a indiqué que le premier réflexe du démographe, confronté à la question de l'immigration clandestine, était de rappeler qu'elle échappait, par nature, à l'observation statistique. Pour autant, il est possible de proposer des évaluations de l'ampleur du phénomène, à partir de données différées et partielles. A cette fin, l'INED exploite en particulier le fichier des titres de séjour du ministère de l'intérieur, dit AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France), qui a notamment permis de réaliser un bilan de l'opération de régularisation de 1997. Ses travaux s'appuient également sur une étude de référence, réalisée en 1998 par Georges Tapinos et Daniel Delaunay, portant sur les méthodes d'évaluation chiffrée de l'immigration clandestine.
Il a ensuite présenté les principales méthodes utilisées pour tenter d'évaluer l'importance de l'immigration clandestine :
- des enquêtes peuvent être menées auprès des employeurs présents dans les branches a priori les plus concernées par le travail illégal, mais elles donnent des résultats difficiles à exploiter ;
- la comparaison de sources statistiques diverses (recensement, registres municipaux de population, fichiers des régimes de protection sociale, liste des enfants scolarisés...) peut mettre en évidence la présence sur le territoire d'étrangers en situation irrégulière ;
- la méthode dite « résiduelle », prisée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, consiste à rapprocher des données, décalées dans le temps, relatives à l'importance de la population d'origine étrangère et à évaluer l'importance de l'immigration irrégulière en isolant les variations pouvant être expliquées par les flux de migrations régulières ; elle aboutit à une estimation de la population d'immigrés clandestins aux Etats-Unis de l'ordre de 8,2 millions de personnes ;
- l'analyse des opérations de régularisation est un autre instrument d'évaluation de l'ampleur de l'immigration clandestine, même si des biais statistiques existent là aussi ; elle révèle, en tout état de cause, la présence d'un nombre élevé de clandestins dans les pays d'Europe du sud, l'Espagne et l'Italie ayant eu à traiter, respectivement, 700.000 et 900.000 demandes de régularisation en 2005, soit des chiffres très supérieurs à ceux observés en France où aucune opération de régularisation n'a suscité plus de 140.000 demandes ;
- la méthode Delphi, qui consiste à rassembler des spécialistes et des acteurs de terrain pour qu'ils procèdent à une évaluation consensuelle, apparaît en revanche peu fiable.
Ces différentes méthodes ont fait l'objet de rares applications dans notre pays. Les communes ne tiennent pas en France de registres de population, ce qui limite les comparaisons qu'il est possible d'effectuer, et le fichier AGDREF est encore très récent. Une étude a cependant été réalisée en 1995 à partir de l'échantillon démographique permanent (EDP) de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
a précisé que les démographes, en application d'une recommandation internationale de l'Organisation des Nations unies (ONU), ne retenaient dans leurs estimations que les migrations d'une durée supérieure à un an, qui ont seules un impact sur le peuplement du pays, alors que l'administration décompte l'ensemble des infractions aux règles d'entrée et de séjour sur le territoire, même si elles correspondent à des migrants en transit, ce qui explique une partie des divergences observées entre les chiffres de l'INED et ceux du ministère de l'intérieur. Par ailleurs, l'INED prend en compte, dans ses statistiques, les étudiants étrangers présents sur notre sol, alors qu'ils ne sont pas comptabilisés par le ministère de l'intérieur.
est ensuite revenu sur les déclarations effectuées devant la commission d'enquête par M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Lors de son audition, le ministre d'Etat avait en effet reproché à l'INED de sous-évaluer le flux d'immigration illégale et avait affirmé que le nombre d'immigrants irréguliers arrivant chaque année sur notre territoire était de l'ordre de 80.000 à 100.000 personnes, le nombre de migrants clandestins déjà présents sur notre sol étant en outre estimé entre 200.000 et 400.000, au vu des données de l'aide médicale d'Etat (AME).
Ces déclarations reposent en fait sur plusieurs méprises : l'INED a proposé une évaluation du solde migratoire, c'est-à-dire du nombre d'immigrants irréguliers qui demeurent sur notre sol une fois défalquées les sorties, alors que le ministre a évoqué les seuls flux d'entrée irrégulière. Le rapport public de la Cour des comptes sur l'accueil des migrants, publié en 2004, commet d'ailleurs les mêmes confusions, largement reprises par la presse, qui a parfois, sur cette base, présenté le directeur de l'INED comme un homme qui, par incompétence ou parti pris, minorait les chiffres de l'immigration.
De plus, les deux fourchettes avancées par le ministre d'Etat sont incompatibles entre elles. Dans la mesure où les régularisations menées en France et en Europe montrent que la durée de séjour des immigrants illégaux s'étale sur au moins une dizaine d'années, l'arrivée de 90.000 immigrants irréguliers supplémentaires en moyenne par an devrait porter le « stock » d'immigrants illégaux présents sur notre territoire à environ 800.000 personnes. Si l'on considère en revanche que 300.000 immigrants irréguliers séjournent sur notre territoire, alors le flux annuel d'entrées se situe entre 30.000 et 40.000 personnes, évaluation tout à fait compatible avec celle de l'INED.
a indiqué que les chiffres relatifs à l'aide médicale d'Etat ne permettaient pas, en outre, d'appréhender correctement le nombre de clandestins, notamment parce qu'il a longtemps été impossible d'identifier précisément les bénéficiaires des soins. Les récentes réformes de l'AME ont levé nombre d'incertitudes d'ordre statistique mais ont restreint le champ de ses bénéficiaires, qui ne reflète désormais plus que de manière imparfaite l'ensemble de la population immigrée en situation irrégulière.
Il a ensuite abordé la question des personnes déboutées du droit d'asile, dont le nombre est estimé à 250.000 sur les dix dernières années. Il a souligné que le nombre des demandes d'asile connaissait régulièrement d'amples fluctuations, ce qui interdit d'effectuer des extrapolations à long terme et oblige à une certaine prudence dans l'interprétation des variations observées. Il a ajouté qu'il était difficile de déduire du nombre de déboutés du droit d'asile une évaluation du nombre d'immigrés qui demeurent irrégulièrement sur notre sol, dans la mesure où une partie d'entre eux choisit de quitter la France.
a également estimé que la France était confrontée à une pression migratoire bien inférieure à celle des pays du sud de l'Europe : le solde migratoire de la France est de 1 ou 2 pour mille, alors qu'il varie entre 5 et 12 pour mille chez nos voisins. La France a, en revanche, accueilli une immigration très supérieure à celle des autres pays européens entre 1950 et 1974 et doit aujourd'hui faire face au défi de l'intégration des deuxième et troisième générations issues de l'immigration. Il a attribué la relative faiblesse de l'immigration clandestine dans notre pays à deux facteurs : la pratique des régularisations au cas par cas, plutôt que le recours à des opérations de régularisation massives, qui entraînent un « appel d'air » et attirent davantage de clandestins, et le plus fort encadrement du marché du travail, qui ferait obstacle au développement du travail dissimulé.
a enfin déclaré que les nouvelles modalités du recensement devraient permettre de mieux évaluer le solde migratoire et que la suppression des droits reconnus aux immigrés en situation irrégulière, notamment le droit à la scolarisation de leurs enfants, rendrait impossible la connaissance des flux d'immigration clandestine.