Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 19 et 20 mars sera essentiellement consacré à la situation économique et financière qui affecte l’économie mondiale et les économies nationales de manière profonde et durable.
Depuis l’automne dernier, l’Europe a pris un certain nombre de mesures pour traiter de la dimension financière de la crise ainsi que de ses causes. Les décisions prises touchent à la réforme du secteur financier, notamment en matière de supervision, aux mesures pour relancer l’économie réelle et traite naturellement des préoccupations dans le domaine de l’emploi.
Il est toutefois évident que les conséquences géopolitiques de cette crise seront importantes et elles me paraissent, à ce stade, encore insuffisamment évaluées. La crise présente un caractère mondial. Certes, il est tout à fait compréhensible que le Conseil européen confirme la volonté des États membres d’agir dans le cadre de l’Union européenne. En effet, le rétablissement des équilibres et le fait de regagner la confiance que les investisseurs, les consommateurs et les entreprises sont en droit d’attendre s’agissant de leur épargne, de leur accès au crédit et de leurs droits en ce qui concerne les produits financiers sont des éléments fondamentaux de la relance et de la contribution de la zone européenne à la résolution collective de la crise mondiale. Cette assertion souligne du reste l’importance d’une bonne coordination entre l’ensemble des acteurs étatiques et régionaux.
Il est néanmoins significatif que le projet de conclusions, à la tonalité plutôt optimiste sur les capacités de l’Union européenne à surmonter la crise, ne mentionne que dans son annexe 1, consacrée aux éléments de langage préparatoires au sommet du G20 à Londres, la nécessité de prendre en compte l’assistance aux pays en développement pour répondre aux effets de la crise. Cette annexe propose de promouvoir le développement global comme une partie de la solution à la crise et une base pour promouvoir la paix et la stabilité. Elle appelle également à respecter nos engagements d’accroissement de l’aide au développement dans le cadre des objectifs du Millénaire.
L’approche économique et financière du Conseil européen, complétée par celle du G20, doit mieux prendre en compte l’ampleur de la crise et ses conséquences géopolitiques. À cet égard, deux rapports récents devraient être pris en compte par le Conseil pour affiner sa réflexion.
Le premier est le rapport annuel d’évaluation des menaces que les seize agences de sécurité et de renseignement américaines ont transmis au Sénat des États-Unis, en février dernier. Ce rapport, présenté par l’amiral Dennis Blair, directeur national du renseignement, identifie comme première menace menaçant la sécurité globale des États-Unis la crise économique mondiale et son impact déstabilisateur sur les alliés et les adversaires, « y compris la probable diminution de la capacité des alliés des États-Unis pour assurer leur défense et leurs obligations humanitaires ».
Comparé aux rapports précédents, il s’agit de la principale innovation de l’analyse de seize agences de sécurité américaines. La communauté du renseignement américain indique que « la première question qui se pose à court terme à la sécurité des États-Unis est la crise économique mondiale et ses implications géopolitiques », avant même le terrorisme international.
Outre le recours d’un nombre croissant de pays à l’aide internationale multilatérale ou bilatérale, ou aux demandes auprès du FMI, le rapport souligne la perspective possible d’une vague destructive de protectionnisme et les risques pour un certain nombre de pays en Amérique latine, dans l’ancienne Union soviétique et dans l’Afrique subsaharienne de connaître une forte instabilité politique si la crise économique perdure au-delà d’un an ou deux ans.
Il met également l’accent sur les risques de flux de réfugiés fuyant les conséquences de la crise économique.
Seul aspect positif, la baisse des prix du pétrole, outre le fait qu’elle profite aux consommateurs, entraîne la baisse des revenus d’un certain nombre d’États producteurs, comme l’Iran ou le Venezuela, ce qui limite leur « aventurisme ».
La perception de cette crise par un certain nombre de pays dans le monde fait porter la responsabilité aux États-Unis et, plus largement, aux pays développés, ce qui nuit évidemment à l’image de l’Occident dans le monde et ne sera pas sans conséquences politiques.
En se référant à la crise économique mondiale, l’amiral Blair a déclaré : « Le temps est probablement notre plus grande menace. Plus il faut de temps pour amorcer la reprise, plus il existe un risque d’effets graves pour les intérêts stratégiques des États-Unis ». Je crois que le même raisonnement peut s’appliquer à l’Europe. Nous sommes indiscutablement confrontés à une situation d’urgence.
Le second rapport, élaboré par le FMI, s’intéresse aux incidences de la crise financière sur les pays à faibles revenus. Il constate que cette crise « remet en question les progrès considérables accomplis par de nombreux pays à faibles revenus au cours de la décennie écoulée, qui ont rehaussé leur croissance économique, fait reculer la pauvreté et sont parvenus à une plus grande stabilité politique ».
Il estime à « au moins » 25 milliards de dollars de financements concessionnaires urgents les sommes qui seront nécessaires en 2009 pour répondre aux besoins de la plupart des pays touchés.
Selon Dominique Strauss-Kahn, « une baisse de la croissance pourrait avoir des conséquences graves pour la pauvreté et, peut-être, pour la stabilité politique ».
Le rapport conclut que « la crise mondiale pèsera lourdement sur les exportations des pays à faibles revenus, ainsi que sur leurs entrées d’investissements directs étrangers et les envois de fonds des travailleurs à l’étranger. En conséquence, on peut s’attendre à une forte baisse des recettes budgétaires de ces pays et de leurs réserves de change. »
Les conséquences de cette baisse des revenus peuvent être extrêmement importantes non seulement en termes économiques, avec leurs répercussions sur l’immigration, mais aussi en termes de sécurité puisqu’il est évident que l’extrémisme et le terrorisme trouvent un climat favorable dans la fragilisation des structures étatiques et dans la misère. Cette déstabilisation d’États structurellement fragiles peut conduire à un accroissement des conflits internes, voire interétatiques.
S’agissant du FMI, on peut se réjouir que la réunion des ministres des finances du G20, qui s’est tenue le 14 mars, ait souligné la nécessité d’augmenter ses ressources « de manière substantielle » pour qu’il accroisse son aide aux pays en difficulté.
Par ailleurs, l’ONU est en train de préparer, avec certaines difficultés, la tenue d’une conférence sur les conséquences de la crise en matière de développement. Il convient que l’Europe et le G20 adressent aux pays en développement un message clair sur leur volonté de maintenir l’effort en matière de développement et d’aboutir à la réalisation des objectifs du Millénaire.
J’observe que la conférence qui s’est tenue la semaine dernière à Londres sur l’initiative des autorités britanniques tient un langage très clair sur ces questions. Le Premier ministre, Gordon Brown, veut faire du G20 l’occasion d’un « », réaffirmant l’engagement du Royaume-Uni en matière d’aide au développement et la pleine actualité des objectifs du Millénaire. Il reprend même à son compte l’idée française de créer un fonds fiduciaire pour aider les plus pauvres à faire face à la crise et aider les pays en développement à assurer une couverture sociale aux plus vulnérables.
Il conviendrait également d’envisager, sans faiblesse ni complaisance, une relance des négociations commerciales internationales engagées dans le cadre de l’OMC. La conclusion des accords de Doha devrait avoir un impact de 1 à 2 points sur la croissance mondiale.
Enfin, l’ordre du jour du Conseil traite du changement climatique et de la préparation de la conférence de Copenhague. Les conséquences économiques et géopolitiques du changement climatique sont également porteuses d’insécurité. La multiplication des catastrophes naturelles, la montée des eaux, l’accès à l’eau et la gestion de cette ressource ainsi que l’aggravation éventuelle de la crise alimentaire mondiale du fait de la sécheresse, qui s’ajoutent à la baisse des ressources étatiques pour financer les importations nécessaires, se traduiront inévitablement en termes de conflits et de mouvements de populations.
Par ailleurs, la diminution des ressources des pays en développement ne manquera pas d’avoir des effets en matière écologique, en particulier sur leur capacité à prendre des engagements conformes au protocole de Kyoto.
C’est dans cet esprit que les conclusions du Conseil appellent l’Union européenne à apporter « une attention spéciale aux besoins des pays développés les plus vulnérables » – phrase qui n’est sans doute pas à la hauteur du message politique qu’il faudrait envoyer.
En conclusion, pour reprendre les propos du Président de la République lors de sa visite d’État au Mexique : « Pour faire face à cette crise, la coopération n’est pas une option, c’est une absolue nécessité. » Il ajoutait : « L’histoire nous a montré que le protectionnisme et le repli sur soi n’étaient jamais des solutions, qu’ils ne faisaient qu’aggraver les problèmes. »
C’est cette communauté d’intérêts face à la crise qui a conduit à ouvrir le G20 de Washington aux grands pays émergents. II convient de poursuivre cette ouverture et d’affirmer la solidarité de l’ensemble des pays du monde et des grands blocs économiques face à une crise globale. Je ne doute pas que ce soit l’intention de la France et de l’Europe. Il serait opportun que cela soit exprimé lors de la réunion du Conseil.