Intervention de David Assouline

Réunion du 17 mars 2009 à 15h00
Débat sur l'avenir de la presse

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis intervenu tout à l’heure avec une certaine retenue en qualité de rapporteur pour avis. En cet instant, j’interviens au nom du groupe socialiste, et mes propos seront donc moins nuancés.

Les internautes, dont je suis, consultant le site internet de l’excellente émission L’Atelier des médias de Radio France Internationale – antenne de service public dont je salue au passage les personnels, qui vivent actuellement un plan social douloureux – peuvent en ce moment assister, en vidéo, aux dernières heures d’un quotidien : le Rocky Mountain News de Denver, aux États-Unis.

Voilà donc des auditeurs de radio fréquentant le site de leur émission préférée sur internet, où ils apprennent, presque en direct, la disparition d’un journal « papier » à l’autre bout du monde…

D'ailleurs, ce matin même, j’apprenais la fin de l’édition « papier » du quotidien Seattle Post-Intelligencer, pourtant plus que centenaire – il fut fondé voilà près de cent cinquante ans –, qui a décidé de passer au « tout internet ».

À l’heure de la révolution numérique, l’anecdote est significative d’un temps où la mort prochaine de la presse écrite semble inéluctable et où il est de bon ton de condamner à brève échéance les éditeurs continuant à publier des journaux ou des magazines « papier ».

Il ne fait pas de doute que l’accélération du taux de raccordement des ménages à internet dans les pays occidentaux depuis le début des années 2000 a suscité une modification des pratiques d’accès à l’information, qui est particulièrement marquée chez les moins de vingt-cinq ans, pour lesquels le web représente une source apparemment inépuisable et gratuite de contenus écrits et audiovisuels sans cesse renouvelés.

Ainsi, comme je le soulignais dans le rapport que j’ai réalisé en octobre 2008, au nom de notre commission des affaires culturelles, sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse : « Selon un sondage Ipsos de novembre 2004, internet est [...] le média préféré pour 61 % des 15-25 ans et l’office des communications britanniques a récemment mis en lumière le fait que le temps consacré à naviguer sur la toile était devenu, pour les jeunes Britanniques, supérieur à celui passé devant la télévision. La génération digitale passe globalement 800 heures par an à l’école, 80 heures à discuter avec sa famille et 1 500 heures devant un écran ».

La désaffection parallèle des jeunes générations pour la lecture de la presse écrite d’information générale ne serait pas inquiétante en soi si ce public était suffisamment averti de la qualité et du statut des contenus en ligne.

Or les 15-25 ans ont majoritairement tendance à naviguer sur la toile de lien en lien, au gré de leur inspiration, plutôt qu’à faire une recherche précise ou à mobiliser des sites qu’ils connaîtraient par avance. Ce constat m’a amené, dans le rapport précité, à mettre en garde contre le potentiel de manipulation et de désinformation que recèle internet.

Dans ce contexte, l’avenir des journaux quotidiens, et même de la « grand-messe du vingt heures » télévisé semble bouché, et cela d’autant plus depuis que des titres comme ou La Tribune ont connu de graves difficultés économiques, entraînant des réductions d’effectifs jusque dans les rédactions et de douloureux changements de management, tandis que L’Humanité ou France Soir paraissent en état de perpétuelle convalescence.

Cette macabre impression est confirmée, ces dernières semaines, par la brutale descente aux enfers de puissants groupes de presse américains, comme Tribune, l’éditeur du Los Angeles Times et du Chicago Tribune, qui a été placé sous la protection de la loi sur les faillites en décembre dernier, alors que, à la même époque, les propriétaires du New York Times, confrontés en 2008 à une chute de 13 % des recettes publicitaires du quotidien de référence new-yorkais, décidaient d’hypothéquer le prestigieux siège du journal, en plein cœur de Manhattan.

Parallèlement, deux des principaux éditeurs européens de presse, l’allemand Bertelsmann et l’italien Mondadori, envisagent que 2009 soit une « annus horribilis » pour leur secteur, avec un recul des recettes publicitaires qui serait supérieur à 10 %. Ces sombres perspectives d’activité ont d’ores et déjà incité Bertelsmann à interrompre la publication de trois magazines en Europe.

S’il n’est pas étonnant que certains groupes de médias soient touchés significativement par la crise économique actuelle, le phénomène est inquiétant dans la mesure où les activités d’édition et de diffusion de journaux et de magazines sur support « papier » sont déjà fragilisées par la révolution numérique.

Or, malgré la baisse importante des investissements publicitaires que connaîtront les médias en général en 2009, il est probable que ceux qui sont réalisés sur internet continueront à progresser au détriment des chiffres d’affaires des autres supports.

En 2008, internet captait ainsi 15 % des investissements publicitaires, contre 9, 6 % seulement en 2006. Ce sont quelque 516 millions d’euros de recettes publicitaires, en augmentation de 12, 6 % par rapport à 2007, qu’a engrangées internet l’année dernière, contre 316 millions d’euros pour les quotidiens nationaux, un montant en baisse de 4, 4 % par rapport à l’exercice précédent.

Cette évolution structurelle du marché de la publicité est en fait représentative de l’intérêt grandissant des annonceurs pour des supports permettant une segmentation fine des publics visés.

Dans cette conjoncture, on pourrait conclure superficiellement que notre débat d’aujourd’hui porte sur la chronique d’une mort annoncée, celle de la presse écrite !

Pourtant, si les défis à relever pour la presse écrite en particulier et pour les médias d’information en général sont nombreux et complexes, j’affirme que nos journaux « papier » pourraient encore vivre de longues années de bonheur avec leurs lecteurs si nous disposions d’une politique susceptible de les soutenir.

Quelles sont nos raisons d’espérer ? Et quelles sont les conditions qui permettraient d’envisager sans inquiétude l’avenir de notre presse écrite ?

D’une part, selon les résultats d’une étude récente et contre toute attente, la presse quotidienne en 2008 a gagné des lecteurs en France, avec une progression de 2, 6 % pour les quotidiens régionaux, dont l’audience atteint ainsi 17, 8 millions de personnes, de 0, 9 % pour les quotidiens nationaux, avec 8, 8 millions de lecteurs, et même de 4 % pour les « gratuits », avec 4, 4 millions de lecteurs.

D’autre part, les résultats d’une enquête réalisée par l’institut MRCC pour sept quotidiens nationaux, huit quotidiens régionaux et dix-sept magazines à l’occasion des états généraux montrent que les lecteurs de la presse écrite choisissent celle-ci parce que journaux et magazines sont les supports d’information les plus indispensables à la démocratie, en même temps que les plus riches en informations de toutes sortes.

Cependant, les mêmes lecteurs jugent que la presse écrite a des points faibles rédhibitoires, qui constituent autant de raisons de ne pas acheter journaux et magazines : ainsi, les personnes interrogées estiment que les prix de la presse écrite sont élevés – suscitant la réflexion : « On n’en a pas pour son argent » ! – et que les journalistes de ses titres sont moins indépendants et objectifs que ceux des autres supports.

Autrement dit, pour continuer à acheter la presse, nos concitoyens la souhaitent riche, dense, proche des gens et agréable, mais aussi moins chère et plus crédible dans son contenu.

Les Français, et l’on peut raisonnablement croire que c’est aussi le cas des habitants des autres pays développés, semblent donc attachés à une presse de qualité, généraliste et accessible.

Or, il faut le constater, les principaux groupes de médias, pour s’adapter à ce que seraient les évolutions d’un marché déstabilisé par internet et la gratuité, prennent des options de développement qui sont susceptibles de décevoir ces attentes.

L’AFP se trouve aujourd'hui concernée au premier chef par ce problème. D'ailleurs, madame la ministre, je profite de ce débat pour vous poser une question simple : quel est votre point de vue sur l’évolution envisagée par le P-DG de l’AFP, qui a déclaré souhaiter que le statut de l’agence se rapproche de celui de La Poste ?

En tout cas, les patrons de presse, en tentant de pratiquer un journalisme plus rentable, réduisent la pagination des quotidiens et des magazines généralistes et n’hésitent plus à licencier des journalistes pour réduire les coûts de fonctionnement des équipes rédactionnelles.

Il y a là une contradiction avec le constat que je dressais voilà quelques instants : les Français continuent à croire à la presse écrite, parce qu’ils sentent qu’elle est plus riche, plus dense, et qu’elle dispose de davantage de contenu, ce qui correspond à leurs attentes ; pourtant, pour s’adapter à la nouvelle situation des médias et répondre à la crise, les patrons de presse réduisent la qualité, les moyens et la place réservée aux articles de fond !

Parallèlement, ils cherchent à développer des stratégies « multimédia », en faisant proliférer, sur papier ou sur internet, les éditions spécialisées animées par des « rédactions bis », composées de jeunes gens reproduisant à longueur de journée des dépêches d’agence.

Cette « perte de substance » du métier de journaliste amène d’ailleurs Jean-Marie Charon, sociologue des médias réputé, qui a participé aux travaux du pôle « presse et société » des états généraux de la presse écrite, à proposer que les journalistes « assis » soient moins bien rémunérés que les journalistes « debout », pour reprendre ses propres expressions.

Convenant lui-même du caractère provocateur de ce propos, son auteur s’en explique en estimant nécessaire d’interpeller les éditeurs : selon lui, il est important que la presse rende compte d’une information originale « de première main, […] obtenue dans un rapport direct avec les acteurs de l’actualité ».

La mutation accélérée du métier de journaliste préoccupe au sein même de la profession.

Ainsi, Bernard Poulet, rédacteur en chef à L’Expansion, dans un essai paru récemment, La fin des journaux et l’avenir de l’information, conclut à la disparition progressive du métier de journaliste, tel qu’il existait jusqu’alors, dont le cœur était constitué par le travail d’enquête, car il n’est plus assez rentable pour s’adapter à ce que seraient les nouveaux modes de consommation de l’information.

Pourtant, en contradiction avec les attentes de la société à l’égard de la presse, cette tendance risque d’approfondir le fossé entre des journaux d’information générale, aux contenus de plus en plus pauvres et ciblés, et leurs lecteurs. Ce fossé s’agrandira d’autant plus que la concentration dans le secteur des médias s’accroîtra.

En effet, nos concitoyens cherchent une information libre, qui soit traitée par des rédactions indépendantes, particulièrement en ces temps sombres de profonde crise économique et sociale.

Or, selon une enquête récente réalisée pour La Croix, une part considérable des Français – 63 % d’entre eux ! – pensent que les médias ne sont pas indépendants face aux pressions politiques et économiques.

Dans un pays où la grande majorité des titres de presse et des chaînes de télévision et de radio appartiennent à des conglomérats qui non seulement sont présents dans la communication, mais tirent le principal de leurs revenus des commandes publiques, dans les secteurs des travaux ou de l’armement par exemple

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