Intervention de René-Paul Savary

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 15h00
Audition du professeur didier raoult directeur de l'institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de marseille

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, président :

Nous poursuivons nos travaux avec l'audition du professeur Didier Raoult, directeur de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) en maladies infectieuses de Marseille.

Je vous prie d'excuser l'absence d'Alain Milon, président, retenu dans son département.

Le bureau de notre commission d'enquête avait initialement conçu cette audition sous la forme d'une table ronde.

Comme je l'ai rappelé ce matin, alors que dans d'autres pays la réponse à la crise a été incarnée par un personnage politique, un médecin ou un chercheur, qui a réussi à rallier la population à ses recommandations, nous avons assisté, en France, à des propos discordants qui ont beaucoup nui au niveau de confiance de la population.

À propos d'un virus inconnu, les attentes dans la science étaient très élevées. Certes, la controverse est normale et fait avancer la science ; mais quand elle s'étale si largement dans les médias, elle a plutôt pour effet d'augmenter le degré d'inquiétude.

Nous avions donc souhaité demander des explications aux scientifiques. Comme certains n'ont pas manqué de nous le rappeler - mais nous ne l'ignorions pas -, nous ne sommes pas des scientifiques de haut niveau et ce n'est pas à une conversation scientifique que nous convions nos intervenants. Nous représentons des personnes qui, dans leur immense majorité, ne le sont pas davantage. C'est pourquoi nous aurions préféré éviter les monologues sans contradictoire.

Toutefois, ainsi que vous l'avez rappelé lors de votre audition à l'Assemblée nationale à propos du conseil scientifique, « vous n'êtes pas arrivés à vous parler » et il nous est apparu que vous ne parviendriez pas davantage, dans cette enceinte, à débattre en toute sérénité.

Cette audition a pour objet la recherche, les tests et les traitements. Elle abordera notamment la méthodologie applicable aux essais cliniques, les orientations privilégiées en France au vu de la comparaison entre Discovery et Recovery, les résultats ainsi que la question des publications ou des annonces précoces dans la crise.

Je vous prie de résumer vos principaux messages en dix à quinze minutes. Vous ne manquerez pas, en outre, de nous alimenter par voie écrite, comme vous l'avez déjà fait à diverses occasions.

Je demande également à chaque intervenant d'être concis dans les questions et les réponses.

À toutes fins utiles, je rappelle à tous que le port du masque est obligatoire et je remercie chacun de sa vigilance.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais maintenant vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Didier Raoult prête serment.

Pr Didier Raoult, directeur de l'institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille. - Avant tout, je tiens à faire une mise au point. Certaines personnes ont signé une tribune affirmant que je fraude et que je triche. D'autres ont porté plainte contre moi auprès du conseil de l'ordre. Dans ces conditions, la discussion scientifique n'est plus possible : c'est une limite à ma convivialité.

Je le très dis solennellement et après avoir juré de dire la vérité : je n'ai jamais fraudé de ma vie. J'ai écrit 3 500 publications internationales et je n'en ai jamais rétracté aucune. Depuis que je suis célèbre, une chasseuse de têtes me traque. Elle a réussi à trouver cinq erreurs dans l'ensemble de mes papiers scientifiques. Il y en a probablement beaucoup plus - j'estime le taux d'erreur entre 2 % et 4 %. Je ne suis qu'un pauvre humain, et je fais des erreurs comme tout le monde. Cela étant, je n'ai pas la force de discuter sereinement avec des personnes qui m'insultent. Je ne le ferai pas, je ne le ferai jamais.

J'en viens à l'analyse de l'épidémie elle-même. Depuis l'origine, je suis absolument incapable de mesurer la dimension symbolique de cette affaire. Or ce qui s'est passé n'est pas normal. On ne parle plus de chimie, de malades ou de médicaments, mais d'un sujet déconnecté de ce que je connais.

Je suis un être pragmatique, pratique. En science, il y a toujours eu une grande différence entre, d'un côté, l'empirisme, c'est-à-dire l'observation et la description des phénomènes, et, de l'autre, les théories déductives et spéculatives, dont je ne suis pas un praticien.

En l'occurrence, ce qui s'est passé est absolument inouï et marquera l'histoire des sciences. On a dénoncé l'un des deux médicaments les plus prescrits au monde - on en a probablement donné à 2 milliards de personnes - en affirmant qu'il tuait 10 % des patients. C'est la preuve d'une déconnexion entre la molécule de l'hydroxychloroquine et la manière dont elle a été perçue. Je suis extraordinairement surpris de l'ampleur prise par cette controverse.

Dès que mon premier papier a été publié, la chasseuse de têtes à laquelle je faisais allusion a prétendu que j'étais en situation de conflit d'intérêts avec Sanofi, ce qui est totalement faux : je ne fais d'essais thérapeutiques pour personne, et ma position est constante depuis vingt-cinq ans. L'article en question est aujourd'hui le document le plus cité de toute la littérature sur la thérapeutique du covid-19 : il a été cité 2 400 fois. Elle a tenté de le faire retirer en prétendant que je n'avais pas obtenu l'autorisation du comité de protection des personnes (CPP). Enfin, j'ai dû affronter un déluge de critiques de la part des maniaques de la méthodologie : je ne pouvais pas imaginer que ce papier, comme j'en ai envoyé tellement dans ma vie, entraînerait une sorte de folie mondiale. Le temps triera. Il permettra de comprendre ce qui s'est passé. Mais, personnellement, je ne comprends pas cette signification, notamment symbolique. Je ne peux pas la comprendre et ce n'est pas mon problème.

Depuis plus de vingt ans, je pense qu'il faut développer des centres de lutte contre les maladies infectieuses, accueillant à la fois les patients et les laboratoires de recherche, sur le modèle des centres anticancéreux. Je l'ai écrit quand j'étais le conseiller de M. Mattei et de Mme Haigneré. Gilles Bloch, aujourd'hui directeur de l`Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), travaillait d'ailleurs au cabinet de Mme Haigneré et il était du même avis.

Lorsque l'épidémie a commencé, nous étions en ordre dispersé. Je ne dis pas que tout est désorganisé à Paris. La Pitié-Salpêtrière dispose d'un centre de neurologie colossal. Pour la génétique, il y a l'institut Imagine de Necker. Mais, à Paris, l'organisation en matière de maladies infectieuses a subi une destruction physique ; l'unité de l'hôpital Claude-Bernard a disparu, l'Institut de veille sanitaire (InVS) a été déplacé à Saint-Maurice, alors qu'il aurait dû être adossé à l'institut Pasteur, et les services spécialisés dans les maladies infectieuses ont été dispersés dans toute la ville.

En résumé, Paris n'a pas de « patron » pour les maladies infectieuses - il en est de même en microbiologie. Or c'était le cas il y a trente ans, et Paris garde des leaders dans d'autres domaines médicaux. C'est un véritable problème pour les maladies infectieuses. Les travaux de l'hôpital Pasteur, qui étaient de nature pratique, ont cédé la place à une recherche fondamentale largement axée sur les neurosciences ; elle compte parmi les meilleures du monde. Il n'empêche que notre pays est, en la matière, victime d'une désorganisation. C'est un problème de fond.

J'y insiste, de Gaulle a répondu aux enjeux de cancérologie en créant les centres anticancéreux, regroupant la radiothérapie, la chimiothérapie, la chirurgie et la médecine. Ces structures fonctionnent de manière inégale, mais elles ont joué un rôle très important : l'institut Gustave-Roussy est l'un des meilleurs centres d'immunologie et de cancérologie au monde.

J'ai proposé la création, dans le pays, de sept centres de même nature que celui que j'ai fini par réussir à construire à Marseille. L'absence de maillage territorial ne peut qu'entraîner des discordances. Les crises sanitaires ne vont pas cesser. Or notre civilisation y est extrêmement sensible. Elles peuvent désorganiser complètement la société si nous ne sommes pas armés pour lutter contre elles.

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