Intervention de Christian Klinger

Réunion du 30 octobre 2023 à 16h00
Épargnants et exploitations agricoles françaises — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Christian KlingerChristian Klinger :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous prenons peu à peu la mesure du déclin progressif de notre secteur agricole. Les constats sont connus : des conditions de travail peu enviables, une rémunération globalement insuffisante, des enjeux environnementaux de plus en plus prégnants et la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que nous.

Face à ces diagnostics très largement partagés – et je ne vous apprendrai rien, monsieur le ministre, en soulignant l’implication de plusieurs de nos collègues sénateurs sur ces sujets –, la réaction du Gouvernement se fait encore attendre. On nous annonce depuis quelques mois un projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, mais le calendrier reste flou.

La situation est d’autant plus inquiétante qu’elle contribue à stigmatiser un secteur déjà durement pénalisé par son manque d’attractivité. En moins de soixante-dix ans, le nombre d’exploitants agricoles a été divisé par cinq, passant de plus de 2, 5 millions en 1955 à 496 000 en 2020. Surtout, environ 43 % des travailleurs du secteur agricole pourraient partir à la retraite d’ici à 2033.

Le sujet du renouvellement générationnel est donc majeur, alors que plus de la moitié des candidats à l’installation ne sont plus issus du milieu agricole, donc du modèle traditionnel d’exploitation familiale.

Les nouveaux entrants sont majoritairement des personnes qui ne disposent pas d’un capital foncier. Ce constat doit nous amener à faire évoluer notre politique agricole pour tenir compte des transformations en cours, parmi lesquelles la question du foncier occupe une place centrale. Bien sûr, les leviers à actionner sont multiples pour lever les freins à l’installation et à la transmission : il y a des enjeux tout autant de régulation que de concurrence, de droit du travail, d’accompagnement des cédants, de fiscalité ou encore de portage du foncier.

Un objectif unique doit pourtant nous guider, celui de rétablir notre souveraineté alimentaire.

La présente proposition de loi, déposée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, s’inscrit dans ce contexte. Son ambition n’est pas de résoudre l’ensemble des difficultés que je viens de soulever – qui le pourrait d’ailleurs ? Elle s’attache à une modalité précise de soutien à l’installation et à la transmission des exploitations agricoles, celle du portage collectif du foncier. Je tiens d’ailleurs à souligner ici, devant vous, monsieur le ministre, le travail de notre collègue Vanina Paoli-Gagin et la qualité de nos échanges.

Le dispositif proposé, que nous avons voté et soutenu en commission des finances, vise à créer une nouvelle voie de financement et d’accès au foncier agricole, à travers des groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI). Cette initiative repose sur l’idée que l’abondance d’épargne privée des Français devrait pouvoir être mobilisée au profit de formes d’investissement « éthiques », au service des agriculteurs, de la souveraineté alimentaire et d’un « retour à la terre ».

Je crois, monsieur le ministre, que nous pouvons tous, ici, souscrire à cet objectif.

J’ai, pour ma part, considéré que la création d’un nouveau véhicule d’investissement était une solution parmi d’autres pour renforcer nos outils d’aide à l’installation et à la transmission. Ce véhicule innovant peut répondre aux attentes de certains exploitants agricoles, en fonction de leurs besoins, de leur secteur d’activité, mais aussi du coût du foncier dans leur territoire. J’ai donc abordé la création des GFAI comme une piste de réflexion, intéressante, mais sans doute modeste.

Je sais que la création de ces groupements fonciers agricoles d’investissement a suscité des interrogations, en commission comme ailleurs. Celle-ci n’est pourtant pas le Grand Soir du monde agricole. Si vous me permettez cette expression pour qualifier ce que nous proposons, « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Il faut que tout change, tout d’abord, parce que, justement, le but est de mobiliser l’épargne de personnes physiques pour aider les agriculteurs à s’installer, pour porter à leur place le coût du foncier, qui est de plus en plus élevé. Ouvrir la souscription des parts de GFA au public permet d’atteindre cet objectif.

Pour que rien ne change, ensuite : la création des GFAI ne remet absolument pas en cause le régime juridique des baux ruraux, très protecteur des exploitants agricoles. C’était le plus important pour la commission des finances. Au contraire, le fonctionnement de ces groupements ne dérogera pas aux règles des baux de long terme. Les détenteurs de parts de GFAI ne pourront pas s’immiscer dans la vie de l’agriculteur, qui doit rester maître chez lui.

C’est donc avec cet impératif en tête que nous avons travaillé sur le dispositif des GFAI en commission. J’espère, monsieur le ministre, que vous soutiendrez ces évolutions.

Nous avons d’abord modifié sa dénomination, transformant les groupements fonciers agricoles d’épargnants en groupements fonciers agricoles d’investissement.

Il s’agit en effet d’un nouveau véhicule d’investissement, qui sera soumis à la supervision de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Comme tout produit financier, il comporte des risques, en termes de liquidité comme de rendement. Les GFAI seront par définition des produits peu liquides, dans la mesure où le foncier agricole est donné à bail à long terme, et aux perspectives de rendement faibles, sauf à augmenter les loyers des exploitants agricoles preneurs de baux, ce qui n’est pas souhaitable.

Autant donc désigner clairement ces groupements pour ce qu’ils sont, sur le modèle d’ailleurs des groupements forestiers d’investissement, que nous connaissons tous ici.

La commission des finances a également adopté un amendement pour préciser la composition de l’actif de ces groupements, afin de le rendre un peu plus liquide.

Enfin, elle a prévu, de nouveau dans un sens favorable aux exploitants, que tous les apports en numéraire devraient être utilisés dans un délai de deux ans pour des investissements à vocation agricole. Ce délai était initialement de trois ans, ce qui pouvait apparaître un peu long.

À l’article 2, nous avons également préservé le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural : celles-ci pourront préempter les parts de GFAI, au même titre que les parts de GFA. De nouveau, rien ne change sur ces aspects-là.

Je dois souligner la sagesse des auteurs de la proposition de loi, qui ont souhaité conserver, pour les GFAI, les règles de fonctionnement des GFA, très protectrices des associés personnes physiques et des exploitants agricoles. Par exemple, et c’est l’objet de l’article 3, les personnes physiques disposeront d’un droit de vote double, contre un droit de vote simple pour les personnes morales.

Enfin, l’article 4 étend aux parts de groupements fonciers agricoles d’investissement deux dispositifs fiscaux favorables, qui existent pour les parts de GFA. D’une part, les donataires de parts de GFAI bénéficieront d’une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit (DMTG). D’autre part, les détenteurs de ces parts seront totalement ou partiellement exonérés d’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Il s’agit là, à mon sens, d’un simple alignement du régime fiscal des GFAI sur celui des GFA. De tels avantages fiscaux devraient également être de nature à inciter davantage d’épargnants à souscrire ce produit, en compensation de rendements limités.

La commission des finances vous propose donc d’adopter un dispositif équilibré et encadré pour faciliter l’installation des jeunes agriculteurs. Ce dernier trouvera sans doute à s’appliquer pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers d’acquérir du foncier dès le début de leur vie professionnelle. On peut aussi penser aux agriculteurs qui travaillent dans des territoires frappés par une forte hausse du coût du foncier, comme c’est le cas, par exemple, des viticulteurs dans certaines régions.

Pour conclure, et je le redis devant vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous proposons la création d’un dispositif susceptible de soutenir l’installation des agriculteurs et la transmission des exploitations, sans remettre en cause le principe cardinal qui veut que l’agriculteur soit maître chez lui.

Je vous invite donc à voter pour cette proposition de loi.

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