Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 17 mars 2009 à 15h00
Débat sur l'avenir de la presse

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quel crédit accorder à des états généraux de la presse où la représentation des journalistes était réduite au minimum et où les quatre groupes de travail étaient présidés par des patrons de presse ? Des états généraux d’où les lecteurs ont été totalement absents, tout comme les associations de journalistes.

Il n’y a rien de surprenant à ce que, après avoir satisfait les patrons de l’audiovisuel privé, le Président de la République s’attache à répondre aux revendications des patrons de la presse.

Et les journalistes dans tout cela ? Car ce sont eux qui font l’information, le contenu du journal, et c’est bien le métier de journaliste qui est mis en question par la révolution numérique.

La seule mesure qui les concerne directement réside dans le remplacement du droit d’auteur lié à la publication par un droit lié à la durée d’exploitation. Ainsi les journalistes vont-ils se voir imposer, gratuitement, la polyvalence et la mise en commun des pages dans les groupes de presse. Il s’agit ici, de manière détournée, d’une cession de droit, même si cette cession est à durée déterminée. Or droit patrimonial et droit moral ne sont pas dissociables.

Ce simulacre de discussion a courageusement laissé de côté l’uniformisation de la presse et sa mise sous la tutelle de la rentabilité économique. Tout comme la commission Copé pour l’audiovisuel a été un leurre, les états généraux servent de vernis « légitimateur » aux revendications récurrentes des patrons de presse.

Nous sommes tous d’accord sur le constat : la publicité s’est détournée de l’information, la presse n’a plus les moyens de financer la production de l’information.

Nous nous trouvons face à une crise non seulement technologique et économique, largement accentuée par le contexte récent, mais également culturelle, voire sociologique. Les usages de la lecture et de l’information, en particulier par les jeunes, se sont complètement transformés.

Les états généraux de la presse, en se concentrant sur la diminution des coûts de fabrication et l’amélioration de la distribution, sont passés à côté du problème de fond. Mais, en deux mois, comment pouvait-il en être autrement ?

La tendance lourde qui se profile, c’est l’évolution vers l’information de masse, l’information rapide, faite par des précaires de l’information. On voit ainsi le triomphe des contenus interchangeables sur le net, comme les dépêches en continu sur les journaux du net et, à l’opposé, celui des blogs, qui sont essence même de la subjectivité et de l’opinion personnelle, le lieu, de fait, de positions très affirmées, face à des organes de presse aux lignes éditoriales perçues comme floues ou en perte de repères idéologiques.

Les blogs constituent également un relais d’informations peu ou pas retransmises par les médias traditionnels, et un lieu de confrontation de points de vue. D’ailleurs, la frontière entre blogs et organes de presse est elle-même floue puisque leur succès est tel que les journaux sont de plus en plus nombreux à intégrer des blogs sur leur site.

Internet a ainsi fait exploser nos modèles traditionnels d’intermédiation, en particulier celui des journalistes. Mais l’information peut-elle exister sans journaliste ? Est-ce toujours de l’information ou est-ce de la communication ? Or l’information n’est pas la communication. Si le journalisme évolue vers l’agrégation de contenus, cette évolution représentera un risque certain pour la démocratie.

Ces transformations posent la question du statut de l’intermédiation et, en contrepoint, celle de la qualité, de la légitimité, voire de la défiance à l’égard des contenus développés par la société civile.

Pour certains observateurs, ou même certains journalistes, Internet permet à toute une communauté qui ne se sent représentée ni par ses élites politiques ni par le milieu journalistique de s’exprimer.

Le Net constituerait, de fait, un moyen de revanche des classes moyennes en voie de déclassement et des professions intellectuelles en voie de marginalisation, par rapport au pouvoir économique, dans le cadre d’une lutte de classes sociales pour le pouvoir de médiation. Le radicalisme critique de la blogosphère contre l’establishment, qu’il soit politique, économique ou intellectuel, irait bien dans le sens de cette interprétation.

La question de la collecte de l’information est également posée. Jusqu’à maintenant, elle était structurée autour de grands organes de presse, de grands quotidiens. Or, peu à peu, les bureaux à l’étranger ferment, les correspondants sont rapatriés.

Il s’agit d’un mouvement généralisé : presse, radio, télévision, tous les médias sont touchés et, avec la crise généralisée, ce sont même des grands quotidiens reconnus internationalement qui risquent de mettre la clé sous la porte.

Malgré l’explosion du web à l’échelon planétaire, tous les pays ne sont pas couverts par Internet. Ils sont d’ailleurs beaucoup moins nombreux à l’être par Internet que par la presse écrite. C’est à un risque d’une réduction de la couverture des événements que nous sommes collectivement confrontés.

Dans ce contexte, nous sommes très inquiets pour l’avenir de l’AFP, seule agence de presse francophone à l’international. Là encore, c’est le désengagement de l’État qui se profile à l’horizon, avec le serpent de mer de la capitalisation de l’AFP. À cet égard, l’appel des enseignants-chercheurs à soutenir l’AFP n’est pas anodin.

Personnellement, j’acquiesce à la vision développée par ces universitaires, que je tiens à citer ici : « Leur combat est le nôtre, car il s’agit du même combat fondamental pour l’indépendance de ceux que l’on appelle aujourd’hui les travailleurs du savoir et de l’information. La garantie de l’indépendance des universitaires constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Une loi de 1957 garantit l’indépendance de l’AFP à l’égard des pouvoirs publics et de tout autre “groupement idéologique, politique ou économique”. »

« Leur combat est le nôtre, parce que la mission de l’AFP est définie par la loi comme celle “de rechercher tant en France qu’à l’étranger les éléments d’une information complète et objective”. Comme nous, les journalistes défendent le pluralisme, le souci de la vérité et le droit, pour tous les citoyens, d’accéder librement à une connaissance et à une information les plus objectives possible.

« Ce combat est le combat contre le renoncement à l’ambition au profit de la réussite gestionnaire immédiate, contre le renoncement à la création et à la diversité au profit de la standardisation et de la banalisation par le marché, contre le renoncement à l’indépendance au profit de la privatisation du financement et au contrôle par des groupes industriels ou financiers privés. »

Nous sommes toujours dans la même lignée : le mépris avéré du Président de la République pour l’indépendance, que ce soit celle des chercheurs, celle des magistrats ou celle des journalistes.

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