Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 17 mars 2009 à 15h00
Conseil européen des 19 et 20 mars 2009 — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Bruno Le Maire, secrétaire d'État :

Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, vous avez axé votre intervention sur l’assistance aux pays en voie de développement et la solidarité. Cette question est malheureusement négligée dans le débat actuel, parce que nous sommes concentrés sur nos propres difficultés, alors qu’elle est primordiale.

Aujourd’hui, toutes les banques, tous les États européens ont du mal à trouver des financements dans la crise financière que nous traversons. Mais ceux qui éprouvent des difficultés encore plus grandes en la matière, ce sont les pays en voie de développement, dont le retard économique est plus important.

Je rappelle, pour mémoire, que les flux de capitaux à destination de l’ensemble des pays en voie de développement ont été divisés par cinq : ils sont passés de 500 milliards à 100 milliards de dollars en quelques semaines.

Il est donc essentiel que nous répondions à ce défi pour éviter une instabilité économique majeure, qui risquerait d’entraîner une instabilité politique et des mouvements de population importants.

Nous devons impérativement empêcher que cette crise financière, qui est aussi une crise économique, et qui tend à devenir une crise sociale, ne dégénère en une véritable crise politique internationale. La meilleure des solutions, c’est la solidarité. Nous avons pris la décision de doubler le montant des fonds du FMI, qui passeront de 250 milliards à 500 milliards de dollars. C’est une première réponse ! En tout cas, il nous faut garder présent à l’esprit ce défi.

Nous devons également refuser le protectionnisme, sous quelque forme qu’il soit. En effet, s’il peut être rassurant pour certains, il se termine toujours par l’appauvrissement définitif des pays en voie de développement.

Si nous fermons nos frontières à des produits qui viennent d’Amérique du Sud, d’Afrique ou des pays d’Asie les moins développés, ce sont ces pays qui seront le plus durement frappés par la crise et leurs populations se retrouveront dans une misère insoutenable. Ne l’oublions pas quand la tentation du protectionnisme revient, de-ci de-là, comme solution à la crise.

Il en va de même à l’intérieur de la zone européenne : nous devons impérativement faire preuve de solidarité à l’égard de l’ensemble des pays de l’Union. Nous ne pouvons pas laisser un pays membre « décrocher », c’est-à-dire ne plus être capable de refinancer sa dette ou de trouver les financements nécessaires à ses propres activités économiques.

Je me suis récemment rendu en Hongrie, où j’ai eu une discussion très approfondie avec le ministre des finances hongrois. Ce pays est confronté à des difficultés telles qu’il a besoin d’assistance. Nous pourrions lui offrir, d’une part, un financement direct en réponse aux efforts qui seraient accomplis par les autorités hongroises dans un certain nombre de domaines et, d’autre part, une perspective en matière d’adhésion à l’euro.

J’insiste sur ce dernier point, car il est important. Offrir une telle perspective ne veut pas dire revenir sur les critères fixés, auquel cas nous risquerions d’affaiblir la zone euro elle-même, ce qui ne serait bon pour personne. Mais nous pourrions réfléchir à un chemin à suivre pour un certain nombre de pays, dont la Hongrie, qui leur permettrait d’avoir une lisibilité s’agissant de l’adhésion à l’euro. C’est un problème politique majeur.

Le ministre des finances d’un pays dont la monnaie – le florin hongrois, pour être exact – perd 30 % de sa valeur depuis le début du mois de janvier 2009, et dont la population s’appauvrit semaine après semaine en raison de cette dévaluation, doit pouvoir offrir une perspective politique et montrer la solidarité des autres États de l’Union européenne. C’est en tout cas la position que nous défendrons au Conseil européen.

Monsieur Haenel, en ce qui concerne la position commune de l’Europe, il est une règle politique selon laquelle plus on approche de la décision, plus celle-ci est difficile à prendre.

En novembre et décembre, notamment lors des réunions organisées sous la présidence française, tout le monde était d’accord pour reconnaître l’impérieuse nécessité d’une régulation financière pour supprimer les paradis fiscaux, contrôler les fonds souverains et améliorer le fonctionnement des agences de notation ; la refondation du capitalisme mondial suscitait une unanimité qui était plutôt de bon aloi.

Maintenant que le temps de la décision et des choix approche, les positions se durcissent et un certain nombre de divisions apparaissent au sein de l’Union européenne, notamment entre la France et l’Allemagne, d’une part, et la Grande-Bretagne, d’autre part, qui n’a pas les mêmes intérêts dans la mesure où son économie est différente et qui n’est pas forcément prête à aller aussi loin sur ces sujets.

La réunion du G20 « finances » qui a eu lieu à Londres ce week-end a été un succès. Effort après effort, les positions commencent à se rapprocher. La déclaration commune des ministres des finances du G20 n’est pas pour nous un aboutissement, parce qu’elle reste trop générale, mais l’ensemble des sujets que nous souhaitons voir aborder y figurent : aucun n’a été écarté ! Nous souscrivons aux principes énoncés, mais ceux-ci doivent être suivis de décisions concrètes, comme l’a rappelé le Président de la République ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

J’en viens à la question de la dette, qui a été abordée par plusieurs orateurs.

Il convient tout d’abord de souligner – je réponds au passage à certaines critiques qui ont pu être formulées sur les plans de relance européens – qu’il existe une vraie relance européenne, dont il ne faut pas minoriser le montant.

Je note très simplement et sans esprit polémique que lorsque les Américains calculent le montant de leur plan de relance ils prennent en compte l’ensemble des mesures qui ont été arrêtées pour aider les ménages américains les plus frappés par la crise.

Lorsque Barack Obama décide d’accorder 500 dollars par foyer, en fonction du niveau de revenu initial, aux personnes qui perdraient brutalement leur emploi, il donne directement de l’argent public aux ménages américains et ces 500 dollars, multipliés par le nombre de bénéficiaires, sont intégrés dans le montant total du plan de relance américain.

Nous, nous avons un revenu minimum, des stabilisateurs automatiques, des aides sociales. Nous n’allons donc pas prévoir les mêmes dispositions pour les personnes qui sont touchées par le chômage ou qui se trouvent dans une situation particulièrement difficile. Mais il me paraît légitime que nous comptabilisions dans nos propres plans de relance les stabilisateurs automatiques, qui n’existent pas dans le système américain.

Si l’on prend en considération ces stabilisateurs automatiques, les plans de relance de l’Union européenne représentent 440 milliards d’euros de dépenses, soit environ 3, 3 % du PIB européen. Ces plans de relance sont donc massifs !

J’admets volontiers que l’on débatte du montant du PIB qu’il est nécessaire d’engager, à savoir 3, 3 %, 4 %, voire 5 %, pour les plans de relance européens. Personnellement, je pense qu’il faut d’abord mettre en œuvre ce qui a été décidé.

En revanche, je n’admets pas que nous ne tenions pas compte, dans les plans de relance européens, des stabilisateurs automatiques, qui sont comptabilisés dans tous les autres plans de relance mondiaux. Partons de la même base et discutons à partir de cette base !

J’en arrive à la deuxième remarque sur la dette.

La crise financière que nous avons connue a été provoquée par un endettement privé massif, favorisé dans des proportions tout à fait inacceptables, notamment aux États-Unis, par les dérèglements financiers, ainsi que par l’absence de contrôle et de règles.

Plusieurs causes peuvent expliquer cet endettement privé trop important, notamment le décalage entre la productivité des salariés américains et le niveau de salaires. Prenons garde à ce que la sortie de crise ne substitue pas à cet endettement privé un endettement public.

Soyons attentifs à un point lorsque nous comparons les niveaux d’endettement américain et européen : le financement de la dette américaine n’est pas le même que celui de la dette européenne. Si, à la sortie de la crise, les Européens se retrouvent avec une dette publique trop importante, ils y perdront en compétitivité, ils y perdront en capacité d’enrichissement collectif, bref, ils y perdront en termes de redistribution du pouvoir d’achat pour l’ensemble des ménages. Soyons donc vigilants : je le redis, la crise actuelle est une crise de la dette privée, et ce n’est pas par le biais d’une crise de la dette publique que nous nous sortirons d’affaire.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Allemagne et la France ont décidé de travailler conjointement sur ce sujet. Vous le savez, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy viennent de signer une lettre, adressée au président de la Commission et au Premier ministre tchèque, dans laquelle ils annoncent, notamment, que nous allons œuvrer ensemble à la réduction de la dette et à la limitation des déficits des finances publiques dans les années à venir pour répondre à ce défi, qui est l’un des défis majeurs de la sortie de la crise.

Par ailleurs, vous avez raison, monsieur le présidentde la commission des affaires européennes, quand vous dénoncez l’invention d’un rosé qui serait une addition de rouge et de blanc. Il faut effectivement ne pas aimer beaucoup le vin pour proposer de telles choses, et cela semble bien être un pur produit de la comitologie européenne : une absurdité sortie d’un chapeau et que l’on ne voit venir que trop tard. En pareil cas, il faut simplement indiquer que ce n’est pas acceptable. Le Gouvernement l’a fait, notamment Michel Barnier, et nous continuerons à produire le rosé comme il doit l’être, et certainement pas en mettant un quart de rouge dans un litre de blanc.

Je l’ai déjà dit à cette tribune, comme à vos commissions : il n’y a pas d’autre solution – en tout cas, je n’en connais pas d’autre – au renforcement de l’Europe politique qu’un accord fort, permanent, rigoureux, équilibré, entre la France et l’Allemagne.

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