Intervention de Marc Fesneau

Réunion du 30 octobre 2023 à 16h00
Épargnants et exploitations agricoles françaises — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Marc Fesneau, ministre :

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite formuler quelques réflexions et analyses en réponse à vos différentes interventions.

Monsieur Daubet, je vous remercie pour votre intervention, dont je partage un certain nombre de points, et notamment votre interrogation sur la nécessité de toucher aux grands équilibres et de mettre le doigt dans un tel engrenage. Comme vous l'avez bien souligné dans votre démonstration, le monde a évolué, et il est essentiel de se demander si nos outils correspondent réellement à la réalité vécue sur nos territoires.

Je tiens à souligner un aspect que plusieurs d'entre vous ont évoqué : le renouvellement des générations. C'est un sujet de souveraineté alimentaire, mais également une question de dialogue entre le monde agricole et la société. Moins nous avons d'agriculteurs, plus nous avons de difficultés, sur les territoires, à établir un dialogue. Je prendrai l'exemple de trois pays : l'Irlande, avec 5 millions d'habitants, compte 135 000 exploitations agricoles ; l'Italie, qui a moins d'habitants que la France, en compte plus d'un million ; et l'Espagne en a 900 000. La puissance agricole, non plus que le dialogue, sur le territoire, avec l'agriculture, ne peut être décorrélée du nombre d'exploitants agricoles. La question du renouvellement des générations est économique, écologique et sociologique. Si nous n'agissons pas sur ce renouvellement, nous n'y arriverons pas.

Oui, monsieur Lévrier, ce texte n'est qu'une pierre de l'édifice : tout comme son auteure et son rapporteur, nous ne prétendons pas qu'il résoudra l'ensemble des problèmes liés au renouvellement des générations et aux difficultés d'accès au foncier.

Madame la sénatrice Briquet, vous avez mentionné plusieurs sujets importants. Vous avez évoqué le risque d'éviction. En réalité, l'éviction est déjà présente. Le texte dont nous discutons cet après-midi vise justement à éviter un tel risque. Partout, le prix du foncier devient inaccessible pour beaucoup. Dans le territoire que je connais le mieux, le Loir-et-Cher, les terres qui coûtaient autour de 5 000 euros valent aujourd'hui entre 10 000 et 14 000 euros l'hectare. Et elles sont acquises par des personnes n'ayant aucun lien avec l'agriculture. Nous devons travailler pour éviter ces effets d'éviction, ce qui nécessite une régulation. Cette proposition de loi vise à introduire cette régulation.

Cela a également été dit par l'auteure et le rapporteur de cette proposition de loi, celle-ci ne remet aucunement en cause le statut du fermage et, partant, ne crée aucun effet d'éviction. Ce statut constitue un énorme avantage comparatif pour notre pays, car c'est un élément de sécurisation. Le fermage et l'encadrement de ses prix constituent un avantage comparatif immense pour notre pays.

Vous avez évoqué plusieurs mécanismes de régulation. Actuellement, la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite « loi Sempastous », commence à produire ses effets. Ne lui faisons pas de procès ! Nous n'avons pas encore un recul suffisant pour en faire l'évaluation, mais les remontées d'informations des Safer nous fourniront des éléments pour évaluer son efficacité ou les besoins d'amodiation. Cet aspect me semble crucial.

Beaucoup d'entre vous ont souligné la nécessité d'une approche plus globale, englobant les aspects budgétaires, sociaux et environnementaux : j'y ajouterai la question de la souveraineté.

Je rappelle que c'est Stéphane Le Foll, au travers de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, portée par, qui a créé les groupements forestiers d'investissement, ce qui montre une continuité dans ce type de dispositif et un assez large consensus politique en sa faveur.

Nous avons un point de désaccord, monsieur Somon, lorsque vous dites que le texte imposera des contraintes supplémentaires pour ceux qui souhaitent s'installer. Le travail en commission a bien montré que l'objectif est non pas d'ajouter davantage de contraintes, mais plutôt de permettre à l'investisseur d'investir sans empiéter sur le pouvoir décisionnel de l'agriculteur. L'agriculteur doit rester maître chez lui pour que le système fonctionne. Et le présent texte permet d'éviter cet écueil. D'ailleurs, le risque que vous évoquez existe aussi si ce sont des collectivités territoriales qui interviennent. J'en connais qui se montrent prescriptrices sur le choix des cultures… Mais le statut du fermage est suffisamment protecteur.

Monsieur le sénateur Wattebled, vous avez évoqué le sentiment de dépossession – il est vrai que vous êtes élu d'un département frontalier, problématique à laquelle n'est pas confrontée la région Centre-Val de Loire ! Ce sentiment peut être double, touchant les régions frontalières comme celles qui ne le sont pas. Le prix bas des terres agricoles en France est un atout majeur en termes de compétitivité, avec la stabilité du fermage et l'encadrement des loyers. Cependant, il peut y avoir des effets d'éviction, que ce soit en région frontalière ou à l'« intérieur des terres », où des jeunes ne parviennent parfois pas à s'installer faute d'accès au foncier. Mais il est vrai que la tension est plus forte à la frontière. Nous devrons travailler cette question avec les Safer et renforcer la régulation.

Oui, monsieur le sénateur Canévet, il est nécessaire de multiplier les outils, car aucun dispositif ne résoudra à lui seul tous les problèmes, y compris sur la question du foncier. C'est la combinaison de divers outils que nous mettrons sur la table qui permettra de répondre aux diverses situations. Le dispositif présenté semble être intéressant à explorer.

Je souhaite insister sur la puissance du fermage, même si certains exploitants s'en tiennent encore à l'écart. Plusieurs dispositions de la loi Sempastous venaient dévoyer le statut des organisations sociétaires. Il est impératif de remettre le statut du fermage au cœur du dispositif, car il s'agit d'une protection essentielle.

Concernant les MAEC, notamment en Bretagne, il est à noter que les moyens de l'État sont plus importants dans la programmation actuelle que dans les précédentes. Cependant, un plus grand nombre d'individus s'engagent dans ces transitions – ce qui constitue plutôt une bonne nouvelle. Cela crée une difficulté en termes de financement, mais nous travaillons, avec le ministre de la transition écologique, pour que les agences de l'eau puissent assumer la part qui leur revient et afin que les moyens soient déployés pour soutenir en particulier les agriculteurs engagés dans des MAEC dites « systèmes », les plus présentes en Bretagne.

Monsieur Salmon, vous affirmez que les GFI ne fonctionnent pas. Cependant, la hausse des prix du foncier forestier est attribuable au fait que les forêts sont redevenues une valeur refuge. En fait, on commence enfin à payer le bois à sa juste valeur, contrairement aux trente ou quarante dernières années, où tel n'était pas le cas, sauf peut-être pour le chêne et les résineux – en particulier dans le Sud-Ouest, grâce à la présence d'une filière très organisée –, le reste étant utilisé comme résidu. C'est une bonne nouvelle, y compris pour le renouvellement forestier, car cela facilitera les investissements. La montée des prix du foncier forestier s'explique par l'intérêt grandissant pour la forêt aujourd'hui, qui est bienvenu, je le répète. Tant mieux si un nombre croissant de personnes découvrent l'intérêt de la forêt ! La proposition de loi vise non pas à résoudre l'intégralité des problèmes liés au foncier, mais à apporter une contribution spécifique à ce sujet.

Je souhaite évoquer la question de l'équilibre entre le secteurs privé et public dans la possession des terres agricoles. En France, seulement 1, 7 % de ces terres relèvent de la maîtrise d'ouvrage publique, le reste étant propriété privée. Ne faisons donc pas croire que nous faisons passer les terres du public au privé, puisque la propriété foncière agricole est déjà principalement privée – et ce n'est pas un gros mot. Là où je vous rejoins, c'est qu'il est essentiel de trouver des mécanismes de régulation.

En Bretagne, les mécanismes de régulation sont en place et fonctionnent dans de bonnes conditions, ce qui se traduit par un taux de renouvellement des générations plus élevé que dans d'autres régions. Cela est dû à la collaboration de tous les acteurs régionaux et au modèle agricole propre à cette région. Cela montre à la fois que la régulation peut fonctionner et qu'une volonté bretonne s'est exprimée à tous les niveaux - collectivités et responsables professionnels - pour favoriser le renouvellement. Nous avons donc besoin de travailler sur le foncier en termes de capitaux et de régulation.

Je partage certains points avec vous, monsieur Bocquet, contrairement à ce que vous pourriez penser. Nous devons éviter une vision excessivement rentable de l'agriculture. Il est essentiel de ne pas exiger de l'agriculture des rendements qu'elle ne peut pas fournir. Je conviens qu'il faut distinguer la spéculation capitalistique de la nécessité d'apporter des capitaux pour accompagner la transition. Il y a un vrai besoin de matériel performant pour assumer la transition et permettre à des jeunes de s'installer. Certaines structures, en particulier dans l'élevage, nécessitent des capitaux, c'est une réalité économique.

Nous devons nous assurer que le groupement foncier soit orienté vers l'installation des jeunes agriculteurs, et non vers l'agrandissement des exploitations. Nous ambitionnons de résoudre le problème d'accès au foncier pour ceux qui ne peuvent pas y accéder, en particulier les jeunes, ou moins jeunes, agriculteurs en devenir.

Enfin, monsieur Chevrollier, vous vous demandez si être locataire peut être une perspective. Je souligne que la moitié des agriculteurs français sont locataires !

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