Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la presse écrite se caractérise par un besoin urgent de rénovation profonde à tous les niveaux, de la rédaction à la diffusion. Il n’est pas envisageable de faire peser l’effort de modernisation sur un seul segment de l’activité de presse : tous les acteurs doivent réfléchir ensemble à des solutions communes.
Après des états généraux de la presse écrite convoqués sur la seule initiative du Président de la République, l’enjeu, désormais, réside dans la volonté et la capacité des acteurs du secteur à s’affranchir de cette pesante tutelle pour travailler dans ce sens.
Quoi qu’il en soit, aux termes de l’article 34 de la Constitution, il revient désormais au législateur de fixer les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Le régime des aides publiques à la presse doit donc répondre à ces objectifs inscrits dans notre loi fondamentale à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Or la France se caractérise encore aujourd’hui par une hyperconcentration de ses leviers médiatiques, particulièrement en province, où les quotidiens qui subsistent se trouvent en situation de monopole dans les trois quarts des départements. Il s’agit là d’un symptôme inquiétant de l’extrême fragilité financière de nos entreprises de presse.
Force est de constater que notre système d’aides publiques ne parvient plus à garantir le pluralisme de la presse.
Devant des organes de presse soupçonnés – il suffit de lire certaines enquêtes – d’être inféodés au pouvoir politique ou à des groupes industriels, la confiance que le citoyen prête à une information de plus en plus uniformisée se trouve inévitablement remise en cause. C’est ce risque de défiance qui représente, peut-être, le danger économique le plus préoccupant pour la presse écrite.
À ce sujet, madame la ministre, je souhaite que vous fassiez le point sur l’état des négociations bilatérales avec la Suisse tendant à supprimer l’interdiction faite à un investisseur non communautaire de détenir plus de 20 % du capital d’une entreprise de presse.
Le renforcement de l’information accessible au grand public sur l’actionnariat des entreprises de presse, dans une démarche de transparence, va dans le bon sens, de même que l’idée d’un recours accru au mécénat pour consolider leur assise financière. Un fonds adossé à la Caisse des dépôts et consignations pourrait ainsi collecter les dons de particuliers, lesquels ouvriraient le droit à des réductions d’impôts à hauteur de 66 %. Ce mécanisme devrait encourager l’investissement dans les entreprises de presse, y compris de presse en ligne.
Toutefois, je m’interroge, madame la ministre, sur les conditions de mise en œuvre concrète de cette mesure.
Tout d’abord, comment s’opérera le transfert des dons aux titres de presse ? S’agira-t-il de dons nominatifs, c’est-à-dire « fléchés » ?
Par ailleurs, la distribution de ces dons fera-t-elle l’objet d’un contrôle par une autorité indépendante chargée de veiller au respect des garanties de transparence et d’équité ?
Face à l’effondrement du marché publicitaire qui se profile en 2009, après un mauvais exercice 2008, deux mesures d’urgence recommandées par les états généraux ont été reprises dans le projet de loi de finances rectificative que notre assemblée devrait examiner à la fin de ce mois et au début du mois prochain. Elles comprennent la compensation, à hauteur de 25, 4 millions d’euros, du manque à gagner pour La Poste du report d’un an de la mise en œuvre des accords État-presse-La Poste sur l’augmentation des tarifs postaux, ainsi que la mise en place d’une aide exceptionnelle de 27, 6 millions d’euros aux diffuseurs de presse.
La levée du moratoire sur la mise en œuvre des accords État-presse-La Poste s’annonce cependant comme une échéance délicate. En effet, il est probable que la presse ne pourra pas, dans un an, supporter la revalorisation des tarifs postaux négociée en juillet 2008. Le moratoire ne règle donc pas tout, et sa levée devra en tout état de cause être précédée d’une renégociation des tarifs de distribution de la presse par La Poste.
Ces aides d’urgence s’articuleront avec plusieurs mesures de soutien à des réformes d’ordre structurel dans le prochain collectif budgétaire. Une grosse partie de l’effort devrait d’abord porter sur la modernisation de notre système de distribution.
Si les coûts de la distribution de la presse en France se situent dans la moyenne européenne, la distribution n’y est cependant pas aussi efficace qu’on pourrait raisonnablement l’espérer. Je retiendrai, sur ce point, trois grands chantiers dans lesquels l’État s’est engagé à investir.
Le chef de l’État dit tout d’abord vouloir replacer le diffuseur au centre du circuit de distribution, afin d’en faire « un métier de vendeur » et non pas de « manutentionnaire des invendus », ce qui passe notamment par une revalorisation significative de sa rémunération. Celle-ci est censée s’accompagner du renforcement de l’aide à la modernisation de la diffusion et à l’informatisation du réseau des diffuseurs de presse, d’un montant de 11, 3 millions d’euros dans le collectif budgétaire. Si cette mesure va apparemment dans le bon sens, je m’interroge sur ses modalités concrètes d’application : s’agit-il d’une aide financière à la formation continue, aux techniques du merchandising, aux investissements informatiques ? La mise en œuvre de cette aide fera-t-elle l’objet d’une évaluation ?
Devant la situation extrêmement précaire des diffuseurs de presse, le montant de cette aide exceptionnelle à la modernisation me semble encore très insuffisant. Il serait impératif d’aller au-delà d’un simple affichage dans la loi de finances rectificative et d’organiser le sursaut de la profession de diffuseur de presse dans la durée : cela passe obligatoirement, à mon sens, par un rééquilibrage du rapport de forces entre messageries, dépositaires et marchands de journaux.
Pour relancer la diffusion de la presse, a également été annoncée la mise en place d’une mission chargée de réfléchir aux obstacles à la création de nouveaux points de vente.
À cet égard, il faut, me semble-t-il, être moins timoré. C’est sur la lutte contre la disparition des magasins de presse en centre-ville – trois cent cinquante ont fermé ces deux dernières années – qu’il faut mettre l’accent. Une solution adaptée réside dans l’ouverture de kiosques : il est indispensable d’agir dans ce sens avec les maires, en mettant notamment l’accent sur l’animation commerciale.
Devant la lourdeur des procédures d’ouverture de kiosques, véritable gageure pouvant durer de un à trois ans, je m’interroge sur la volonté de faire avancer ce dossier, surtout s’il n’y a pas de réponse énergique. Quelle décision concrète l’État compte-t-il prendre pour accélérer le développement des magasins de presse de proximité ?
Enfin, la réforme de notre système de distribution devrait prendre en compte la situation actuelle, préjudiciable aux dépositaires indépendants et aux marchands de journaux, lesquels voient leur métier réduit à celui de simple manutentionnaire, responsable de la gestion des invendus. Il est impératif que cela se fasse dans le cadre de la loi Bichet et des équilibres voulus par le législateur de l’époque.
Il conviendrait de faire respecter les principes fondamentaux de la loi Bichet et d’articuler au mieux liberté de diffusion et égalité de traitement entre tous les titres dans le système coopératif.
Le président de l’Autorité de la concurrence est supposé formuler des propositions à ce sujet. Nous souhaitons connaître la date à laquelle ses conclusions seront rendues publiques et les pistes qui semblent d’ores et déjà se dégager.
Un autre chantier capital pour la sécurisation de l’avenir de la presse concerne la réhabilitation du métier de journaliste.
La déontologie est une préoccupation très ancienne des journalistes, et ces derniers n’ont pas attendu les états généraux pour réclamer la reconnaissance juridique de leur statut et des droits et devoirs qui s’y attachent.
Les états généraux sont tombés d’accord sur l’annexion d’un code de déontologie à la convention collective nationale de travail des journalistes. Il s’agit certes d’un pas en avant qu’il faut saluer, mais qui reste néanmoins insuffisant, car il laisse planer certaines incertitudes juridiques.
La sécurisation du statut des journalistes mérite en effet que l’on aille plus loin, notamment en matière législative. Je me félicite, en particulier, de la validation récente par le Conseil constitutionnel du fondement législatif donné, dans la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, à une disposition garantissant à « tout journaliste d’une société nationale de programme [...] le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d’émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté » et précisant : « Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle. »
À mon sens, des normes déontologiques analogues pourraient très bien être consacrées par le législateur au profit des journalistes de presse. En effet, un certain nombre de garanties juridiques fondamentales ayant trait à l’exercice de la profession de journaliste doivent relever de la loi.
Je tiens, en outre, à souligner une proposition, écartée par les états généraux, mais mise en avant par les Assises du journalisme à l’occasion de leur édition spéciale du 20 janvier. Il s’agit de la reconnaissance juridique des rédactions. Le Président de la République avait repoussé cette option au motif qu’elle donnerait l’impression de vouloir maintenir à l’écart les éditeurs et les actionnaires de la conception de la ligne éditoriale d’un titre de presse, au risque de décourager d’éventuels investisseurs.
Or, face au climat de suspicion croissante qui pèse sur les relations entre le politique, les grands groupes industriels et les titres de presse, je pense au contraire que donner une identité aux équipes rédactionnelles constituerait un rempart contre les concentrations et contre les rachats par des groupes extérieurs à la presse. Les rédactions pourraient ainsi être consultées sur l’évolution de la structure du capital de leur publication afin de prévenir la valse incessante des responsables de rédaction consécutive aux changements de propriétaires et de préserver l’indépendance rédactionnelle. Cette proposition mériterait donc d’être plus longuement étudiée par notre commission, par notre assemblée et par le Gouvernement.
Enfin, à un moment où, sur Internet, chacun se plaît à s’imaginer journaliste et où les sites de communication en ligne tendent à banaliser l’information, émerge un véritable besoin de redéfinir le métier de journaliste et d’inscrire la production d’informations à caractère professionnel sur le web dans une démarche de certification. Cela passe par la reconnaissance juridique d’un statut de l’éditeur de presse en ligne, comme l’a dit M. le président de la commission.
Le scandale de l’interpellation de M. de Filippis a démontré la nécessité d’une clarification de la responsabilité d’un éditeur de presse pour des propos tenus par un lecteur sur le site Internet d’une publication. La « procédure pénale plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes », réclamée à l’occasion par l’Élysée, se fait encore attendre.
Quelles suites comptez-vous donner, madame la ministre, à la question centrale du statut d’éditeur de presse en ligne ? Quel régime de responsabilité envisagez-vous pour l’éditeur de presse en ligne ?
En conclusion, je crois indispensable d’associer étroitement les parlementaires au processus de mise en œuvre et d’évaluation des recommandations des états généraux. C’est pourquoi je souhaite recevoir du Gouvernement l’assurance que nous serons régulièrement sollicités et consultés par le « Comité de suivi des états généraux », dont la mise en place a été annoncée le 23 janvier dernier.