Intervention de Marc Fesneau

Réunion du 30 octobre 2023 à 16h00
Épargnants et exploitations agricoles françaises — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Marc Fesneau :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, madame la sénatrice Paoli-Gagin, mesdames, messieurs les sénateurs, le prix du foncier agricole et le statut du fermage constituent, chacun en convient, des atouts pour la compétitivité de notre agriculture, notamment par rapport à nos voisins européens, mais la difficulté d’accès au foncier, pour les futurs exploitants, en particulier ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole – ils sont de plus en plus nombreux à être dans ce cas – est considérée de manière consensuelle comme l’un des freins à l’installation des jeunes générations.

Il s’agit d’un enjeu de souveraineté alimentaire majeur et c’est tout l’intérêt du débat que nous aurons aujourd’hui, lors de l’examen de cette proposition de loi déposée sur l’initiative de Vanina Paoli-Gagin et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, que je tiens à saluer.

Naturellement, cet enjeu était, et demeure, comme vous le savez, au cœur des concertations que nous avons menées sur le projet de pacte et de loi d’orientation visant à faciliter le renouvellement des générations agricoles, annoncé par le Président de la République.

Je souhaiterais saluer, à cette tribune, cet exercice démocratique inédit. Menée à l’échelle nationale et régionale, sous l’égide du ministère, de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) et de Régions de France, cette concertation, qui avait aussi un volet ultramarin, a mobilisé l’ensemble des écosystèmes agricoles et alimentaires, les acteurs de l’enseignement, de la recherche, de l’orientation et de la formation continue, de l’installation, ainsi que le monde associatif, les parlementaires et les élus locaux.

Les jeunes de l’enseignement agricole y ont également participé, tout comme la société civile, par le biais notamment du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui a rendu un avis, et le grand public.

Cette concertation a, de mon point de vue, montré qu’il était possible de dégager un certain nombre de points de consensus sur un sujet aussi essentiel que celui de notre agriculture, de notre souveraineté alimentaire et du renouvellement des générations des exploitants – un sujet qui nourrit parfois les caricatures et les excès de toutes sortes.

Je sais qu’il s’agit sans doute ici, au Sénat, d’une évidence, mais je tiens à remercier les parties prenantes d’avoir joué le jeu, d’avoir débattu du fond, d’avoir échangé dans la diversité, sans s’arrêter aux divergences, et d’avoir su se projeter collectivement sur l’avenir de notre agriculture à l’horizon de vingt ans, en dépit du poids des défis, en particulier climatiques, écologiques et démographiques qui sont devant nous.

Cette concertation a mis en exergue, de manière consensuelle, le besoin de simplifier l’accès aux outils et aux moyens de production et, dans cette perspective, la nécessité d’encourager le développement du portage, temporaire ou pérenne, du foncier.

Le débat est posé de manière claire avec cette proposition de loi qui part d’un constat simple : les groupements fonciers agricoles, sociétés de portage dédiées à l’agriculture, créées il y a déjà plusieurs années, constituent des véhicules utiles pour drainer des capitaux en faveur de l’agriculture, et décharger ainsi les agricultrices et les agriculteurs du poids, parfois excessif, de l’investissement initial dans le foncier.

Il n’en reste pas moins que des difficultés subsistent pour collecter des capitaux auprès des particuliers, notamment en raison de l’impossibilité pour ces groupements de solliciter les investisseurs en procédant à l’offre au public de leurs parts sociales.

Plusieurs difficultés freinent également l’utilisation des GFA : la faible rentabilité générale de l’investissement dans le foncier agricole ; la responsabilité illimitée de l’investisseur en cas de pertes, qui est proportionnelle au nombre de parts détenues ; le caractère peu liquide des parts sociales et l’absence de marché pour négocier ces dernières ; ou encore la négociation difficile des conditions de sortie des propriétaires de parts au regard des incidences sur les exploitants lorsque ces conditions n’ont pas été suffisamment précisées lors de la souscription.

Pour répondre à ces difficultés, les auteurs de la proposition de loi proposent de créer un nouveau type de groupements fonciers, les groupements fonciers agricoles d’épargnants, sur le modèle, le rapporteur l’a indiqué, des groupements fonciers forestiers. Ces GFAE sont devenus, au terme de l’examen en commission, les groupements fonciers agricoles d’investissement. Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité et le sérieux des travaux du rapporteur et de la commission des finances.

En tant que ministre de l’agriculture, je perçois dans le dispositif proposé un double avantage.

J’y vois la capacité à augmenter le nombre d’investisseurs dans le secteur du foncier agricole et à apporter de nouveaux capitaux dans les exploitations agricoles. Nos concitoyens pourront ainsi s’impliquer davantage dans les questions agricoles et accompagner le renouvellement des générations, tout en contribuant à notre souveraineté alimentaire.

Au regard du fonctionnement des actuels groupements fonciers agricoles, nous pensons qu’une profondeur de marché de 100 millions d’euros par an pourrait être atteinte avec cette nouvelle mesure.

Madame la sénatrice, monsieur le rapporteur, vous avez souligné les craintes que certains ont exprimées. Je répète que cette proposition de loi ne vise nullement à remettre en cause le statut des baux ruraux.

S’il ne faut pas y voir une solution miracle, elle apporte néanmoins une pierre à l’édifice de la question foncière. Ses dispositions seront d’autant plus utiles qu’elles seront pensées en cohérence avec d’autres outils favorisant, à l’échelle locale, le renouvellement des générations.

Dans le cadre de la mise en œuvre du fonds Entrepreneurs du vivant, qui sera financé par France 2030, l’État s’est ainsi engagé à soutenir en fonds propres, à hauteur de 400 millions d’euros, des solutions de partage innovantes pour les exploitations agricoles.

À la différence du GFAI, qui sera destiné aux particuliers épargnants et qui permettra donc des apports de capital privé dans le foncier agricole, le fonds Entrepreneurs du vivant offre à l’État la possibilité d’abonder les différentes structures de portage existantes, qu’elles soient publiques ou privées, nationales ou locales.

Ces deux outils seraient donc complémentaires. Compte tenu des besoins de portage du foncier associés au renouvellement des générations, ils sont sans doute aussi nécessaires l’un et l’autre.

Par ailleurs, les GFAI tels que vous les avez pensés me semblent des structures susceptibles d’apporter des garanties en matière de maîtrise des capitaux. Grâce aux garde-fous qu’elles imposeraient quant au type d’investisseurs autorisés, elles nous permettraient de conserver, comme le font la plupart des pays du monde, notre souveraineté sur cet élément stratégique qu’est le foncier.

Ce n’est pas le cas de l’ensemble des outils d’investissement à long terme, qui ne tiennent pas toujours compte des enjeux propres à la souveraineté alimentaire.

Je sais d’ailleurs que cette préoccupation s’est exprimée en commission et que l’auteure de cette proposition de loi y est particulièrement attentive.

J’y vois un impératif au regard de l’enjeu de renouvellement des générations auquel nous sommes confrontés et de notre volonté partagée de préserver la diversité de nos modèles agricoles.

Naturellement, la mise en œuvre des GFAI pose – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – un certain nombre de questions, auxquelles nos débats, je n’en doute pas, apporteront des réponses.

La question du foncier est cruciale. La formation est un élément central du renouvellement des générations. Il faut donner aux agriculteurs qui s’installent, comme à ceux qui sont en place, la capacité de mener les grandes transitions à venir : énergétique, écologique, phytosanitaire.

Afin d’inciter les jeunes qui le souhaitent à s’installer – ces derniers ne sont plus issus, désormais, majoritairement de milieux agricoles –, nous devons leur tenir un discours plus positif sur l’agriculture et leur donner des perspectives.

Nous devons leur dire que, sur les questions du foncier, de l’investissement ou des grandes transitions qui sont à l’œuvre, l’État, les collectivités et nous tous sommes à leurs côtés.

Ce débat et le vote du Parlement enverront, en tout état de cause, un signal fort sur la nécessité de développer des outils de portage du foncier et des capitaux, conformément à ce que nos travaux de ces derniers mois ont fait ressortir.

Je m’engage à y être particulièrement attentif à l’occasion de la prochaine présentation du pacte d’orientation en faveur du renouvellement des générations et de la loi qui en découlera.

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