Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 17 mars 2009 à 15h00
Politique étrangère — Lecture d'une déclaration de politique générale du gouvernement

Jean-Louis Borloo, ministre d'État :

« Parce que notre politique étrangère et de défense est l’affaire de la nation, le Gouvernement a décidé de solliciter la confiance de la majorité à l’Assemblée nationale pour servir une certaine idée de la France dans le monde.

« Car oui, ce débat ne peut se résumer à la seule question de l’OTAN, qui ne constitue qu’un des volets de notre diplomatie et de notre sécurité.

« Si l’Alliance atlantique était autrefois une réponse des démocraties face à la menace soviétique et, de ce fait, l’un des symboles idéologiques et militaires de la guerre froide, elle n’est désormais qu’une structure parmi d’autres. Elle n’est plus et elle n’est pas l’expression d’une politique globale !

« En 1966, en plein cœur des tensions Est-Ouest, notre retrait de l’Organisation constitua un choc. Mais, en 2009, notre retour ne constitue qu’un ajustement qui, de ce fait, ne provoque aucun émoi dans le concert international.

« Notre pleine participation aux structures de l’Alliance n’est qu’un moyen parmi d’autres de placer notre pays en capacité de répondre aux défis de son temps.

« La France n’est grande que lorsqu’elle est grande pour le monde. C’est ainsi : notre nation se sent investie d’une responsabilité universelle, et les circonstances géopolitiques en élargissent les horizons.

« L’interdépendance des enjeux sécuritaires, économiques, écologiques, constitue la césure historique du XXe siècle. Elle est la conséquence de la disparition de la bipolarité d’hier, de l’extension de l’économie de marché et du développement accéléré des technologies de l’information et de la communication.

« Cette interdépendance signe la fin du monopole de la puissance et du progrès si longtemps détenu par les seuls Occidentaux.

« La spectaculaire émergence de la Chine et de l’Inde est le point saillant de ce rééquilibrage politique et économique.

« Ce monde globalisé et complexe ne rend que plus légitime et nécessaire notre vocation internationale.

« Pour elle, nous croyons à l’égale dignité des nations et à la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.

« Face aux tyrannies, nous sommes l’avocat des droits de l’homme.

« Devant l’uniformité rampante, nous défendons de Dakar à Québec la diversité des héritages culturels et linguistiques.

« Face aux tentations hégémoniques, nous opposons la légalité internationale et le multilatéralisme.

« Devant les grands enjeux actuels, nous militons en faveur d’une mondialisation réorganisée, plus équitable et mieux maîtrisée.

« Cet universalisme français prolonge la défense de nos intérêts nationaux.

« N’en déplaise aux esprits angéliques qui négligent les rapports de force et aux idéalistes qui prophétisent la fin des nations, la France demeure une puissance qui a des objectifs propres. Nous les orchestrons de façon collective. Nos intérêts se conjuguent avec ceux de l’Europe.

« Ils s’articulent avec ceux de nos alliés les plus fidèles, dont font partie les États-Unis, mais aussi avec ceux de nos partenaires qui entretiennent des relations de confiance avec nous.

« Au Maghreb, au Proche-Orient et au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, en Russie, il y a de grands peuples avec lesquels nous partageons une estime réciproque qui s’enracine dans les profondeurs de nos mémoires et de notre histoire.

« La promotion de nos valeurs et de nos intérêts constitue notre permanence politique. Elle est servie par notre indépendance. Notre nation ne reçoit d’ordre de personne ! Elle doit être libre de décider par elle-même et pour elle-même.

« L’autonomie de notre politique est complète sur le plan stratégique avec notre force de dissuasion nucléaire, qui protège nos intérêts vitaux.

« Elle l’est aussi sur le plan diplomatique.

« De notre engagement armé en Yougoslavie à celui en Afghanistan, de notre refus catégorique de nous associer à la seconde guerre en Irak à l’initiative franco-égyptienne en faveur de Gaza, la France agit et agira toujours selon ses convictions.

« Lorsque nous relançons le dialogue avec la Syrie ou la Libye, lorsque nous demandons, avant la conférence de Bali, des engagements contraignants de réduction du CO2, lorsque nous prenons l’initiative d’intervenir dans la crise russo-géorgienne, nous décidons et œuvrons selon nos vues.

« Cette indépendance de ton et d’action qui est la marque de la France s’inscrit dans notre choix résolu de la solidarité.

« Solidarité d’abord avec l’Union européenne, pour laquelle tous les Présidents de la République se sont engagés de façon continue, avec un objectif identique : faire de l’Europe, non pas seulement un espace économique, mais une force politique.

« Sous la conduite de Nicolas Sarkozy, la présidence française de l’Union aura révélé l’Europe sous un jour nouveau.

« Oui, l’Europe a le pouvoir d’influer et de peser sur les affaires du monde ! Elle a un destin singulier dès lors qu’elle s’en saisit avec courage !

« L’Europe mérite, avec le traité de Lisbonne, une organisation institutionnelle plus stable. La France a la conviction que l’Europe ne peut être un géant économique sans prétendre au premier rang diplomatique et militaire.

« Solidarité ensuite avec nos alliés, notamment américains.

« De la crise de Cuba à la première guerre en Irak, de la crise des euromissiles au 11 septembre 2001, la France ne s’est jamais départie de son amitié à l’égard du peuple américain.

« La France, alliée mais pas vassale, fidèle mais insoumise, toujours fraternelle mais jamais subordonnée : voilà la nature de notre relation avec l’Amérique.

« L’Amérique est une puissance globale, et la sagesse comme les réalités géopolitiques nous commandent de juger sa diplomatie sur ses actes et non sur ses intentions. L’amitié ne se confond pas avec la naïveté !

« L’élection de Barak Obama ouvre pourtant des perspectives que nous devons saisir. La gauche a applaudi à tout rompre cette élection américaine, mais n’hésite pas à marquer sa défiance vis-à-vis de l’Amérique dès lors que l’on évoque l’Alliance atlantique.

« Entre fascination et appréhension, il existe pourtant une voie pragmatique pour renouveler les instruments et les objectifs de la relation franco-américaine et euro-américaine.

« Plusieurs sujets cruciaux réclament une nouvelle dynamique commune.

« Il y a d’abord l’Iran.

« Notre devoir absolu est d’éviter la contagion nucléaire et, pour cela, il faut défendre le régime international de non-prolifération. Nous avons renforcé les sanctions du Conseil de sécurité et poursuivi nos offres de dialogue avec Téhéran. Aujourd’hui, les États-Unis nous rejoignent sur cette approche ferme, mais ouverte. Il semble qu’ils convergent vers l’idée que nous défendons depuis longtemps d’un dialogue franc et direct avec Téhéran.

« Avec la Corée du Nord, la crise iranienne a fait ressurgir la question nucléaire, qui est aggravée par le développement des missiles balistiques de moyenne portée.

« La question nucléaire doit être résolue par le partage encadré du nucléaire civil.

« Elle doit l’être aussi par une attitude responsable de la part de ceux qui détiennent la dissuasion. Dans cet esprit, nous demandons aux États-Unis comme à la Chine de ratifier le traité d’interdiction complète des essais nucléaires comme nous l’avons fait nous-mêmes il y a onze ans. Nous soutenons la relance d’une négociation entre les États-Unis et la Russie, afin d’aboutir, de part et d’autre, à une dissuasion strictement minimale.

« Nous souhaitons enfin l’ouverture sans délai de la négociation d’un traité d’interdiction de la production des matières fissiles pour les armes nucléaires.

« Il y a aussi l’Afghanistan.

« Le Gouvernement a défendu la nécessité de l’engagement de la France dans ce pays, qui fut la base arrière du terrorisme international.

« Je veux ici saluer la mémoire du caporal Belda, du 27e bataillon de chasseurs alpins, qui a trouvé la mort au cours d’un accrochage dans la province de Kapissa, samedi dernier. Le courage et le professionnalisme de nos soldats font l’honneur de la France !

« Sécuriser l’Afghanistan, reconstruire ses infrastructures, réconcilier le peuple afghan, transmettre aux autorités légitimes les moyens d’exercer la pleine souveraineté de cet État : voilà notre stratégie. Pour tout cela, nous voulons rompre avec une gestion exclusivement militaire de la crise afghane. Il faut une approche politique d’ensemble et il semble que les États-Unis y soient désormais sensibles.

« Il y a enfin, avec nos partenaires américains, le sujet central de la lutte contre le changement climatique.

« Sous l’impulsion de la France, l’Europe est parvenue à un accord ambitieux. Mais l’Europe ne peut agir seule. Les États-Unis semblent enfin prendre la mesure de leurs responsabilités vis-à-vis des prochaines générations. Avec le sommet de Copenhague de décembre 2009, il va falloir maintenant passer aux décisions et aux actes !

« Cette solidarité de la France s’exprime aussi avec l’espace méditerranéen.

« Le projet de l’Union pour la Méditerranée marque notre ambition de dessiner les contours d’une étroite collaboration euro-méditerranéenne.

« Nous voulons désavouer et désarmer ceux qui en appellent au choc des civilisations. Nous refusons la logique des fanatiques. Nous refusons de nous laisser enfermer dans des schémas manichéens. Entre l’Occident et l’Orient, la France est et restera une médiatrice.

« En toute indépendance et malgré les critiques, nous avons pris le risque de renouer avec Damas. Nous croyons que la Syrie peut apporter une contribution importante à la paix dans la région. Elle l’a montré au Liban avec la conclusion de l’accord de Doha. Elle peut nous aider à convaincre le Hamas de faire le choix de la raison, celui de la réconciliation interpalestinienne et de la négociation avec Israël.

« Dès le premier jour de la crise de Gaza, le Président de la République a cherché une issue au conflit, dans un esprit d’équilibre et de justice. Cette crise et son bilan dramatique montrent qu’il n’y aura pas de solution militaire au conflit.

« La France affirme qu’Israël doit pouvoir vivre en paix, dans des frontières reconnues, et que la Palestine doit pouvoir vivre libre, en jouissant de sa pleine souveraineté.

« Dans cette région, seul le courage des compromis politiques permettra de sortir de l’impasse.

« Le Président de la République a proposé de tenir au printemps un sommet de relance du processus de paix.

« Solidarité aussi de la France avec l’Afrique.

« Nous croyons en l’avenir de cet immense continent. Et c’est pourquoi nous demeurons l’un des principaux pourvoyeurs d’aide publique au développement.

« Nous nous sommes engagés au Darfour en sécurisant les camps à l’est du Tchad. Nous avons amené nos partenaires européens à nous appuyer dans la mise en œuvre de l’EUFOR, la plus grande opération militaire de l’Union européenne. Signe de son succès, les Nations unies viennent de prendre le relais de cette force européenne.

« Solidarité, enfin, avec l’Organisation des Nations unies.

« Pour la France, le droit international est l’expression d’une morale universelle. Il est la source d’un ordre légal face à la violence. En l’espace d’un demi-siècle, les interventions successives de l’ONU ont couvert les échecs de la SDN.

« Pour autant, la France estime que la gouvernance internationale, issue de l’après-guerre, ne répond que partiellement aux enjeux d’aujourd’hui. Nous soutenons le processus de réforme du Conseil de sécurité des Nations unies et militons en faveur de son élargissement.

« Nous avons proposé l’extension du G8 en G14. Nous avons joué un rôle moteur dans la réforme des droits de vote au sein du FMI. Enfin, nous nous faisons sans cesse les avocats d’une meilleure représentation de l’Afrique au FMI et à la Banque mondiale.

« Avec l’Union européenne, la France a pris la tête des efforts pour bâtir une véritable régulation financière internationale. Nous voulons corriger les causes de la crise actuelle.

« Le Conseil européen du 19 mars définira une position européenne pour le sommet du G20, à Londres, le 2 avril.

« La France exigera des changements clairs en matière financière : régulation des hedge funds et des agences de notation, encadrement des rémunérations, réforme des normes comptables, lutte contre les centres offshore. L’idée que nous nous faisons de l’économie mondiale n’est pas celle d’un vaste casino sans règles et sans éthique qui ne peut que mener à la catastrophe.

« S’il est une leçon que nous devons retenir du général de Gaulle, c’est bien celle qui consiste à ne jamais regarder l’avenir avec les yeux du passé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion