Il est certain qu’en affirmant régulièrement que le principal problème de la presse en France réside dans le manque de concentration des éditeurs, le Président de la République ne rassure pas les lecteurs des journaux sur le devenir de l’indépendance éditoriale des titres.
Qui plus est, en multipliant les interventions directes auprès des rédactions et les critiques à l’emporte-pièce à l’égard des journalistes, le chef de l’État fait montre d’une tentation bien mal réprimée de contrôler l’information, qui ne correspond guère au rôle de contributeur essentiel du débat démocratique que les Français veulent voir jouer à la presse !
De ce point de vue, la récente loi bouleversant l’ensemble du paysage audiovisuel afin d’organiser la mise sous tutelle du pouvoir du service public de la radio et de la télévision ne rassure pas sur les projets du président Sarkozy pour la presse d’information en général.
Dans ce contexte, les états généraux de la presse écrite ont certes constitué une occasion importante de débattre de l’avenir de la presse écrite, mais aussi manifesté le manque de maturité certain de notre société démocratique, où les acteurs mêmes des contre-pouvoirs appellent de leurs vœux le soutien de l’État !
Or, s’il est habituel, en France, que la politique d’aide à la presse et aux médias dépende du ministère quasi régalien qu’inaugura Malraux voilà cinquante ans, il n’était sûrement pas dans les projets du fondateur de la Ve République de voir l’hôte de l’Élysée jouer les rédacteurs en chef des télévisions, radios, magazines et quotidiens de tout le pays !
Ces états généraux ont, en effet, surtout péché par un vice essentiel : ils ont été organisés sur l’initiative du chef de l’État et pilotés directement par son équipe de collaborateurs.
Dès lors, il est difficile de faire croire que la presse n’est pas sous influence, surtout lorsque MM. Bolloré, Dassault et Lagardère détiennent les principaux leviers de commande économiques du secteur et que les journalistes ont été quasiment exclus des travaux des états généraux de la presse écrite !
De plus, le temps imparti pour traiter ce qui constitue un véritable enjeu de société fut bien court...
Les résultats des états généraux de la presse écrite suscitent donc légitimement la suspicion, même si certaines propositions, comme la création d’un statut d’éditeur de presse en ligne, vont naturellement dans le bon sens, sous réserve des conditions dans lesquelles elles seront mises en œuvre.
En réalité, le catalogue de mesures catégorielles dont ont accouché ces états généraux n’est pas à la hauteur du défi posé par la société à ses journaux et magazines, à savoir recréer de la confiance entre la presse écrite et tous les citoyens en quête d’une information fiable et plurielle.
À cet égard, certaines propositions du Livre vert sont inquiétantes : le doublement de la part des investissements publicitaires de l’État consacrés à la presse n’est-il pas une « fausse bonne idée » dans une République dont les citoyens jugent les médias déjà trop proches des pouvoirs politique et économique ?
Comment sera perçue par les Français l’insertion en pleine page de campagnes de communication gouvernementales dans leurs quotidiens préférés ?
Plus fondamentalement, la question de la régulation des concentrations dans le secteur des médias n’a pas été posée dans le cadre de ces états généraux, et on le comprend eu égard à la position du chef de l’État sur ce sujet, alors qu’elle est majeure.
En effet, la concentration de nombreux titres de la presse d’information et d’importantes chaînes de radio et de télévision entre les mains de puissants groupes d’industries et de services, dont les patrons sont presque tous proches du Président de la République et dont la plupart tirent une part significative de leurs revenus des commandes publiques, constitue une anomalie dans les démocraties occidentales.
Il est donc plus que temps, madame la ministre, d’envisager sérieusement, et sans esprit de polémique, d’interdire aux groupes dont le chiffre d’affaires est substantiellement assuré par des revenus issus de la commande publique de détenir des entreprises de médias d’information.
Toutefois, ce dispositif anti-concentration ne réglerait pas les questions liées à la place et au rôle des rédactions dans ces entreprises, et je terminerai en évoquant ce problème.
Notre assemblée s’était honorée, durant la discussion du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, en approuvant un amendement du groupe socialiste faisant obligation aux chaînes de la télévision publique de se doter d’une rédaction propre, dirigée par un journaliste.
Malheureusement, cette disposition fut vidée de son contenu en commission mixte paritaire par les députés de l’UMP, mais non par les sénateurs : de quoi ceux-ci ont-ils donc eu peur ? Des foudres du chef de l’État ?
En tout état de cause, l’élaboration de chartes rédactionnelles ne suffira pas à garantir l’intégrité des rédactions de chaque titre dans les groupes de presse, qui ne pourra être efficacement assurée que par la reconnaissance juridique de ces dernières.
Dans cette perspective, on attendra beaucoup de la conférence nationale des métiers du journalisme, apparemment appelée à se réunir rapidement, car que serait une rédaction, même à l’âge du numérique, sans journalistes ?
Cette conférence devra se saisir des questions de déontologie…