Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 6 novembre 2023 à 21h30
Immigration et intégration — Article 1er A

Gérald Darmanin :

La négociation du pacte européen sur la migration et l’asile comportait trois grands « paquets ».

Le premier concerne l’enregistrement de tout étranger ; c’est ce qui me fait dire qu’il manque une pierre dans le raisonnement de M. Retailleau. Nous cherchons à obtenir un changement significatif, et j’espère que le Parlement européen nous suivra sur ce point. Il s’agit d’obliger tous les États de première entrée, comme l’Italie et la Grèce, à enregistrer tous les étrangers arrivant sur leur territoire. Ce faisant, ces États demanderont aux arrivants les raisons de leur venue sur le sol européen. Les demandes d’asile, elles, ne seront plus traitées sur le sol du pays de première entrée. Notre intention est d’écarter ce que nous considérons, en Européens, comme des contournements manifestes, comme les cas des Sénégalais ou des Camerounais, par exemple.

Pour illustrer mon propos, imaginons que des policiers italiens interpellent une personne et lui demandent son identité. Ils enregistrent cette information et lui demandent si elle souhaite déposer une demande d’asile sur le territoire européen. Si cette personne répond affirmativement et vient d’un pays associé à un fort taux de protection, elle sera alors acceptée, et nous procéderons à sa relocalisation, répartissant la charge entre tous les pays européens, de manière obligatoire. Pour ceux dont nous savons que nous allons rejeter la demande à 80 %, 90 %, voire 95 %, ces personnes déposeront leur demande d’asile à la frontière, en vertu de la fiction juridique de non-entrée. Bien que ces individus soient physiquement arrivés sur le territoire, ils ne seront pas juridiquement considérés comme entrés. Les États disposeront de quinze jours pour effectuer les diligences nécessaires. Cela correspond parfaitement à nos engagements internationaux et à l’article 53-1 de la Constitution.

Pour répondre pleinement à la question de M. Retailleau, l’enregistrement de tous les étrangers sera obligatoire, et il incombera aux pays de première entrée, à l’occasion de cet enregistrement, d’examiner les demandes d’asile. Les demandes jugées abusives seront rapidement rejetées. Y aura-t-il rétention ? C’est un débat. L’Espagne a refusé cette approche depuis l’époque de Franco. Cela soulève aussi des questions de capacité, car, au-delà d’un certain nombre de personnes, nous entrons dans une autre phase juridique, mais je ne m’étendrai pas sur ces détails. Par exemple, les 10 000 premières personnes arrivant en Italie verraient leur demande d’asile étudiée à la frontière. Si le taux de protection de leur pays d’origine est très bas, elles seront renvoyées dans leur pays d’origine. Sinon, nous n’accepterons pas immédiatement l’asile ; nous avons simplement accepté de répartir la charge des demandeurs d’asile en provenance de pays où les individus sont persécutés pour des raisons politiques ou religieuses.

De telles propositions ne sont donc pas incompatibles avec ce que nous soutenons. Nous ne disons pas qu’il est impossible de faire des demandes d’asile à l’extérieur de notre territoire. Mais, à la différence de ce que j’ai pu comprendre de votre proposition de loi constitutionnelle, nous soutenons qu’il n’est pas envisageable de prévoir que les demandes d’asile soient faites exclusivement en dehors du territoire. Impossible, en effet, de refuser à une personne présente sur le sol national de demander l’asile. Nous pouvons imaginer de réduire le flux des personnes qui demandent l’asile, pour que cette démarche soit faite dans les consulats, mais ce ne sera jamais 100 %. Sinon, il faudrait changer au moins le préambule de la Constitution ; je ne crois pas que ce soit l’objet de votre proposition de loi constitutionnelle.

Le pacte européen sur la migration et l’asile et la fiction de non-entrée vont tarir une partie des flux. De toute façon, même si un consulat étudie une demande d’asile, pour gagner du temps, à la fin, ce n’est pas lui qui octroie l’asile. Il ne peut que donner un visa pour que la personne concernée puisse venir terminer ses entretiens et déposer formellement sa demande d’asile sur le territoire de la République. Nous ne pourrons pas empêcher des demandeurs d’asile de déposer leur demande sur le sol de la République.

Il peut y avoir des avancées européennes. J’espère d’ailleurs que celles-ci seront votées par les députés du parti populaire européen (PPE). J’ai en effet constaté, monsieur Retailleau, si vous me permettez de faire preuve de malice en cette heure tardive, que les députés français du Parlement européen qui sont au PPE ont réussi à se diviser sur ce texte : trois sont pour, trois sont contre !

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