Intervention de Jean Sol

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 15h00
Audition du professeur didier raoult directeur de l'institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de marseille

Photo de Jean SolJean Sol :

Que pensez-vous du confinement total mis en place dans notre pays ? Aurait-il pu être évité ? Quel est votre avis sur la doctrine en matière de masque ? Reconnaissons que sa géométrie a été pour le moins variable et qu'elle est encore floue aujourd'hui. Les moyens sont-ils au rendez-vous en France en matière de recherche ? Enfin, est-il possible de raccourcir les délais de réalisation des tests ?

Pr Didier Raoult. - Concernant l'effet placebo, on prétend qu'il est dramatique d'apporter de l'espoir : je ne suis pas d'accord. Au contraire, c'est dramatique d'apporter du désespoir. L'effet placebo commence par l'espoir qu'on apporte. La négligence de cet effet biologique, observable par les outils radiologiques actuels, est terrifiante. Il existe même un « effet nocebo » : quand on annonce à quelqu'un qu'il va mourir, des zones du cerveau s'éteignent. Un tel effet a été engendré par les annonces quotidiennes à la télévision. À l'inverse, quand on donne de l'espoir aux gens, l'effet placebo les calme, comme sous l'effet de benzodiazépines.

Les séquelles sont une vraie question. On a commencé à travailler dessus : nos recherches ont montré l'existence d'un hypométabolisme persistant dans certaines zones derrière le bulbe olfactif ; on ne sait pas encore combien de temps cet effet peut persister ni ce qui pourrait le guérir. Les séquelles cérébrales semblent plus importantes que les séquelles pulmonaires, qu'on redoutait davantage.

Le débat autour de l'hydroxychloroquine n'est pas seulement français : il est mondial. Ce n'est pas juste moi ! Comment une bande de polichinelles a-t-elle pu publier dans le New England Journal of Medicine et dans le Lancet si l'on n'avait pas perdu toutes notions de base ? Ces articles ont été rétractés dans les trois mois. Je n'ai jamais rien vu de tel dans toute l'histoire de la médecine ! Arrêtez de croire que c'est une histoire franco-française : il s'agit d'un phénomène international beaucoup plus puissant. L'Europe de l'Ouest et une partie des États-Unis, où les chiffres sont d'ailleurs les plus mauvais au monde, ont géré la crise d'une certaine manière, en courant après une molécule nouvelle faite par les laboratoires, puis après la vaccination, alors qu'une autre partie du monde a adopté une gestion extrêmement pragmatique. En Corée du Sud, le pragmatisme était total : on détecte et on isole. On réquisitionne les hôtels pour y mettre les gens qui sont positifs : c'est le modèle du lazaret plutôt que celui de la quarantaine.

La destruction des services de maladies infectieuses n'a pas été volontaire. On a connu une époque paradoxale, juste avant l'épidémie de sida, où on disait que les maladies infectieuses étaient terminées. On a fermé l'hôpital Claude-Bernard, l'endroit même où on aurait pu investir massivement pour lutter contre les nouvelles épidémies, en particulier contre le sida, pire épidémie du XXe siècle, qui commençait tout juste. Il est compliqué de se remettre en cause : quand on s'engage dans une direction, c'est dur de sortir du sentier et de reconnaître son erreur : cela s'applique à tous, du Président de la République au professeur Delfraissy et à moi-même ! On manque de lucidité sur ses propres erreurs.

À ce propos, je trouve curieux que des consignes relatives aux maladies infectieuses aient été données par le directeur général de l'Assistance publique de Paris, plutôt que par le titulaire de la chaire de maladie infectieuse. C'est un truc de professionnel, la médecine !

Dès 2003, je jugeais nécessaire de créer un « infectiopôle » Necker-Pasteur, un centre de taille mondiale dédié aux maladies infectieuses. Je pense toujours qu'une telle initiative est nécessaire, peut-être parce que je suis incapable de changer d'avis...

Vous m'interrogez sur le confinement et le masque. Ce sont des questions difficiles ; des chercheurs commencent à faire des études comparatives, mais elles sont difficiles à analyser dans la mesure où les comportements sociaux diffèrent suivant les pays : les contacts entre personnes ne sont pas les mêmes en Suède ou en Italie. Il est donc très complexe de comparer l'efficacité des mesures de confinement. J'ai déclaré au Président de la République que le rôle du politique était, selon moi, de prendre toutes les mesures pour éviter l'affolement ; si ces mesures produisent un effet inverse, elles ne sont plus fonctionnelles. Le confinement, suivant les analyses effectuées en Italie et en Espagne sur des milliers de donneurs de sang, n'a pas protégé les gens individuellement du risque d'infection : ceux qui n'étaient pas confinés étaient plutôt moins positifs que ceux qui l'étaient. Il n'y a pas de substrat scientifique individuel, ce qui ne veut pas dire que ce ne soit pas un choix de société : plutôt que d'affoler tout le monde, il pouvait être pertinent de confiner. Je ne sais pas répondre.

Pour le masque, c'est pareil : il n'y a pas de vérité scientifique brutale. Celle-ci existe pour le personnel de soin, qui opère à 30 ou 40 centimètres des patients ; le risque de contamination est alors évidemment plus important et il a été démontré que le masque diminuait ce risque dans ces conditions. Cela ne peut pas être démontré dans d'autres conditions. Là encore, c'est une question de message social : ce message peut s'avérer utile, même si je ne sais pas s'il faut être extrêmement punitif en la matière : si porter un masque change les comportements, empêche les gens de s'embrasser et leur rappelle que quelque chose circule, on peut penser que c'est raisonnable ; cela peut permettre de conserver une distance sociale sans se faire d'énormes illusions sur le pouvoir du masque lui-même. La clef, ce sont les mains, il faut se passer dix ou vingt fois de l'alcool sur les mains chaque jour.

Concernant les mutations, « mutant » ne veut pas dire « plus méchant » ! Je n'ai jamais dit le virus se faisait plus virulent ; nous avons plutôt l'impression d'observer des formes dégradées de la forme initiale, des formes moins graves, mais c'est très compliqué de deviner le pouvoir pathogène d'un virus à partir de sa séquence génétique ; personne ne sait vraiment le faire.

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