Par conséquent, tout emprunt de l’Union européenne ne peut que se traduire par un endettement des États : il n’y a pas de dette européenne. Un tel choix est donc forcément lourd.
Seconde remarque, la voie de l’endettement n’est pas acceptable pour certains de nos partenaires, notamment pour l’Allemagne : elle a très clairement fait savoir qu’il n’était pas question d’un emprunt européen, qui aggraverait la charge de la dette des États. Et la vie internationale, comme la vie politique, est faite aussi de compromis ! Si nous voulons conserver notre capacité d’avancer avec l’Allemagne sur un certain nombre de questions, comme nous le faisons, et de manière efficace, il nous faut prendre en considération ses réticences sur ce sujet.
J’en viens aux propos de Denis Badré sur la présidence tchèque ; nous la soutenons, je l’ai dit. Je suis en contact permanent avec Sacha Vondra, le vice-Premier ministre tchèque chargé de la Présidence, et nous avons des contacts réguliers avec le Premier ministre, M. Topolanek ; quant au président tchèque, il lui appartient de défendre ses propres positions. En l’espèce, et puisque de nombreuses citations ont été faites aujourd’hui, je dirai que « tout ce qui est excessif est insignifiant ». N’y prêtons donc pas une trop grande attention !
L’Europe de la défense reste un projet majeur pour la France, et notre décision de retourner dans le commandement intégré de l’OTAN ne doit pas nous faire perdre de vue que le renforcement de cette Europe de la défense demeure une priorité. Celui-ci suppose un budget ; il nous faudra donc convaincre ceux de nos partenaires qui y sont réticents. Il suppose la définition d’intérêts collectifs ; si la présidence française a permis de progresser sur le sujet, la question reste complexe. Enfin, il suppose un état-major de commandement d’opération collectif européen et non pas plusieurs états-majors nationaux ; je crois que, quelles que soient les réticences qui pourront se faire jour, cette perspective doit rester ouverte.
A aussi été abordée la question des pays d’Europe centrale et orientale. L’enjeu est essentiel ! La crise ne doit pas provoquer le retour des fractures en Europe. Nous avons connu une Europe divisée. Nous avons réussi à reconstruire une Europe unie ; nous devons maintenir à tout prix cette unité. En d’autres termes, nous devons persévérer dans l’effort de solidarité que j’ai déjà indiqué ; c’est essentiel. Nous devons éviter de nous rejeter la responsabilité les uns sur les autres en reprochant à tel d’être protectionniste, à tel autre d’être trop libéral… Trouvons des solutions collectivement, ne dressons pas les États les uns contre les autres et, surtout, évitons que les États nouveaux entrants ne soient opposés aux États fondateurs. Il n’y aurait pas pire division que ces divisions historiques : le propre de la construction européenne est, justement, d’avancer dans l’histoire en les effaçant de la mémoire. Si nous revenons là-dessus, c’est toute l’Europe, c’est tout le processus européen qui s’effondrerait.
Hubert Haenel me glissait tout à l’heure en aparté que cela lui évoquait Les Animaux malades de la peste de La Fontaine : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». C’est exactement le cas aujourd’hui : tous ne meurent pas de la crise économique, mais tous sont frappés. Alors, plutôt que de chercher un bouc émissaire, trouvons des solutions collectives !
La question de la politique industrielle commune me permettra de faire le lien avec les remarques de Michel Billout.
Depuis ma prise de fonction, je me bats pour obtenir une coordination des politiques économiques européennes. En particulier, je crois indispensable que nous ayons une politique industrielle commune. C’est difficile, parce que l’Europe ne s’est pas construite ainsi. Je considère – il m’arrive d’être d’accord avec les communistes, au Parlement ! – que c’est l’un des enjeux de la construction européenne de demain. Il faut changer la donne !
Comme je l’ai indiqué il y a peu dans une interview au quotidien Les Échos, la concurrence a été l’alpha et l’oméga de la construction européenne des vingt ou trente dernières années. Elle ne peut plus rester l’alpha et l’oméga de la construction européenne pour les vingt ou trente prochaines années : ce n’est pas possible ! Nous devons prendre conscience que la concurrence comme seul principe politique aboutit à des affrontements entre États qui ne sont pas dans l’intérêt même de ces États. La concurrence est nécessaire, mais il faut aussi de la coopération et une vision collective.
Si certaines personnes, sur ces travées, ne sont pas convaincues, qu’elles se demandent ce que sera l’avenir de l’industrie automobile européenne. La bonne solution est-elle de voir les constructeurs automobiles européens se livrer à une concurrence acharnée jusqu’à ce que l’un d’eux disparaisse, ou bien est-elle de les voir travailler ensemble en réfléchissant à ce que peut être l’avenir de l’industrie automobile européenne ?
Pour moi, le choix est clair : nous devons travailler ensemble à la définition d’une industrie automobile européenne, et nous en avons les moyens. Aucun constructeur automobile européen n’est capable, seul, d’investir assez pour pouvoir financer, par exemple, un moteur électrique qui fonctionne et dont le coût de revient soit suffisamment intéressant. Payons cette innovation, finançons cette recherche – nous le faisons déjà avec la Banque européenne d’investissement –, rapprochons les laboratoires de recherche des constructeurs et, à partir de là, créons des synergies industrielles européennes ! C’est la seule solution pour que, véritablement, nous sortions plus forts de cette crise, et je suis persuadé que c’est l’un des sujets sur lesquels nous devrons nous battre dans les prochaines années.
S’agissant du dumping social, monsieur Billout, la meilleure protection, c’est le processus de convergence des différents États. Je prendrai un exemple concret : lorsque la Hongrie est entrée dans l’Union européenne, le salaire minimum y était de 400 euros ; cinq ans plus tard, il s’élève à 700 euros.
Cet effort de convergence, observé en Espagne, au Portugal et en Grèce au début des années quatre-vingt, se produira également dans les pays d’Europe centrale et orientale dans les années à venir. Il doit demeurer l’objectif collectif d’un rattrapage pour que ces États accèdent au même niveau de développement social et économique que les autres afin d’éviter toute forme de dumping social.
En revanche, je ne partage pas votre sentiment sur la crise de légitimité démocratique. On ne peut pas considérer qu’il y a moins de légitimité démocratique et, dans le même temps, être contre un traité qui renforce considérablement les pouvoirs du Parlement au travers de l’extension de la codécision. Le Parlement européen – je le dirai pendant toute la campagne parce que j’en suis intimement persuadé – est devenu un lieu de pouvoir essentiel pour nos concitoyens, peut-être plus important que le Parlement français. Aujourd’hui, un député européen a un pouvoir considérable, qui sera encore accru avec le traité de Lisbonne ; c’est une façon de progresser vers une démocratie européenne.
Monsieur Bizet, vous avez évoqué l’industrie française et européenne ; je le répète, c’est une priorité absolue. Car les questions de l’innovation et de la dette constituent les deux grands défis de la sortie de crise européenne.
S’agissant de l’innovation, je suis convaincu que la stratégie de Lisbonne n’est plus suffisante : on ne peut plus avoir seulement des indicateurs, il faut des obligations.
Je formulerai à cet égard une remarque plus générale sur la construction européenne. Je regrette qu’en la matière les obligations soient toujours négatives : moins de déficit, moins de dette, des critères très stricts sur les budgets, sur l’endettement public. Des obligations positives sont également nécessaires, notamment sur l’innovation, la recherche, le nombre d’étudiants qui pourraient circuler en Europe.
Faisons en sorte que l’Union européenne soit considérée non pas uniquement comme un carcan négatif, mais comme une structure positive qui oblige les États à faire plus pour leurs concitoyens, à faire plus pour ce qui est essentiel au développement futur, c’est-à-dire l’innovation et la recherche.
S’agissant de l’OMC et des accords de Doha, nous voulons un accord global et équilibré. Nous avons accompli des efforts, notamment dans le domaine agricole ; nous ne sommes pas prêts à aller au-delà. Nous attendons maintenant les réponses de nos partenaires ; mais un accord juste en matière commerciale, c’est un accord équilibré : nous avons fait des concessions ; tel n’est pas encore le cas de nos partenaires !
Je terminerai par les questions posées par Aymeri de Montesquiou relatives à l’approvisionnement énergétique.
Nous avons impérativement besoin de diversifier notre approvisionnement énergétique ; de nouvelles voies de circulation des hydrocarbures sont donc nécessaires en Europe, en Asie centrale et en Russie.
Nous avons trois projets majeurs : North Stream, South Stream et Nabucco. Nous sommes favorables à ces trois voies d’approvisionnement, qui sont complémentaires, en ayant tout de même conscience que chacune pose des difficultés ; il ne faut pas en privilégier une plutôt qu’une autre.
South Stream présente des problèmes en termes de tracé et de financement. Quant à Nabucco, sa rentabilité n’est assurée que si nos relations avec l’Iran s’améliorent au point d’obtenir une garantie d’approvisionnement. Enfin, North Stream soulève deux difficultés. La première est politique : la Pologne voit d’un très mauvais œil un accord entre l’Allemagne et la Russie en matière d’approvisionnement énergétique ; on peut le comprendre. Je me rendrai prochainement en Pologne pour essayer de trouver une solution. La seconde difficulté concerne l’environnement, car l’ensemble du tracé passe par des lieux protégés, notamment la mer Baltique, et cela pose de sérieuses difficultés avec la Suède et le Danemark. Nous devrons là aussi trouver des solutions, sachant que tout nouvel aménagement renchérit de deux à trois fois le coût initial de construction de ce pipeline et ne garantit donc pas sa rentabilité.
Enfin, vous avez cité Anaximandre. Je suis très féru de littérature et de philosophie allemande. Heidegger a écrit un très beau texte sur un fragment de cet auteur : « Rien ne reste de ce qui a passé ; ne passe que ce qui ne reste pas. » J’espère que ce ne sera pas une devise pour l’Europe, que jamais elle ne passera et que resteront dans nos cœurs et dans nos esprits ses réalisations concrètes.