Intervention de Laurent Somon

Réunion du 30 octobre 2023 à 16h00
Épargnants et exploitations agricoles françaises — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Laurent SomonLaurent Somon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi de Vanina Paoli-Gagin vise à donner la possibilité aux épargnants d’investir dans le foncier agricole via un nouveau véhicule appelé le groupement foncier agricole d’épargnants, ce afin de favoriser la transmission du foncier agricole aux nouvelles générations d’agriculteurs et ainsi faciliter leur installation.

Il y a urgence : la moitié des agriculteurs ont plus de 50 ans et leurs exploitations sont à la veille d’être transmises.

Notre rapporteur Christian Klinger, dont je salue le travail de fond, a permis de mieux encadrer les dispositions de la proposition de loi au bénéfice de l’agriculteur.

Baux relevant du régime des baux ruraux, renouvellement de droit du bail, loyer encadré selon un barème établi par le préfet de département, droit de préemption de rachat ou encore possibilité pour les Safer de prendre des parts, voire toutes les parts, sont autant de dispositions qui offrent des perspectives encourageantes et un cadre légal rigoureux à même de garantir « une jouissance paisible d’un bien par son fermier ».

Néanmoins, au-delà de la volonté affichée de trouver des appuis financiers à l’investissement dans des exploitations agricoles pour l’installation des jeunes agriculteurs et favoriser leurs reprises, cette proposition de loi a été et reste l’objet d’interrogations.

Si le groupe Les Républicains est favorable à l’ensemble des leviers facilitant la transmission et l’installation des nouveaux exploitants agricoles, il n’en demeure pas moins vigilant sur les conséquences du dispositif proposé.

En effet, il est nécessaire de s’assurer, d’un côté, que ce dispositif répond aux besoins des agriculteurs français et, d’un autre côté, que ce type de produit présente une attractivité suffisante pour les épargnants. Il ne faudrait pas non plus que ces derniers, mus par un objectif de rentabilité, se livrent à la spéculation foncière ou que soit porté atteinte à la liberté des modes et types de cultures.

Les agriculteurs doivent pouvoir répondre aux attentes sociétales et environnementales, contribuer à notre souveraineté alimentaire et conserver la liberté d’entreprendre et de s’organiser entre producteurs dans un cadre collectif et réglementaire stabilisé.

Ne risque-t-on pas de favoriser une forme de financiarisation du foncier agricole, qui aurait des conséquences sur les transmissions agricoles familiales ?

Je rappelle que plus de 60 % de la surface agricole utile est déjà « portée » par des tiers à l’agriculture et louée en fermage. Dans la Somme, cette proportion atteint 80 %.

Le marché foncier annuel des ventes agricoles est de 7 milliards d’euros et les Safer orientent déjà le marché foncier agricole en intervenant dans 25 % à 30 % des ventes.

Les fermiers ne risquent-ils pas d’être exposés à des contraintes supplémentaires ? Des sociétés d’épargne largement « ou…vertes » ne pourraient-elles pas souscrire aux GFAI et imposer aux baux souscrits dans un maquis réglementaire déjà complexe des conditions agronomiques ou variétales plus contraignantes ?

Ce risque n’est-il pas de nature à déposséder les agriculteurs de leur liberté d’assolement ou de leur plan d’élevage ?

M. le rapporteur reconnaît, dans son rapport, les limites de l’initiative, en précisant qu’elle représente une piste de réflexion parmi d’autres.

Parmi ces dernières figure, à l’heure des projets alimentaires territoriaux (PAT), le développement de GFA mutuels, à l’instar de ceux qui sont proposés dans nombre de départements, sur l’initiative des chambres d’agriculture.

En cohérence avec l’élaboration d’un PAT, les collectivités territoriales, ainsi que les Safer et des investisseurs privés locaux, pourraient y participer, aux côtés des agriculteurs.

Cela permettrait à un exploitant agricole détenteur d’un bail rural à long terme accordé par ce GFA d’accéder à une forme de maîtrise du foncier qu’il exploite.

Cette nouvelle proposition, que nous étudions, ne garantit pas à l’exploitant d’accéder au capital, s’il ne dispose pas d’au moins une part sociale de ce GFA, lui permettant d’ouvrir un droit de préférence en cas de cession de parts sociales, conformément aux dispositions de l’article L322-5 du code rural et de la pêche maritime, qui accorde « un droit de priorité aux associés qui participent à l’exploitation des biens du groupement […] ».

Dans un rapport du ministère de l’agriculture publié en 2023, Stratégies d ’ usage des terres en France dans l ’ objectif d ’ assurer la souveraineté alimentaire et de préserver la biodiversité, les auteurs Valérie Baduel, Claire Hubert et Hervé Lejeune appelaient à l’établissement d’un « réel consensus pour promouvoir notre souveraineté alimentaire sur la base d’une définition d’objectifs clairs et d’outils à mettre en place […] au niveau le plus approprié […] pour optimiser les arbitrages fonciers entre protection de la biodiversité et souveraineté alimentaire ». Ils ajoutaient que « la loi d’orientation agricole en préparation pourrait permettre de telles évolutions ».

Un autre rapport, remis cette fois en 2017 par Charles Gendron et Yves Granger, précisait déjà les nécessaires évolutions des outils de régulation et diversification des outils de portage du foncier.

Les agriculteurs réclament un cadre clair et stable, que seule une loi d’orientation agricole définira.

Pour rappel, les GFA ont été créés dans la foulée des lois d’orientation de 1960 et de 1962, une fois que les objectifs avaient été définis et le cadre réglementaire stabilisé. Aujourd’hui, nous discutons des outils avant même cette première étape indispensable.

Monsieur le ministre, il est temps, dans le cadre d’une loi d’orientation, de définir les objectifs environnementaux et les politiques stratégiques en matière de production et de foncier agricoles, et de proposer les évolutions nécessaires du statut de fermage éventuellement, ainsi que les outils financiers qui seraient de nature à faciliter les reprises.

Mettre la charrue avant les bœufs n’est guère rassurant, ni pour le rendement attendu par les épargnants ni pour la production des agriculteurs !

Nous nous associons donc à la prudence de M. le rapporteur, en proposant une réflexion plus globale et plus approfondie, que nos débats du jour pourront éclairer.

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