Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 17 mars 2009 à 15h00
Débat sur l'avenir de la presse

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années déjà, la presse écrite française est en crise, crise que l’on peut qualifier de structurelle et que l’actuelle situation économique ne fait bien sûr qu’aggraver. Tous les titres de la presse quotidienne d’information politique, pris en ciseaux entre une baisse continue des recettes et le maintien de coûts de production élevés, sont confrontés à des difficultés aiguës.

Les états généraux de la presse qui se sont tenus ces derniers mois ont été une bonne chose. Ils avaient pour objectif d’apporter des réponses aux problèmes économiques que rencontre aujourd’hui la presse écrite, notamment face au développement de l’information sur Internet et des journaux gratuits. Soulignant qu’il s’agissait de la pire crise à laquelle la presse écrite ait jamais été confrontée, les cent cinquante membres des états généraux, dont il faut d’ailleurs saluer le travail collectif, ont adopté quatre-vingt-dix propositions susceptibles de redynamiser le secteur.

Le 23 janvier dernier, le Président de la République a présenté les mesures de soutien qu’il a retenues parmi les quatre-vingt-dix qui avaient été préconisées. L’aide que l’État consentira représente un total de 200 millions d’euros par an pendant trois ans ; elle sera répartie entre le soutien aux marchands de journaux et au portage à domicile, et l’abonnement gratuit de chaque jeune Français à un quotidien de son choix pendant l’année de ses dix-huit ans.

Par ailleurs, un statut d’éditeur de presse en ligne sera créé, et l’aide de l’État au développement des journaux sur Internet augmentera. A été également annoncée une évolution du régime des droits d’auteur des journalistes, qui sera adapté à l’ère numérique ; cela me semble tout à fait indispensable, tant pour les journalistes que pour les photographes. Un amendement allant en ce sens a d’ailleurs été déposé à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.

Enfin, il est prévu d’expérimenter pendant six mois, mais sans toucher à la loi Bichet, des formes alternatives de distribution, par exemple la distribution des quotidiens nationaux par le réseau de la presse régionale, ou la distribution par les éditeurs eux-mêmes de leurs titres dans des enseignes spécialisées.

Avant d’approfondir ces propositions, madame la ministre, je souhaite rappeler l’attachement des sénateurs centristes à une presse indépendante et de qualité. Celle-ci joue en effet un rôle déterminant dans la construction de l’opinion publique, dans l’exercice de notre démocratie. Elle est en tout cas nécessaire à l’émergence d’une culture commune partagée.

C’est pour cela qu’elle doit être pluraliste, vivante, dynamique, indépendante, pour cela qu’elle doit vivre de ses propres moyens, pour cela qu’elle doit reposer sur des rédactions fortes, pour cela également qu’il faut se préoccuper de l’écart croissant entre ceux qui lisent régulièrement la presse et ceux qui la lisent peu.

Le diagnostic de la crise de la presse est connu depuis fort longtemps : investissements trop faibles, offre éditoriale inadaptée, baisse de la diffusion, vieillissement du lectorat, diminution du nombre des points de vente, déclin des recettes publicitaires, fuite des petites annonces vers le Net, qui est un média global, interactif et gratuit, et, par voie de conséquence, pertes d’exploitation.

Notre ancien collègue Louis de Broissia avait établi dans un rapport sur la crise de la presse quotidienne d’information un constat particulièrement préoccupant quant à l’érosion du lectorat de la presse écrite payante. Alors qu’il est 31e à l’échelle mondiale, notre pays ne se classe qu’au 12e rang européen pour la diffusion des quotidiens, avec moins de 160 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants.

Or la situation morose de la diffusion de la presse quotidienne payante contraste avec la bonne santé affichée par la presse gratuite. Il s’agit donc non pas d’une diminution de la demande d’information, mais bien plutôt de la crise d’un modèle.

Pour sortir de cette crise, il est à mon sens indispensable de rationaliser les coûts de production, et ce à tous les niveaux de la chaîne. Agir seulement sur les coûts d’impression, qui, il est vrai, sont les plus élevés d’Europe, ne sera pas suffisant.

Il est en outre essentiel de mieux prendre en compte les besoins nouveaux de qualification : l’accent doit être tout particulièrement mis sur les efforts de formation des personnels de fabrication de la presse, afin de leur permettre de s’adapter au nouvel environnement numérique.

Il est également indispensable de développer de nouveaux modes de diffusion. La presse gratuite, qui bénéficie massivement du portage, est très facilement accessible à ses lecteurs. Au contraire, la presse quotidienne payante l’est bien moins. C’est pourquoi il nous semble nécessaire de poursuivre les initiatives actuellement en cours dans le cadre du plan Défi 2010 et de les encourager.

Le Président de la République a affirmé sa volonté de « mettre le diffuseur au centre de tout » en changeant ses conditions de travail, en développant l’assortiment et en plafonnant les invendus, mais aussi en développant le réseau sous toutes ses formes. Ces propositions répondent en grande partie au problème de l’accessibilité de la presse, mais elles doivent s’accompagner d’une réflexion sur le portage.

Notre collègue souligne dans son rapport budgétaire pour 2009 qu’il est indispensable que soit menée une réflexion sur la revalorisation du métier de porteur, notamment sur l’opportunité de sa transformation en service à la personne. Le système actuel d’aide au portage, insuffisamment incitatif, mériterait d’être rénové en vue de stimuler et de viabiliser des réseaux de portage multi-titres, dans lesquels d’autres acteurs du secteur de la presse ont peut-être vocation à être intégrés, notamment la presse magazine.

Une partie de la réponse à la crise de la presse payante réside aussi, à l’évidence, dans le renouvellement de l’offre éditoriale. Dans un contexte de concurrence accrue en matière de diffusion de l’information de la part d’Internet ou des chaînes d’information en continu, il appartient assurément à nos quotidiens non seulement de se montrer plus réactifs, mais également de mettre en évidence leur valeur ajoutée, à savoir, au-delà du simple exposé de l’actualité brute, une analyse critique des faits.

Cette réflexion sur les contenus, sur l’éthique du métier, sur le traitement de l’information comme sur le fonctionnement et les pratiques des rédactions est primordiale pour restaurer le lien de confiance entre la presse et ses lecteurs, ceux-ci jugeant trop souvent celle-là négative, pour ne pas dire catastrophiste.

Cela passe notamment par le renforcement de la formation initiale et continue : une grande avancée des états généraux de la presse a été l’apparition d’une quasi-unanimité autour de l’idée d’une formation minimale obligatoire aux spécificités de la profession – notamment droit et éthique – dans les deux premières années d’exercice. Il est indispensable de la mettre en œuvre rapidement.

À l’évidence, il faut investir dans les nouveaux supports, comme Internet, car il n’y a d’avenir que dans le bimédia. Le passage de la presse écrite payante au monde du numérique n’implique pas que celle-ci se conforme aux codes de lecture déjà en vigueur sur la toile ; bien au contraire, elle doit investir Internet pour y diffuser sa propre identité. Afin de se distinguer des autres sites à caractère informatif, tels que les blogs, la presse écrite en ligne a vocation à s’inscrire dans une démarche de certification permettant aux lecteurs de faire la différence entre une information de qualité, à caractère professionnel, et les autres sources d’information.

Enfin, il est absolument nécessaire de sensibiliser les jeunes générations à la lecture de la presse écrite. Je salue l’initiative, madame la ministre, qui consiste à abonner chaque jeune Français à un quotidien l’année de ses dix-huit ans, même si, comme l’a exposé notre collègue Jacques Legendre, l’efficacité d’une telle mesure suppose qu’on étudie de près les modalités.

Cette mesure pourrait s’accompagner d’autres visant à rapprocher la presse quotidienne de ses futurs lecteurs en garantissant le libre accès des quotidiens aux classes de collège et en favorisant l’installation de points de vente dans les lycées, comme le préconisait d’ailleurs la commission des affaires culturelles dans son rapport sur la presse quotidienne d’information. De même, les enseignants doivent être encouragés à dispenser une formation critique aux médias.

En tout état de cause, il nous semble important de remettre le citoyen, en particulier le jeune citoyen, au centre de l’enjeu démocratique que représente la presse. Car, selon la célèbre formule, « la liberté de la presse n’est pas un privilège des journalistes, mais un droit des citoyens ».

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