Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen devra dégager une position commune ambitieuse pour peser lors de la réunion du G20 de Londres, le 2 avril prochain. Il devra notamment tirer toutes les leçons de la crise pour l’ensemble des économies. Mais il nous faudra aussi être capables de tirer chez nous, en Europe et pour l’Europe, les leçons de la gestion de cette crise.
Tout d’abord, que s’est-il passé en Europe et pouvons-nous faire aujourd’hui comme si rien ne s’y était passé ?
Personne ne peut nier que la crise financière a ébranlé les certitudes les mieux établies.
Sur le plan institutionnel, le constat est assez simple : on assiste au grand retour des États ; on l’a vu avec l’effacement de la Commission, avec la remise en question du fonctionnement de l’Eurogroupe, qui s’est réuni au niveau des chefs d’État, et qui a d’ailleurs accueilli le chef d’un État non-membre de la zone euro.
Déjà, pendant la crise géorgienne, on avait vu la présidence française agir avec succès, mais en dehors de tout dispositif communautaire.
La présidence française comme la crise ont changé la donne, avec ce constat incontournable : la gestion d’une crise grave ne peut être assumée que par les seuls gouvernements nationaux, parce qu’ils sont responsables devant leur peuple.
Une situation de crise majeure appelle nécessairement le retour du politique, donc le retour du fait national, non pas comme une situation de repli, mais plutôt comme un espace de solidarité, un espace de volonté où s’exprime la démocratie, et par conséquent la responsabilité politique. D’ailleurs, Jean-Louis Bourlanges, qui n’est pas un philosophe présocratique, mais qui était fort intelligent, avait formulé ce principe : « L’Union européenne n’est pas parvenue à franchir la porte sacrée du politique. » Il s’agit de le constater, sans pour autant porter de jugement de valeur.
Si la présidence française a été une réussite, c’est bien parce que Nicolas Sarkozy a su sortir du carcan bruxellois pour prendre appui directement sur les États.
Au-delà des institutions, il faut également changer le logiciel économique pour construire une Europe qui protège et qui ne se limite pas, comme ce fut trop souvent le cas, à être le marchepied d’une mondialisation sauvage. Il faut moins de dogmatisme et plus de pragmatisme, plus de réalisme et moins d’angélisme.
Avec la crise, que reste-t-il de la doctrine économique bruxelloise ?
Pour la régulation du grand marché, il a fallu mettre à l’écart les règles de la concurrence et celles des aides d’État.
Pour la régulation monétaire, avec pour une fois, il faut le reconnaître, un certain réalisme, la Banque centrale européenne a dû mettre de côté son obsession traditionnelle : la lutte contre l’inflation.
Pour la régulation budgétaire, il y a bien eu des tentatives pour rappeler les États à la discipline du pacte de stabilité, mais avec le succès que l’on sait.
Pour la régulation de l’union douanière, nous avions jusqu’à présent le désarmement commercial unilatéral au nom d’une concurrence libre et non faussée. Désormais, c’est l’idée d’une véritable préférence européenne qui s’impose.
Si nous voulons éviter de nouvelles crises pour demain, il faut absolument tirer les leçons de cette catastrophe financière. Il y aurait un curieux paradoxe à exiger, sur le plan international, l’abandon d’un libéralisme débridé sans balayer devant notre propre porte européenne.
L’autre grand chantier de la prochaine réunion du G20, monsieur le secrétaire d’État, c’est la refondation d’une régulation financière mondiale, qui devra s’articuler autour de trois principes : d’abord, celle-ci devra être « contracyclique » ; ensuite, elle devra être beaucoup plus transparente ; enfin, elle devra être globale, et non locale.
La nouvelle régulation devra être « contracyclique » car, aujourd’hui, toutes les règles ne sont pas des amortisseurs de chocs ; elles sont au contraire des démultiplicateurs de crise. Cela est vrai des règles prudentielles et des normes comptables qui, en se combinant, ont amplifié la chute du prix des actifs. Pour les normes comptables, la valeur de marché n’a jamais exprimé la valeur fondamentale, à long terme, des richesses des actifs et, surtout, elle a conduit à des décotes excessives qui ont eu un effet cumulatif.
Il faut aussi réformer les règles des agences de notation, qui n’ont qu’une vision à court terme du marché et qui ont eu, elles aussi, un rôle procyclique. Le plus choquant, c’est le conflit d’intérêts auxquelles elles sont confrontées ; ce sont elles qui paient ceux qui émettent les produits financiers les plus toxiques !
La nouvelle régulation devra ensuite permettre aux intermédiaires financiers de faire leur métier en toute transparence. Et leur métier, c’est de collecter de l’épargne à court terme pour prêter à long terme. Le risque de liquidité est inhérent à cette activité de transformation de l’épargne. Il ne faut surtout pas l’interdire, mais on peut l’encadrer.
On peut l’encadrer, d’abord, en mettant de l’ordre dans le système de rémunération des institutions financières, lequel est profondément amoral et antiéconomique.
On peut l’encadrer, ensuite, et surtout, en instaurant plus de transparence : c’est la question des paradis fiscaux et de la titrisation, qu’il serait idiot de vouloir interdire ; il faut reconnaître que, pour l’instant, celle-ci a surtout consisté à propager des risques en les rendant indétectables.
Plus généralement, et sans revenir à l’économie de troc, les marchés financiers ne doivent plus fonctionner en eaux troubles, dans l’opacité la plus totale, parce que c’est précisément ce qui a détruit la confiance.
Tous les marchés, toutes les institutions financières, et pas seulement les banques, doivent être régulés, puisque, en cas de crise, c’est l’État qui est prêteur en dernier ressort. C’est ce qui fonde la légitimité des États à vouloir refonder une régulation.
Enfin, cette nouvelle régulation devra être globale et non locale, sinon des zones offshore auront tôt fait de ruiner les efforts des plus méritants, ce qu’il faut à tout prix empêcher.
Pour conclure, cette refondation du système financier international est un objectif ambitieux. Celui-ci sera-t-il atteint en une ou en plusieurs réunions ? Peu importe ! Toujours est-il que l’on n’a pas le droit d’échouer, d’abord pour que le monde ne revive pas demain le même scénario, ensuite, et surtout, pour toutes celles et tous ceux qui sont ou qui seront touchés par cette crise dans leur vie quotidienne et qui seront les victimes innocentes et fragiles d’un système profondément immoral.