Intervention de Denis Badré

Réunion du 17 mars 2009 à 15h00
Conseil européen des 19 et 20 mars 2009 — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Denis BadréDenis Badré :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes à l’avant-veille d’un conseil critique, au sens étymologique du terme, puisque nous sommes dans un temps de crise profonde et que krisis en grec, comme critique ou comme crise, signifie l’instant décisif.

Nous sommes au temps des vrais choix, au temps où l’avenir peut se rouvrir, au temps où pragmatisme et imagination, volonté politique et sens des responsabilités doivent se conjuguer, au temps où les fondamentaux reprennent leurs droits.

Parmi ces fondamentaux, j’en citerai deux : face à la crise, l’Europe est « la » solution et, l’Europe, c’est nous, ce « nous » englobant, bien sûr, nos partenaires, car nous sommes engagés dans un jeu d’équipe ; les échecs de l’Europe seront les nôtres, ses succès le seront aussi.

Je ferai une observation liminaire. Nous devons soutenir la présidence tchèque, sans défaillance ni arrière-pensée. La présidence est un service rendu à tous, nous l’avons éprouvé en son temps. Pour que ce service soit bien rendu au bénéfice de tous, deux conditions doivent être réunies : il faut que tous jouent le jeu en secondant la présidence, car un échec de la présidence tchèque ferait tort à tous, mais il faut aussi que la présidence joue le jeu ; à cet égard, je le dis d’emblée, je trouve désolant et inacceptable que le président tchèque, président en exercice de l’Union, se vante d’utiliser tous les moyens dilatoires possibles pour retarder la ratification du traité de Lisbonne, pourtant signé par l’ensemble des chefs d’État, donc par le chef de l’État tchèque.

Nous sommes en crise, financière, économique, sociale et de société, crise telle que, si l’Union n’existait pas, il faudrait d’urgence la créer.

Cette crise se développe dans un monde ouvert et qui se cherche, dans un contexte où les inégalités entre États n’ont jamais été aussi fortes, en un temps où les conflits armés se multiplient.

Il faut, en particulier, construire rapidement un partenariat durable avec la Russie, progresser vers une Europe de la défense, plus que jamais indispensable – je ne développe pas ce point, car nous sommes là dans l’actualité –, enfin, et c’est peut-être l’essentiel, réaffirmer encore et toujours que l’Union européenne a été créée d’abord pour promouvoir les valeurs qui sont les siennes, et que reprend la charte du Conseil de l’Europe : les droits de l’homme, la primauté du droit et la démocratie.

Vous m’autoriserez à y faire référence, monsieur le secrétaire d'État, parce que, ce matin encore, je rapportais devant la Commission des questions politiques du Conseil de l’Europe sur l’Euro-Méditerranée : ces valeurs ont été au cœur des débats que nous avons eus non seulement sur l’Euro-Méditerranée, mais aussi sur le conflit au Proche-Orient et sur le Bélarus.

N’oublions pas que nous sommes à trois mois du renouvellement du Parlement européen, puis de la Commission. Il nous faut envoyer aux Français et à l’ensemble des Européens un message clair et fort, qui ait du sens et qui prépare l’avenir. Si, par malheur, le 7 juin prochain, l’abstention l’emportait, nous le paierions tous longtemps et au prix fort.

Dans ce monde qui se cherche, l’Europe doit se renforcer, en s’appuyant sur des solidarités internes qu’il lui faut réaffirmer sans cesse.

Je formulerai quelques remarques.

Ne nous formalisons pas de voir les pays d’Europe centrale et orientale qui ont rejoint l’Union européenne en 2004 se concerter. Ils en ont le droit ! Il est même assez sain que chacun réfléchisse, à plusieurs ou en petits groupes. Après tout, la France et l’Allemagne se sont bien souvent concertées sans inviter leurs partenaires à ces réunions bilatérales. Le couple franco-allemand est solide : Hubert Haenel rappelait à l’instant qu’il doit être sans cesse renforcé ; je sais que vous y êtes attaché, monsieur le secrétaire d'État, et je tenais à vous en remercier. Il s’agit d’une priorité absolue si nous voulons que l’Europe retrouve son élan.

Ne marginalisons pas les pays d’Europe centrale et orientale membres de l’Union européenne ; veillons à ne pas les renvoyer avec commisération à leurs difficultés. Certains ont prétendu que, ne trouvant aucun écho à leurs difficultés au sein de l’Union européenne, ces pays se sont tournés vers le FMI. C’est inexact : il s’agit d’un raccourci ! Le FMI est l’interlocuteur normal de tous les États du monde.

Ce que je souhaiterais, c’est non pas que l’on s’interpose entre le FMI et les États qui ont un dialogue à développer avec le FMI, mais simplement que, lorsque les situations sont exceptionnelles, si nous sommes au sein de l’Union européenne, cette dernière commence par essayer de voir de quelle façon exprimer sa solidarité à l’égard des pays les plus en difficultés et, le cas échéant, qu’elle serve de porte-parole, d’intermédiaire, voire d’intercesseur entre eux et le FMI.

La crise peut diviser, chacun cherchant son salut dans une sorte de sauve-qui-peut. Veillons à ne pas nous réjouir d’être moins frappés que d’autres, par exemple la Grande-Bretagne, qui est en première ligne face à la crise financière, ou l’Allemagne, dont le solde du commerce extérieur, qui nous réjouissait voilà peu, rend aujourd'hui la situation de notre voisin un peu difficile.

Nous sommes embarqués dans la même aventure : les échecs ou les difficultés de nos partenaires sont aussi, d’une manière ou d’une autre, les nôtres ; ne l’oublions jamais ! Alors, que faire ?

Il faut vous soutenir, monsieur le secrétaire d'État, lorsque vous dites que, au lieu de diviser, la crise doit nous pousser à comprendre que l’Union européenne est la solution.

Il faut vous soutenir lorsque vous déployez des efforts réels afin que l’Union européenne parle d’une seule voix au G20 du 2 avril prochain et soit en état de proposer les voies de l’avenir qu’un monde désormais totalement et irréversiblement ouvert attend, et peut-être en particulier de l’Europe.

Il faut vous soutenir lorsque vous rappelez que, si le protectionnisme semble soulager dans l’instant, il reste porteur des pires désillusions pour la suite.

Il faut vous soutenir lorsque vous cherchez des modes de supervision bancaires, transnationaux, européens, et lorsque vous mettez les paradis fiscaux au ban de l’économie.

Il faut vous soutenir lorsque vous confirmez que les mesures retenues au titre du plan de relance ne doivent pas creuser nos déficits et ainsi alourdir encore une dette déjà insupportable ; Hubert Haenel ayant largement développé ce point, je n’y reviens pas, sinon pour vous demander de continuer à veiller, d’une part, à n’inclure dans les projets de loi de finances rectificatives nourrissant notre plan de relance par étapes successives que des mesures temporaires, et jamais des mesures consolidables en loi de finances, d’autre part, à poursuivre la préparation de réformes qui nous permettront de reprendre l’assainissement définitif de nos finances publiques une fois que nous serons sortis du temporaire.

Que faire encore ?

Peut-être faut-il vous demander, monsieur le secrétaire d'État, d’écouter ceux qui disent que l’Union européenne pourrait recourir à un grand emprunt pour relancer l’économie. Ma religion n’est pas complètement faite à cet égard, mais il s’agit d’une question importante, que nous ne pouvons pas repousser d’un revers de main. Avez-vous eu un commencement de débat sur ce point avec nos partenaires de l’Union européenne ? Quelle réponse apportez-vous à ceux qui posent cette question ? En tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur le budget des Affaires européennes, j’y vois une occasion de reprendre ce sujet.

Le budget européen ne ressemble à rien : les recettes sont votées par les Parlements nationaux et les dépenses font l’objet d’une codécision du Parlement européen et du Conseil européen. Il n’est pas raisonnable que deux autorités différentes votent les recettes et les dépenses. Cette procédure n’est pas démocratique et elle n’a pas d’avenir.

Il va de soi que le budget européen pourrait difficilement avoir recours à l’emprunt. Poser la question, c’est rouvrir le débat sur ce que doit être un véritable budget européen.

Nous sommes à un instant décisif, je le disais tout à l’heure. Le temps n’est-il pas venu, enfin, de cesser d’éluder cette question ? Ce serait opportun pour l’avenir de l’Europe.

Par ailleurs, il est des domaines dans lesquels nous serons amenés à évoluer assez naturellement. Le mouvement est amorcé ; il est irréversible, même si la progression ne sera peut-être pas rapide ; je pense à la remise en cause du secret bancaire ou des paradis fiscaux. Ce sera long, difficile, mais nul ne pourra plus désormais se dérober complètement à de nouvelles exigences en la matière.

Je pense surtout, au-delà de ces points particuliers sur lesquels Hubert Haenel a insisté, à la nécessité de mettre en place une véritable politique commune industrielle. Cela ne se fera pas spontanément : il faudra de la volonté politique, mais elle est attendue et nécessaire.

Créer une politique de la concurrence, un marché unique, une monnaie unique fut également difficile. Certes, ce fut réalisé en un temps où l’Union européenne comptait moins de membres. Raison de plus pour nous doter aujourd'hui des capacités à décider à Vingt-Sept ! C’est plus que jamais essentiel, car instaurer une politique commune industrielle ne sera pas plus facile.

Il est indispensable que le traité de Lisbonne soit ratifié rapidement. Je crains que les Irlandais, qui subissent lourdement la crise, n’imputent de nouveau leurs difficultés à l’Europe. Ce serait une catastrophe ! Monsieur le secrétaire d'État, il faut tout faire pour que les Irlandais comprennent qu’il y va de leur intérêt, surtout dans cette période de crise, comme de celui des 500 millions d'Européens qu’ils retiennent actuellement en otage. Il faut mettre les gouvernants irlandais en situation de se battre pour que leur peuple ratifie un texte qu’ils ont signé : ils ne doivent pas considérer que ce n’est pas leur affaire et que le peuple irlandais se déterminera tout seul ! Les gouvernants doivent « se mouiller », tout comme le commissaire irlandais – les Irlandais ont voulu un commissaire, ils en ont un ! –, qui ne peut prétendre que ce n’est pas son problème. Lui aussi doit expliquer aux Irlandais ce que deviendra leur pays sans l’Europe. Ce choix est important !

S’il faut très vite retrouver une capacité à décider, il faut aussi, sur un certain nombre de points clés pour l’avenir, avoir la volonté de décider.

Sur la stratégie de Lisbonne, le moment me semble venu de passer du discours aux actes. Certes, la méthode de coordination retenue est sympathique – elle permet de faire des bilans annuels tout à fait flous –, mais elle est inopérante.

En effet, outre une politique commune industrielle, il faut une politique commune de l’économie, de la connaissance, de la recherche et de l’innovation. Hors ce choix définitif, décisif, fort, nous ne progresserons pas et nous ne serons pas à la hauteur des défis du monde.

C’est ainsi que pourra émerger le nouvel élan indispensable pour que l’Union européenne sorte de la crise rapidement, par le haut, et qu’elle joue son rôle dans un monde tourmenté et déstabilisé.

J’y reviens, nous sommes à un instant décisif ! Il faut que nous sachions être à la hauteur des exigences du monde moderne.

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