Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a pour ambition de s'inscrire dans la continuité gaulliste de la participation, de la réconciliation entre capital et travail. À l'époque, le général de Gaulle - M. Larcher est même remonté beaucoup plus loin dans le temps, faisant référence au socialisme utopique de Proudhon ! - espérait dépasser le capitalisme, trouver une voie entre le système marchand de l'Ouest et le communisme de l'Est.
Si l'on ne peut prétendre que la France gaulliste soit sortie du système capitaliste, on peut reconnaître que les Trente Glorieuses sont le fruit d'un compromis - à défaut d'une réconciliation - entre capital et travail.
Cette époque est révolue, notamment parce que les héritiers du général ont tout fait pour détruire les acquis sociaux de cette période.
Les inégalités sont reparties à la hausse, et il faut vraiment que le ministre de l'économie et des finances, M. Thierry Breton, soit aveugle et sourd aux préoccupations sociales de nos concitoyens pour affirmer qu'aujourd'hui le pouvoir d'achat a augmenté !
La situation sociale des salariés ne cesse de se dégrader, mais M. Breton affirme vouloir développer la pédagogie économique. Ce qu'il fait, en l'occurrence, ce n'est pas de la pédagogie, c'est tout simplement de l'idéologie ! Ce n'est d'ailleurs pas nouveau. Et la majorité a beau faire référence à Proudhon, elle s'inscrit dans la logique historique qui veut qu'un parti conservateur soit voué à la défense du capital, du patronat.
Le rapport de force entre le capital et le travail tourne à l'avantage du premier, comme l'a très bien expliqué M. Jean-Pierre Raffarin, parlant de « capital mobile », de « capital anonyme », de « capital pressé ». Permettez-moi, monsieur le Premier ministre, de prolonger votre penséeen parlant de « capital glouton », de « capital asocial », de « capital cynique ».
Ce revirement est dû au libéralisme économique mondial, qui met en concurrence des salariés aux systèmes sociaux différents, et au chômage de masse, qui fragilise les salariés et leurs représentants.
La répartition des revenus attribués respectivement au capital et au travail a été bouleversée. La rémunération du capital a gagné dix points sur la rémunération du travail ; la répartition des risques a pris le chemin inverse, en faisant des salariés la variable d'ajustement des coûts : intérims, stages, contrats précaires...
Or, que propose ce projet de loi ? De continuer dans le même sens !
Les actionnaires salariés seront représentés au conseil d'administration. Pourquoi pas ? On comprend que les dirigeants des grandes entreprises poussent à cette introduction de salariés actionnaires, car ces derniers sont généralement sous le contrôle des dirigeants et votent comme eux. Mais aucune place n'est réservée aux salariés non actionnaires, qui constituent la majorité des salariés, au conseil d'administration. Sous couvert de démocratie sociale, la droite fait le choix idéologique de favoriser les catégories les plus aisées de la société.
En privilégiant les actionnaires salariés, vous désavantagez, en termes de rémunération et de visibilité, les salariés non actionnaires. Par ce biais, vous entérinez le principe capitaliste « une action, une voix », au détriment du principe démocratique « une personne, une voix ».
C'est pourquoi, lors de la discussion des articles, je proposerai que les salariés soient représentés en tant que tels dans les conseils d'administration des entreprises, avec voix délibérative, et non pas uniquement consultative comme aujourd'hui.
Les Verts demandent par ailleurs depuis longtemps que les représentants des consommateurs, des riverains et des défenseurs de l'environnement soient présents au sein des instances dirigeantes des entreprises.
En effet, au moment où, face à la crise de la démocratie représentative, on cherche des pistes pour revitaliser la démocratie, il est un lieu de pouvoir qui reste en dehors du questionnement démocratique : l'entreprise et, plus largement, l'économie.
Dans l'entreprise, le salarié est aux ordres d'une hiérarchie qui ne fonde sa légitimité sur rien d'autre que le pouvoir de l'argent. Le conseil d'administration d'une entreprise, souvent comparé à tort à un parlement, n'a rien de démocratique, même quand il accorde un strapontin aux représentants des salariés.
C'est sur le principe clé du capitalisme que nous devons nous interroger. Le cumul des pouvoirs, qui correspond à la concentration du capital - 75 % des PME sont des sous-traitantes des grands groupes -, est un obstacle à la démocratie, comme le montrent les dynasties Bouygues, Lagardère ou même Dassault, qui contrôlent des pans entiers de la politique, des médias et de l'industrie.
Il peut même arriver que l'un des membres de ces dynasties soit rapporteur pour avis d'un projet de loi le concernant en tant que chef d'entreprise ! Si l'on n'y prend pas garde, le modèle Berlusconi sera l'horizon de notre République.
Du point de vue social, la participation aurait pour but de redistribuer les bénéfices de l'entreprise à ses salariés. Là encore, c'est un leurre ! Qui en bénéficie ? Les plus riches, les cadres, bref, ceux qui n'ont pas besoin que le législateur passe de longues heures à se pencher sur leur sort.
Comme d'habitude, on tente de faire passer ce choix élitiste pour une préférence envers les classes moyennes. On a déjà connu ce procédé, appliqué au logement : des ménages touchant 7 000 euros par mois se trouvent avantagés au nom de la défense des « classes moyennes ».
Une étude de l'INSEE portant sur les salaires en France a montré que ce sont les salariés percevant les rémunérations les plus élevées qui bénéficient en priorité des dispositifs d'épargne salariale. Parmi les bénéficiaires de l'épargne salariale, les 10 % les mieux servis ont reçu 40 % des sommes distribuées. L'inégalité est, en l'espèce, plus forte qu'en matière de salaires puisque les 10 % des salariés les mieux rémunérés perçoivent seulement 26 % de la masse salariale.
Dans le cas de l'intéressement, qui nous préoccupe aujourd'hui, pourquoi y a-t-il un tel engouement de la part des dirigeants d'entreprise et des cadres, alors que nous ne constatons pas un tel enthousiasme pour augmenter les salaires, qui stagnent depuis vingt ans ? Parce que l'intéressement n'est pas considéré comme une rémunération, et n'est donc pas assujetti au paiement des cotisations sociales et patronales, dans la limite d'un certain plafond. Les sommes versées sont déductibles de l'impôt sur les sociétés, exonérées de taxe sur les salaires, de taxe d'apprentissage, de contribution à la formation continue, de participation à l'effort de construction. Les plans d'épargne d'entreprise, les obligations à bons de souscription et autres systèmes d'épargne salariale sont plébiscités par chacun parce qu'ils se font au détriment de tous, en raison des multiples exonérations dont ils font l'objet.
Mais que l'on ne vienne pas ensuite s'étonner du « trou » de la sécurité sociale, des déficits de l'UNEDIC et s'apitoyer sur leur sort !
Évidemment, si l'on s'échine à miner de l'intérieur les ressources des systèmes de répartition, on en viendra, tôt ou tard, à adopter, contraints et forcés, des systèmes par capitalisation. On pourra alors dire adieu à la redistribution et à la gestion démocratique des systèmes de protection sociale, car les deux vont de pair.
Ce projet de loi ne répond en rien à la crise du pouvoir d'achat, à la crise de la solidarité sociale que traverse notre pays. Sous couvert de démocratie sociale, il participe à la fracture sociale dans notre pays.