Certes, le projet de fusion avec Suez est séduisant à plus d'un titre. Le nouvel ensemble Suez-GDF proposerait une offre duale gaz-électricité qui répond mieux aux attentes des clients.
En outre, cet ensemble deviendrait le numéro un européen de vente de gaz. Il serait également le plus gros acheteur du continent, et la répartition des approvisionnements du groupe à l'horizon de 2007 se ferait à partir d'un portefeuille de fournisseurs plus diversifié. Enfin, le nouvel ensemble disposerait d'une position dominante dans le secteur du gaz naturel liquéfié.
Toutefois, j'estime indispensable que l'État reste un acteur majeur de la politique énergétique. Nous en sommes tous d'accord, l'énergie constitue et constituera de plus en plus un enjeu national.
La sécurité d'approvisionnement représente un objectif géostratégique constant de l'État. Celui-ci doit donc en garder la maîtrise, sinon directement, du moins indirectement. En effet, comme je l'ai rappelé lors de l'examen du projet de loi, les accords sur l'achat et la vente de gaz sont plus politiques que liés au marché : ce sont les États qui décideront de nous vendre ou pas du gaz, de laisser les robinets ouverts ou de les fermer.
En matière d'électricité, il n'existe pas de marché international. Pour des raisons physiques, l'électricité - énergie secondaire - est difficilement transportable sur de longues distances. De surcroît, seul le nucléaire est à la hauteur des défis à venir pour faire face aux besoins grandissants. Cela implique un engagement fort de l'État et une politique industrielle qui n'a rien à voir avec le simple jeu des marchés.
Quant au gaz, il n'est plus guère produit en France et presque plus en Europe, sauf en mer du Nord, en Écosse et en Norvège. Le marché international du gaz est un réel oligopole où règnent et régneront de plus en plus en maîtres les fournisseurs russes et algériens, lesquels viennent d'ailleurs de conclure un accord de coordination pour leur offre.
Face à cette situation, l'État français sera-t-il en mesure d'assurer l'indépendance énergétique de la France et de répondre à la nécessité d'obtenir les meilleurs prix pour les entreprises et les ménages ? En un mot, l'État a-t-il encore les moyens de maîtriser l'évolution de ce secteur primordial ? Ce projet de loi le permet-il ? Je ne le pense pas.
Certes, en conservant une minorité de blocage dans le capital de Gaz de France, l'État garde une certaine influence, mais cette dernière me semble bien ténue au regard des enjeux actuels et de la pression du marché, notamment en ce qui concerne la capacité d'investissement du nouveau groupe. En effet, avec Electrabel, Suez exploite déjà des centrales nucléaires en Belgique. Il est donc raisonnable de penser que le nouveau groupe pourra également en construire en France, surtout dans le contexte actuel de pénurie d'électricité.
Nous aurons besoin très rapidement d'un deuxième réacteur EPR. Or la seule façon pour l'État de convaincre nos concitoyens de la nécessité de recourir aux réacteurs nucléaires les plus modernes qui soient est qu'il reste largement présent dans le groupe qui construira la future centrale nucléaire.
Aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement de voter un texte pour résoudre un problème du moment - Enel peut-il ou non acheter Suez ? -, qui a servi de point de départ à la réflexion gouvernementale et à ce projet de loi ; il s'agit de construire une véritable politique énergétique pour demain. Nous sommes donc profondément convaincus que, pour recourir à l'énergie nucléaire avec les progrès technologiques mais aussi les risques que cela comporte, l'État doit rester majoritairement présent, garant du sérieux technologique plus que du profit capitaliste.
On ne peut donc affirmer que l'État doit conserver 70 % du capital d'EDF à cause de la technologie nucléaire, mais qu'une participation de 34 % dans le nouveau groupe suffirait. C'est véritablement vouloir tromper nos concitoyens, qui ont déjà bien du mal à comprendre la cohérence de la démarche gouvernementale. C'est pourquoi je suis opposé à la privatisation de GDF.
Pour conclure, je me permettrai quelques remarques de forme.
Comment ne pas être perplexe face au bras de fer qui a opposé ces dernières semaines Gérard Mestrallet et Jean-François Cirelli sur les questions de gouvernance du futur groupe, au point que le président de Gaz de France a laissé planer la menace de sa démission ? Comment se fait-il que le futur « vice-PDG délégué », M. Cirelli, si l'on en croit la presse, n'ait pas été associé aux négociations avec les autorités de la concurrence belges ? Va-t-on revivre le même psychodrame que celui qui s'est récemment déroulé chez EADS avec une présidence sur siège éjectable ?
Enfin, pour ajouter à la cacophonie ambiante, des actionnaires de Suez, représentant environ 10 % du capital, s'estiment lésés de 10 milliards en raison de la fusion avec GDF, à laquelle ils menacent de s'opposer.
Voilà qui augure bien mal des débuts de notre futur champion gazier. Ce champion - sans doute par la taille - sera-t-il capable de trouver son bon rythme de croissance, sa bonne gouvernance, son juste respect des équipes ? Je n'en suis pas convaincu. Aussi voterai-je contre les conclusions de la commission mixte paritaire.