Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 17 mars 2009 à 15h00
Politique étrangère — Lecture d'une déclaration de politique générale du gouvernement

Jean-Louis Borloo, ministre d'État :

« Il y a dix-huit ans de cela, le Premier ministre publiait dans un journal du soir une tribune provocante en faveur du retour de la France dans l’OTAN. Avec la chute du mur de Berlin, il estimait que nous devions profiter de l’occasion pour rééquilibrer l’Alliance au profit de l’Europe et convaincre nos partenaires de renoncer à la tutelle américaine.

« À la lecture de cette tribune, le président Mitterrand l’invita à venir s’entretenir de ce sujet avec lui. Il garde en mémoire son verdict : “Vous voyez, lui dit-il, nous avons eu tellement de mal à faire venir les Américains en Europe qu’il ne faut rien faire qui puisse les en faire partir.” À l’évidence, François Mitterrand ne voulait pas d’une initiative qui aurait risqué d’entraîner le désengagement des Américains.

« Il ne nous appartient pas de juger de l’analyse d’un homme dont la pensée reflétait toute une époque, mais aussi toutes les ambivalences d’une posture oscillant entre indépendance et alliance, défiance et attirance vis-à-vis des États-Unis.

« Mais il nous revient en revanche de souligner que les termes du débat ont radicalement changé. Notre sécurité ne se joue plus à nos frontières et le spectre de la destruction mutuelle assurée ne pèse plus sur notre continent. La bipolarité d’antan a laissé place à la multiplicité des acteurs et à la dissémination des risques.

« La France et l’Europe ne sont plus menacées d’envahissement. Leur sécurité n’est pas pour autant acquise. De nouvelles menaces exacerbées par les conflits en cours au Proche-Orient et au Moyen-Orient ont surgi : le terrorisme global qui instrumentalise et détourne l’islam, la prolifération des armes de destruction massive.

« L’URSS est devenue la Russie et s’est ralliée à l’économie de marché. L’empire soviétique disloqué, ses États satellites se sont libérés et ont rejoint l’Union européenne et, pour certains d’entre eux, l’Alliance atlantique.

« Les États-Unis ont retiré 80 % de leurs forces de notre continent, qu’ils ne jugent plus comme une priorité au regard des intérêts que recouvrent l’Asie et le Moyen-Orient.

« L’ONU s’est renforcée et l’Europe s’est affermie.

« À la lisière de toutes ces transformations, l’OTAN n’est plus l’organisation dont certains parlent.

« Il y a quarante ans, le général de Gaulle se retirait d’une organisation compacte, dressée face au pacte de Varsovie, et exclusivement dirigée par les États-Unis. Depuis, c’est la notion de coalition d’États volontaires à participation variable qui s’est imposée, au détriment des schémas rigides de la guerre froide.

« En 1966, la logique des blocs réglait la géopolitique mondiale. Rester dans les structures intégrées de l’OTAN, c’était aliéner les choix politiques de la France à cette logique binaire que le général de Gaulle voulait transcender.

« En 1966, les États-Unis imposaient la doctrine de la riposte graduée à l’OTAN et ils n’y prévoyaient aucun partage des responsabilités. Rester dans les structures intégrées, c’était prendre le risque de nous retrouver engagés dans des conflits qui n’étaient pas les nôtres.

« En 1966, il y avait 26 000 soldats américains sur le sol français, et aucune perspective de réorganisation de l’Alliance.

« En 1966, la France disposait, depuis deux ans, d’armes nucléaires opérationnelles et notre stratégie de dissuasion et d’action nous portait à repenser les termes de notre autonomie.

« Cette autonomie ne fut cependant jamais conçue comme une marque de neutralité ou de défiance vis-à-vis de l’Alliance atlantique, dont nous sommes toujours restés membres.

« À peine le retrait décidé, nous confirmons par plusieurs accords notre volonté de continuer à travailler avec l’OTAN : l’accord Ailleret-Lemnitzer, en 1967 ; l’accord Valentin-Ferber, en 1974.

« En 1983, se tient à Paris un Conseil atlantique, ce qui constituait une première depuis 1966.

« En 1991, la France participe à la rédaction du nouveau concept stratégique de l’Alliance.

« Dans les années quatre-vingt-dix, nous sommes de toutes les opérations en Bosnie, où la France, pour la première fois, participe à une opération de l’OTAN.

« À partir de 1993, toujours sur décision de François Mitterrand, le chef d’état-major des armées est autorisé à intervenir au comité militaire de l’OTAN sur les questions de maintien de la paix ; à partir de 1994, sur l’adaptation des structures de l’Alliance, sur la coopération avec l’Est et sur la non-prolifération.

« En 2004, plus d’une centaine de Français sont affectés aux commandements de Mons et Norfolk.

« Aujourd’hui, nos troupes sont engagées avec l’OTAN au Kosovo et en Afghanistan.

« Nous sommes le quatrième contributeur de l’OTAN en termes de forces. Nous sommes présents dans quasiment tous les comités de l’OTAN. Insensiblement, les faits et la volonté politique recréaient donc notre participation croissante aux structures de l’OTAN.

« Il s’agit aujourd’hui de franchir une dernière marche.

« Cette dernière marche, prétend l’opposition, affaiblira notre indépendance, ce qui est naturellement faux. Il faut avoir peu confiance en la France pour penser un instant qu’elle puisse être ligotée par sa présence dans un comité. Et c’est au surplus bien mal connaître le fonctionnement de l’OTAN.

« Depuis la déclaration d’Ottawa de 1974, rien ni personne ne vient contester l’autonomie de notre stratégie nucléaire, qui n’est pas négociable.

« Chacun sait que la participation à l’OTAN n’entraîne aucune automaticité politique et que les décisions du Conseil atlantique sont prises à l’unanimité.

« Devons-nous rappeler que l’Allemagne a refusé de s’engager en Irak aux côtés des Américains et que la Turquie a refusé de servir de base arrière ?

« Devons-nous souligner que, même dans le cadre de l’article 5 de l’Alliance – celui qui prévoit une défense collective en cas d’agression d’un de ses membres –, chaque nation décide des moyens qu’elle entend employer ?

« Nous conserverons l’indépendance de notre dissuasion nucléaire et notre liberté d’appréciation sur l’envoi de nos troupes.

« Nous ne placerons pas de contingent en permanence sous commandement allié en temps de paix.

« Ces trois principes sont posés par le Livre blanc, et personne au sein de l’Alliance n’y voit rien à redire.

« Et puis nous invitons l’opposition, qui joue sur la corde nationale, à aller dire, les yeux dans les yeux, à Angela Merkel, à Gordon Brown ou à José Luis Zapatero que leurs nations ne sont pas souveraines dans leurs choix !

« En réalité, la question de l’indépendance et de l’autonomie qu’agite l’opposition n’en est pas une.

« La vraie question est la suivante : pourquoi prendre cette décision maintenant et pour quoi faire ?

« Pourquoi maintenant ?

« Nous sommes là au cœur d’un des principes clés de la politique étrangère : l’art d’utiliser les circonstances.

« Quatre événements nous poussent à réinvestir l’OTAN.

« Premièrement, la présidence française de l’Union européenne a redonné du sens à l’action politique et à l’autonomie diplomatique de l’Europe, comme l’a montré la crise géorgienne.

« Deuxièmement, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne doit servir de levier pour accentuer l’efficacité et le rayonnement de l’Union européenne.

« Troisièmement, l’arrivée d’une nouvelle administration américaine dont il faut saisir au plus vite les potentialités, avant que les habitudes ne reprennent le dessus.

« Enfin, quatrièmement, la redéfinition du concept stratégique de l’OTAN, qui date de 1999.

« Voilà les circonstances qui militent en faveur d’une initiative française.

« Que voulons-nous faire dans l’OTAN et que voulons-nous faire de l’OTAN ? C’est la seconde question qui importe.

« Notre nation entend faire partager ses convictions.

« Pour la France, l’OTAN doit d’abord être un instrument de défense destiné à la protection de ses membres. Elle doit être avant tout une alliance militaire, fondée sur des valeurs communes, et non une sorte de fer de lance occidental agissant partout et sur tout.

« En dehors de cela, elle est au service du droit international et ne peut être l’outil d’un interventionnisme unilatéral.

« Nous voulons défendre la règle du consensus au Conseil atlantique, dont dépend la prise en compte de nos positions.

« Nous voulons alléger et simplifier les structures actuelles.

« Nous voulons, dans le cadre des accords « Berlin plus », donner à l’Union européenne le pouvoir d’utiliser réellement les moyens de l’Alliance.

« Nous voulons, en réinvestissant l’OTAN, permettre à notre pays d’influer plus largement sur la définition des stratégies et la conduite des opérations.

« Nous voulons également que la Russie soit traitée en partenaire.

« C’est à Paris, en mai 1997, que fut signé, sur l’initiative de la France et de l’Allemagne, l’Acte fondateur sur la coopération et la sécurité mutuelles entre l’OTAN et la Russie.

« La France – avec son partenaire allemand – croit à la nécessité de respecter la Russie. Cette grande nation européenne doit être amenée à contribuer aux équilibres du monde.

« Depuis le XVIIIe siècle, ce pays immense a toujours été au centre des équilibres européens.

« Comme avec les États-Unis, nous avons des liens particuliers avec le peuple russe qui, par deux fois, en août 1914 et en 1944, contribua à sauver la France.

« Le dialogue et la collaboration avec Moscou sont parfois difficiles mais indispensables. Ils ne peuvent se limiter à un face-à-face avec les États-Unis. L’Europe doit y avoir sa place.

« Nos relations avec la Russie ne doivent pas être bouleversées par des élargissements précipités de l’Alliance atlantique. En retour, la Russie doit respecter l’indépendance des pays qu’elle a elle-même acceptée.

« Nous avons en partage la stabilité et la sécurité de notre continent.

« Nous sommes communément menacés par les risques de dissémination nucléaire et le développement des armes balistiques de moyenne portée. Face à cette menace potentielle, c’est ensemble que nous pourrions imaginer un système de défense anti-missile compatible, étant entendu que, pour la France, celui-ci ne peut être qu’un complément à la dissuasion, sans s’y substituer.

« De l’Atlantique à l’Oural, c’est ensemble que nous devons définir un nouveau pacte de sécurité continental !

« Mesdames, messieurs les sénateurs, la France rejoint l’OTAN pour donner à l’Europe de la défense sa véritable dimension.

« Pourquoi l’Europe reste-t-elle encore, en ce domaine, et malgré les progrès accomplis, en deçà de ce qu’elle devrait être ?

« La raison en est simple, et elle n’est pas nouvelle : pour nos principaux partenaires européens, un pas de plus vers l’Europe de la défense fut longtemps considéré comme un pas en arrière dans l’OTAN.

« Cette crainte inhibe les initiatives.

« Nous voulons la dissiper.

« Nous voulons stopper ce jeu à somme nulle qui consistait à monter l’Europe de la défense contre l’OTAN et l’OTAN contre l’Europe de la défense.

« Nous voulons sortir l’Europe de cette impasse en allant convaincre nos partenaires là où ils sont, c’est-à-dire à l’OTAN !

« Voilà le sens de l’initiative du Président de la République.

« Pour audacieuse qu’elle soit, cette initiative n’est pas totalement inédite.

« En 1990, alors que le débat sur l’architecture européenne post-guerre froide battait son plein, François Mitterrand s’interrogea sur la façon de résoudre la triple équation que nous avons décidé de trancher : comment réconcilier le statut particulier de la France et sa participation croissante dans les nombreuses activités de l’Alliance ? Comment peser sur les évolutions de l’institution atlantique ? Enfin, comment, du même coup, faire émerger une défense européenne digne de ce nom ?

« Le Président Mitterrand tenta de résoudre cette équation, sans y parvenir.

« Entre 1995 et 1997, Jaques Chirac lança, très officiellement, une initiative destinée à replacer la France dans l’OTAN avec, pour contrepartie, l’attribution du commandement de la zone sud et le renforcement du pilier européen de défense.

« L’initiative, on le sait, échoua.

« Aujourd’hui, le Président de la République renouvelle les termes de cette ambition, avec la conviction que les conditions s’y prêtent et qu’il faut agir maintenant.

« Elles s’y prêtent, car les États-Unis reconnaissent enfin l’utilité et la légitimité d’une Europe de la défense plus solide.

« Elles s’y prêtent, car l’Europe prend chaque jour un peu plus ses responsabilités.

« Sous la présidence française de l’Union européenne, plusieurs décisions ont été actées.

« Une direction de la planification civile et militaire sera créée au mois de juin prochain.

« Elle disposera d’une composante déployable.

« Des projets capacitaires à géométrie variable, tels que la création d’une flotte de transport aérien stratégique et le lancement d’un programme de satellites d’observation militaire, sont lancés.

« Les vingt-trois opérations civiles ou militaires prouvent que l’Europe est en mesure de faire entendre sa voix et sa force.

« C’est le cas dans le Golfe d’Aden face aux pirates.

« C’est le cas au Tchad où nous avons permis le retour de 40 000 réfugiés.

« C’est le cas en Géorgie où l’Europe surveille la situation.

« Et ce pourrait être enfin le cas pour sécuriser les frontières de Gaza.

« Au cœur de toutes ces opérations, il y a la France, bien décidée à donner à l’Union européenne l’audace qui lui fit, par le passé, trop souvent défaut.

« Mesdames, messieurs les sénateurs, nous connaissons les critiques de l’opposition, et nous les croyons peu convaincantes.

« Notre indépendance et notre autonomie, dit-elle, seront réduites.

« Nous avons répondu à cette contre-vérité qui ignore le fonctionnement de l’Alliance atlantique.

« En toute hypothèse, le destin de la France ne se décide pas dans des comités !

« D’autres dans l’opposition prétendent que notre réintégration – dont ils conviennent qu’elle est déjà très largement engagée – est « inutile ». Mais si elle est inutile, comme ils le disent, notre pleine participation à l’OTAN n’a donc pas la gravité qu’ils tentent par ailleurs de démontrer !

« Nous avons répondu qu’il fallait sortir du statu quo pour provoquer au sein de l’Alliance et de l’Europe une nouvelle donne.

« En mal d’arguments solides, l’opposition évoque enfin la question du symbole.

« C’est un argument que nous ne balayons pas d’un revers de main.

« Notre histoire est traversée de symboles.

« Quarante ans après la décision de 1966, le fait que nous soyons encore là à évoquer l’héritage du général de Gaulle soulève en nous une fierté et une immense gratitude pour l’homme du 18 juin.

« Mais toute sa vie, le Général s’est défié des situations acquises.

« Les circonstances dictent les actes.

« Les actes doivent anticiper les situations de demain et non reproduire celles d’hier. Seuls comptent le rang et l’intérêt de la France.

« Or rien n’est plus contraire à notre rayonnement que la nostalgie.

« La donne géopolitique a changé, nous prenons l’initiative !

« Nous la prenons en Europe, à l’ONU, au G20, dans l’Alliance atlantique.

« Nous sommes en mouvement, l’opposition est à l’arrêt.

« Nous regardons le monde, l’opposition s’observe.

« Nous tentons de saisir le cours de l’Histoire, l’opposition tente vainement de la freiner.

« Pour tous les peuples qui se font une certaine idée de notre République, la France reste la France !

« Mesdames, messieurs les sénateurs, les circonstances évoluent, les structures changent, mais notre axe demeure : c’est celui de la grandeur. »

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