Intervention de Serge Dassault

Réunion du 8 novembre 2006 à 15h00
Participation et actionnariat salarié — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Serge DassaultSerge Dassault, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, j'ai particulièrement apprécié votre intervention. Vous avez notamment mentionné les quatre besoins essentiels sur lesquels j'insiste tout particulièrement dans mon rapport pour avis, c'est-à-dire « être », « savoir », « pouvoir » et « avoir ».

Monsieur le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, vous souhaitez associer le dividende du travail et le dividende du capital, ce que je considère également comme une démarche très utile.

La commission des finances m'a fait l'honneur de me désigner comme rapporteur pour avis du présent projet de loi, et je l'en remercie.

C'est pour moi un moment particulièrement important. En effet, compte tenu de son efficacité économique et sociale, la participation associée à la « gestion participative » est un dossier auquel j'accorde le plus grand intérêt, et ce depuis très longtemps. J'applique d'ailleurs ce principe dans les entreprises dont j'ai la responsabilité.

Je reviendrai sur la signification que je donne à la gestion participative, s'agissant notamment de sa fonction de motivation des acteurs d'un même secteur.

Mais je voudrais en préalable vous présenter les conclusions de la commission des finances, qui a été saisie pour avis, ainsi que ses propositions. Ces dernières se fondent sur les très nombreuses consultations que j'ai pu organiser à propos du présent projet de loi.

Tout d'abord, la commission des finances a estimé indispensable de renforcer l'épargne salariale. Ainsi a-t-elle jugé nécessaire de compléter la formule légale actuelle de calcul de la réserve spéciale de participation. En effet, celle-ci date de 1967 et accorde aux salariés une part beaucoup trop faible des bénéfices. La commission des finances propose donc d'instituer par dérogation une nouvelle formule, selon laquelle les bénéfices après impôt seraient affectés pour un tiers aux actionnaires sous forme de dividendes du capital, pour un tiers aux salariés sous forme de participation et de dividendes du travail et pour un tiers à l'autofinancement des investissements de l'entreprise.

Cette proposition me paraît fondamentale. Son adoption aurait pour effet de mettre au même niveau participation des salariés et revenu des actionnaires, assurant ainsi l'égalité entre les dividendes du capital et ceux du travail. Voilà qui permettrait de supprimer beaucoup de conflits et de malentendus dans les entreprises, notamment sur le thème des « profits beaucoup trop élevés » et des « salaires toujours trop bas ».

L'entreprise et les partenaires sociaux pourraient choisir entre le dispositif actuel, qui me semble accorder trop peu de pouvoir d'achat, et la nouvelle formule ou toute autre formule dérogatoire.

Toutefois, je tiens à le signaler, la mesure que je vous propose permettrait d'attribuer aux salariés sous forme de participation l'équivalent de deux mois ou de deux mois et demi de salaire, en plus des treize mois officiels. Ainsi, leur revenu correspondrait à quinze mois ou quinze mois et demi de salaire, donc à une part plus importante de la richesse de l'entreprise, et ce sans augmentation des coûts de production. Tout le monde y gagnerait.

En outre, et Mme le rapporteur y faisait allusion, la commission des finances propose d'inclure la formation à la gestion de l'entreprise dans le présent projet de loi, afin d'expliquer aux salariés les règles élémentaires de gestion des entreprises et de leur enseigner certains principes de microéconomie. En effet, d'une manière générale, l'opinion publique et les salariés connaissent mal les objectifs, le fonctionnement et la réalité des entreprises. Il s'agirait donc d'intégrer ce dispositif dans le champ des actions de formation professionnelle, en introduisant ainsi la notion de « gestion participative » dans le code du travail.

La commission souhaite également préserver la souplesse nécessaire aux accords d'intéressement et réduire de trois à deux ans la durée minimale de ces accords dans les PME.

Je sais que le Gouvernement n'est pas très favorable à cette proposition, mais je voudrais quand même insister : les PME ne disposent pas d'une grande visibilité dans la prévision de leurs activités et de leurs commandes. Pour elles, pouvoir discuter et négocier tous les deux ans au lieu de tous les trois ans un accord d'intéressement en fonction de leurs activités serait, à mon sens, une avancée positive. Cette mesure pourrait s'appliquer, par exemple, aux entreprises de moins de deux cent cinquante salariés.

Il s'agit aussi de permettre, dans les entreprises ayant mis en place un accord dérogatoire nettement plus favorable que la loi, que le conseil d'administration ou le directoire puisse décider de ne pas mettre en place le dividende du travail.

Sur l'épargne retraite, la commission des finances proposera l'adoption de six articles additionnels reprenant des propositions du rapport d'information sur l'épargne retraite du rapporteur général, Philippe Marini.

Elle vous demandera également de préciser les conditions d'enregistrement des démarcheurs bancaires et financiers.

Sur le sujet important de la transformation des sociétés civiles de placement immobilier, les SCPI, la commission des finances vous demandera, mes chers collègues, de ratifier l'ordonnance relative aux organismes de placement collectif immobilier, les OPCI, tout en aménageant les règles par la suppression des dispositions qui interdisaient, au-delà du 31 décembre 2009, de créer de nouvelles SCPI et, pour les SCPI existantes, de procéder à des augmentations de capital.

Enfin, la commission des finances vous proposera d'intégrer dans le code général des impôts le dispositif d'exonération obligatoire sur les transports des salariés existant depuis 1982 en Île-de-France.

Je voudrais maintenant, à titre personnel, revenir sur la notion de « gestion participative » et vous faire part de ma propre expérience.

J'ai approuvé depuis le début les décisions du général de Gaulle relatives à l'intéressement et à la participation puisque, dès 1959, j'ai appliqué ces dispositions dans mon entreprise, Dassault Électronique, puis à Dassault Aviation. J'ai également milité pendant plus de quinze ans au sein de l'Association française pour la participation dans l'entreprise, l'AFPE, pour expliquer aux chefs d'entreprises et au CNPF de l'époque, l'intérêt et l'importance de cette méthode de participation. J'ai appliqué moi-même la règle des trois tiers que j'ai évoquée.

J'ai toujours voulu que l'on considère le salarié non comme une main mais comme une tête et, surtout, un coeur, avec pour devise « des salariés heureux dans des entreprises prospères ». Mais la participation financière ne suffit pas à rendre les hommes heureux s'ils ne sont pas non plus informés, responsabilisés et considérés.

Les hommes, quels qu'ils soient, vivent et travaillent ensemble. Pour que cette activité réussisse et soit efficace, il faut absolument adopter une attitude participative, quelle que soit l'activité.

Les salariés, comme tout membre d'une équipe, ont besoin de savoir ce qu'ils font, pourquoi ils le font, où on les mène, quels sont les résultats de leur travail, quelle stratégie est appliquée, etc.

Ils ont besoin de pouvoir décider comment travailler, dans quel environnement, de prendre des décisions eux-mêmes, de choisir et pas seulement d'obéir.

Ils ont besoin d'être considérés, reconnus comme des hommes et non comme des outils ou des machines auxquelles on donne des ordres. Ils veulent aussi être reconnus pour leurs qualités, leurs compétences, leur réussite, être félicités quand ils le méritent - ce qui, effectivement, n'arrive peut-être pas assez souvent.

L'entreprise joue un rôle fondamental dans notre économie car c'est elle qui fournit les emplois mais, pour cela, il faut des clients qui acceptent d'acheter ses produits. Sans clients, pas d'emplois ; sans emplois, chômage ; sans salariés motivés, pas d'entreprises ni de résultats. Les intérêts des salariés et des entreprises sont donc intimement liés, les uns ne pouvant rien sans les autres. Ils sont obligés de s'associer pour remporter le difficile combat consistant à produire toujours mieux que les autres et à rester compétitifs dans un contexte international ô combien difficile.

La notion de gestion participative est donc beaucoup plus large que la notion de participation purement financière ; elle contribue fortement à la motivation des salariés dans leur travail et à la réussite de l'entreprise.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le chef d'entreprise ne dirige pas son entreprise dans la recherche exclusive des profits, mais pour que ses produits soient appréciés et achetés par des clients à des prix compétitifs, ce qui lui permettra d'embaucher des salariés et de réaliser des bénéfices - s'il le peut - pour développer l'activité de son entreprise. L'objectif premier d'une entreprise n'est pas d'embaucher et de dégager des profits, mais d'être compétitive et de vendre. Si elle ne satisfait pas ses clients, elle ne peut pas vivre et donc pas embaucher.

Le client est roi, il faut le savoir. C'est lui qui dirige l'entreprise, ce ne sont pas les actionnaires, ni les chefs d'entreprises, ni les salariés, ni les syndicats. C'est le client qui choisit une entreprise en achetant ses produits ; celle-ci peut alors se développer.

Grâce à une meilleure information et à une meilleure formation, les salariés comprennent mieux leur intérêt et celui de leur entreprise et deviennent de véritables associés. Tel est l'objectif de la gestion participative.

C'est pour mettre en oeuvre ces principes que je vous proposerai, à titre personnel cette fois, plusieurs amendements utiles aux entreprises qui veulent développer la participation.

Un premier amendement tend à encourager la mise en place de la participation dans les entreprises de vingt à cinquante salariés. On l'a souligné tout à l'heure, il est important que les PME, les entreprises de moins de cinquante salariés, puissent appliquer volontairement, sans obligation, un accord d'intéressement-participation. Elles le peuvent déjà aujourd'hui mais n'y sont pas suffisamment incitées. Trop de salariés de ces entreprises ne bénéficient d'aucun accord.

Un second amendement pourrait donner accès à l'épargne salariale aux fonctionnaires, qui ne participent pas à des activités commerciales ou marchandes mais produisent des services. Il s'appliquerait aussi bien aux fonctionnaires de l'État, des collectivités territoriales et des hôpitaux, sur la base d'un intéressement aux économies. À partir d'un budget prévisionnel donné, les économies réalisées tout en respectant les objectifs fixés pourraient être redistribuées en partie aux fonctionnaires : il serait normal que ceux-ci puissent tirer profit de leur gestion quand elle est bonne.

Un troisième amendement tend à soumettre les montants des droits alloués à un compte épargne-temps au même régime fiscal que les sommes versées au titre de l'intéressement et de la participation.

Je voulais proposer un dernier amendement visant à empêcher la distribution par l'entreprise d'un dividende aux actionnaires quand aucune somme n'a été versée au titre de la participation. Ce projet soulève quelques difficultés et j'ai décidé de le retirer pour y retravailler ; je pense que nous en reparlerons ultérieurement.

Bien entendu, je reviendrai en détail sur ces propositions au moment de la discussion des articles.

En conclusion, je suis heureux que la participation ait fait l'objet d'un projet de loi grâce aux initiatives de M. Jean-Pierre Raffarin, qui a décidé de relancer la participation quand il était Premier ministre. Il se pourrait d'ailleurs qu'il présente lui-même un amendement sur la répartition des bénéfices : je lui laisse le soin de le défendre ! J'espère que nous donnerons tous ensemble à ce texte le souffle qu'il mérite ; car, mieux qu'un projet de loi, la « gestion participative » est un projet de société.

Enfin, c'est avec plaisir que je vous indique, au nom de la commission des finances, que celle-ci s'est déclarée favorable à l'adoption du présent projet de loi.

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