.