Malheureusement, ce texte ne répond pas de façon satisfaisante à ces trois exigences.
L'un des points les plus critiquables est, à mes yeux, la mise en avant de la notion de « dividende du travail ». Cette disposition est très révélatrice d'une démarche dont l'intention est de substituer la distribution de revenus aléatoires à la revalorisation des salaires.
Selon nous, la rémunération du travail passe avant tout par le salaire, et non par l'allocation de dividendes. Pour les salariés, les dividendes ne peuvent constituer qu'un supplément de rémunération, la revalorisation des salaires devant, elle, passer par la négociation collective.
L'examen récent de certains textes nous a permis de nous pencher sur le problème de la sécurité financière et nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer le cas de salariés d'entreprises américaines, mais aussi européennes, qui ont tout perdu du fait des déconvenues financières et des banqueroutes : leurs économies, leur travail, leur retraite.
Il importe donc de considérer avec prudence et circonspection les dispositions qui incitent les salariés à mettre tous leurs oeufs dans le même panier. Or le texte tend à aller dans cette direction. Au contraire, il faut protéger l'épargne des salariés en en diversifiant le placement.
Par ailleurs, il convient de prendre en compte un impératif nouveau et essentiel : la réintroduction de la notion d'intérêt social dans les modes de gestion des entreprises cotées. Je tiens à insister sur ce point, après que mon collègue Jean-Pierre Godefroy a évoqué les aspects techniques liés à la participation.
Il est souhaitable de libérer les chefs d'entreprise de la gourmandise irraisonnée des actionnaires. Ces derniers exercent une forte pression sur le management pour obtenir une rentabilité financière de l'ordre de 15 % par an, sinon plus. Or cette politique de court terme, imposée souvent par les fonds de pension, conduit les chefs d'entreprise à une gestion stratégique périlleuse à long terme : au lieu de penser au développement et à la croissance de l'entreprise, au lieu d'augmenter les investissements en matière de recherche-développement pour conquérir de nouveaux marchés, au lieu d'embaucher, ils réduisent les coûts, voire délocalisent, au détriment des conditions de travail des salariés et de l'emploi.
Enfin, il faut souligner la faiblesse du dispositif d'encadrement des stock-options. Je m'attarderai un instant sur ce point puisque le projet de loi, après son examen à l'Assemblée nationale, se révèle particulièrement symptomatique de la démarche suivie.
Lorsqu'ils prennent des décisions stratégiques, les dirigeants détenant des stock-options sont surtout motivés par l'augmentation de la valeur de l'action de leur entreprise. Cela correspond-il à l'intérêt général, voire à celui de l'entreprise en tant que telle ? Non ! La valeur de l'action réagit de plus en plus, notamment sous l'influence des fonds de pension, au seul rendement à court terme, ce qui est loin d'être un gage de pérennité pour l'entreprise et ses emplois.
Par exemple, lorsqu'on sacrifie l'investissement dans la recherche-développement, qui ne produira ses effets que bien plus tard, on diminue les coûts, certes, mais surtout on augmente les profits immédiats, et c'est d'ailleurs l'objectif visé. Bien sûr, on satisfait ainsi les actionnaires friands de rendements, mais on compromet l'avenir de l'entreprise ! Les fonds de pension, eux, applaudissent : ils engrangent les rendements ; mais ils quitteront le capital de l'entreprise avant que celle-ci ne pâtisse du manque d'investissements et d'innovations. De la même façon, lorsqu'on réduit ses fonds propres en rachetant ses propres actions, la bourse applaudit, mais l'entreprise entame dramatiquement sa capacité de développement.
Comment peut-on inciter les dirigeants à détruire à terme les entreprises dont ils sont responsables ? Comment peut-on être assez aveugle pour ne pas discerner la perversité d'un tel système ?
La seule configuration où les stock-options pourraient être légitimes est celui des nouvelles pousses technologiques, qui nécessitent parfois des talents particuliers, très pointus, mais que ces entreprises débutantes ne sont pas en état de payer. Dans ce cas, les stock-options peuvent être utiles, à condition de ne s'étaler que sur cinq ans, voire un peu plus.
Cela étant, il est tout à fait concevable qu'une part importante de la rémunération des dirigeants soit constituée d'éléments variables liés à la réussite de l'entreprise. Mais il faut, à tout le moins, que tout le monde y trouve son compte, ce qui n'est absolument pas le cas avec les stock-options.
Pour améliorer notablement la situation, on peut imaginer, à la suite d'un certain nombre de responsables syndicaux et de responsables économiques, la mise en place d'un système de rémunération des dirigeants qui serait fondé sur quatre critères : le développement de l'entreprise, mesuré par la progression du chiffre d'affaires ; l'évolution positive de la masse salariale ; l'évolution de l'action, car on ne peut évidemment méconnaître l'intérêt de l'actionnaire ; le niveau et l'évolution des investissements.