Cet article, qui ne figurait pas dans le texte initial du Gouvernement, a été ajouté par la commission des lois du Sénat.
On peut, certes, débattre du regroupement familial dans le cadre d’un texte sur l’immigration : d’une part, les Français en parlent ; d’autre part, c’est une source d’immigration. Pour autant, l’importance du regroupement familial est-elle proportionnelle à la place que cette question occupe dans le débat public ? Sans doute pas.
L’immigration familiale concerne 90 000 personnes par an. Sur ces 90 000 personnes, le regroupement familial dont il est question à l’article 1er B, que la gauche de cet hémicycle propose de supprimer, concerne entre 12 000 et 14 000 personnes par an.
Je rappelle que l’essentiel des regroupements familiaux – plus de la moitié en fait – concerne des conjoints de Français ou des personnes de l’Union européenne, dont nul ne cherche à interdire l’accès au territoire et qui sont, par nature, difficiles à maîtriser.
Chaque année, le regroupement familial ne concerne en moyenne que 13 % à 14 % des 90 000 personnes de l’immigration familiale ; les conjoints de Français ou de citoyens européens en représentent plus de 50 %. Et la réunification familiale, dont on a parlé précédemment, concerne entre 4 000 et 5 000 réfugiés.
Cela étant dit, je pense que la rapporteure a raison de le dire, il est une question qu’il n’est pas interdit de se poser : les personnes qui demandent un regroupement familial peuvent-elles vivre avec leur famille dans de bonnes conditions d’intégration ? Il me semble possible de s’interroger à cet égard sans créer de polémique particulière.
Il me semble d’ailleurs que l’article 1er D est plus important encore que celui que nous examinons. Pour cette raison, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat à la fois sur le présent article tel qu’il nous est proposé par la commission et sur les amendements visant à le supprimer, car je pense que cet article mérite d’être davantage travaillé. Nous y reviendrons sans doute à l’Assemblée nationale.
Cela étant, je le répète, l’article 1er D me paraît plus important. Il porte sur la vérification par le maire des conditions de logement et de ressources attendues d’un étranger désireux d’accueillir sa famille sur notre territoire.
Lorsque j’ai été élu maire de ma commune en 2014, je me suis aperçu que c’était au maire qu’il revenait de signer les attestations relatives à la rémunération et à la surface du logement du demandeur d’un regroupement familial. C’est le maire – personne ne me l’avait dit – qui donne son blanc-seing.
Combien de maires de France font personnellement ces vérifications ? J’imagine que peu de demandes sont déposées dans les plus petites communes et que le maire, puisqu’il fait tout, procède lui-même aux vérifications. En revanche, qui les effectue dans les grandes communes, qui sont les principaux lieux d’immigration ?
Dans ma ville de 100 000 habitants, des dizaines de demandes étaient déposées chaque semaine ; je m’en souviens très bien. Quand on veut faire le travail sérieusement, cela prend beaucoup de temps. L’un de mes adjoints réalisait l’instruction avec les services et je mettais un point d’honneur à signer pour le préfet une vérification sur laquelle je pouvais m’engager.
Je refusais, je me le rappelle, 70 % des demandes qui m’étaient faites, non pas par volonté de refuser le regroupement familial, mais parce que les conditions fixées par les lois de la République n’étaient pas remplies : la surface du logement n’était pas suffisante. Le fait est que cela prend beaucoup de temps d’envoyer la police municipale vérifier le nombre de mètres carrés que compte un logement.
Vous pouvez inscrire autant de critères que vous le souhaitez dans la loi, en termes de surface de logement ou de rémunération – et vous avez raison d’avoir de telles exigences –, mais, si personne ne vérifie qu’ils sont respectés, ils ne servent à rien.
À mon sens, nous devrions tous nous intéresser à l’article 1er D, qui confie au maire la responsabilité de procéder à ces vérifications en renforçant ses pouvoirs et en lui donnant les moyens de s’engager sur le regroupement familial.
Soit l’on considère que l’on donne un faux pouvoir au maire, auquel cas l’État doit sans doute le reprendre ; soit l’on considère qu’il appartient à l’étranger qui demande un regroupement familial de démontrer, comme une sorte d’engagement, qu’il dispose bien des mètres carrés nécessaires et de la rémunération requise. Or il me semble que, aujourd’hui, on ouvre la voie à la fraude, car personne ne peut vérifier les mètres carrés ou les rémunérations que nous avons tous envie de définir.
Par ailleurs, je pense qu’on peut étudier l’allongement du délai de séjour requis pour déposer une demande de regroupement familial. Pourquoi pas ? Je comprends ce qu’a voulu faire la commission. Si un tel allongement peut permettre aux élus et à la préfecture d’effectuer leur travail, de vérifier la bonne intégration des personnes et leur respect des règles de la République, je n’y vois pas d’inconvénient.
On peut avoir l’impression que cet allongement n’a d’autre objectif que de se faire plaisir ou d’embêter les étrangers. Mais, en fait, je le trouve assez cohérent avec la disposition qu’avait proposée le gouvernement de 2007, lorsque Nicolas Sarkozy était Président de la République. Il avait alors institué une condition de langue pour bénéficier du regroupement familial. On demandait aux étrangers non pas de maîtriser la langue, mais au moins de prendre des cours de français par exemple.
Aujourd’hui, cette condition ne figure plus dans la loi de la République. Le regroupement familial est accordé sans prise en compte de la volonté d’intégration des personnes. Se donner quelques mois supplémentaires permettrait de vérifier l’intégration des personnes, y compris dans la perspective d’un regroupement familial. Il me semblerait intelligent de restaurer cette disposition, qui avait été supprimée par la majorité suivante.
Je le répète, j’invite le Parlement à moins s’intéresser à l’article 1er B, qui a peu d’importance, qu’à l’article 1er D, qui donne au maire les moyens de vérifier in concreto les documents permettant d’autoriser un regroupement familial.
On peut s’écharper très longtemps au Sénat ou à l’Assemblée nationale sur cet article, si personne n’effectue les vérifications requises, cela ne servira à rien. On n’empêchera pas les regroupements familiaux et on favorisera la fraude.