Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d'avoir ce soir ce débat devant le Sénat, à la demande, notamment, de plusieurs de ses groupes politiques.
Il fait écho à l'engagement pris par le Président de la République devant les présidents des deux chambres et les chefs de partis réunis à Saint-Denis le 30 août dernier. Il permettra d'approfondir les fondamentaux de notre coopération militaire avec nos partenaires, d'en clarifier certains aspects, si besoin en était, et de faire un point sur leurs évolutions à venir. Nous aurons l'occasion de revenir sur certains points évoqués lors d'un autre débat, à la demande notamment du groupe SER, qui s'est tenu ici voilà quelques mois.
Je sais votre assemblée très mobilisée sur le sujet. Je connais l'engagement de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui mène des travaux sérieux, hier sous la présidence de Christian Cambon, aujourd'hui sous celle du président Cédric Perrin.
Avant de revenir plus précisément sur la situation sécuritaire et, par là même, sur la question de la présence militaire française sur le continent africain, je pense utile de faire un court rappel historique et politique du sens de cette présence.
Il faut à la fois distinguer la nature de nos engagements militaires, dont certains reposent sur des accords de défense anciens, tenir compte des particularités qui distinguent chacun des pays où nos militaires ont été engagés, et préciser les menaces que nous avons combattues et que nous devons continuer à combattre.
On peut, au fond, distinguer deux grandes périodes depuis le début des années 2000, pour ne pas remonter plus avant et être ainsi trop long.
Tout d'abord, de 2000 à 2010, de nombreuses interventions françaises ont été menées dans le cadre de missions d'interposition ou de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies. La plus connue est sans doute l'opération Licorne, avec la participation des forces armées françaises au maintien de la paix en Côte d'Ivoire.
Ensuite, la période de 2010 à 2020 a été marquée par la lutte contre les groupes armés terroristes au travers des opérations Serval et Barkhane au Sahel, qui ont été décidées courageusement par le Président de la République François Hollande, à chaque fois à la demande de nos partenaires au Sahel. Cette menace demeure ; nous y reviendrons.
Nous devons ensuite distinguer les géographies des théâtres d'engagement. Il n'y a pas une Afrique, mais autant de particularités qu'il y a d'États sur ce continent : nous ne pouvons pas comparer la lutte contre le terrorisme au Sahel avec celle qui est menée actuellement au Mozambique dans le Cabo Delgado.
De la même manière, on ne peut pas mettre sur le même plan l'Afrique francophone, anglophone ou lusophone, voire les diverses organisations régionales. Les différences sont parfois même infra-étatiques, mais je m'arrêterai là pour ne pas être trop long.
Il faut enfin discerner les différents types de menaces que nous combattons.
Premièrement, il s'agit de la piraterie et plus généralement des enjeux de sécurité maritime, dans le détroit de Bab el-Mandeb ou dans le golfe de Guinée. Je sais que le Sénat suit cela de très près : j'en veux pour preuve le rapport d'information consacré à la stratégie française dans le golfe de Guinée de mars 2023 des sénateurs Bernard Fournier, Gisèle Jourda et François Bonneau.
Deuxièmement, la France doit lutter contre les trafics de tous ordres : traite d'êtres humains, trafic de drogue ou d'armes.
Troisièmement, nous devons combattre la menace terroriste que j'évoquais à l'instant. Je ne reviens pas sur le bilan de Barkhane, auquel la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat a consacré un rapport d'information remis au mois de juin dernier et dont je salue les excellents auteurs, Pascal Allizard, Olivier Cigolotti et Marie-Arlette Carlotti.
Tout le monde s'accorde à dire qu'il n'y a pas lieu de remettre en question le succès militaire de l'opération, dont nous avons su tirer le principal enseignement sur le plan politique, à savoir ne pas nous substituer à l'action de nos partenaires, ou en tout cas pas sur une période trop longue.
Parmi ces menaces, celle qui est la plus susceptible de nous toucher directement et de déborder sur l'Europe est, bien entendu, la menace terroriste. Ses effets dramatiques sur les populations, en outre, peuvent représenter un enjeu migratoire. Ne nous leurrons pas : la reconstitution progressive d'un sanctuaire djihadiste au Sahel, sur le modèle jadis de l'Irak ou de la Syrie, peut faire peser à terme sur la région et sur l'Europe les mêmes menaces endogènes, projetées ou inspirées, que nous avons connues ces dernières années à partir d'autres théâtres.
Il est un principe qui caractérise les missions de combat de nos armées : c'est l'intervention. Jadis, nous aurions parlé de « logique expéditionnaire » ! En effet, les interventions n'ont par nature pas vocation à s'établir durablement sur un théâtre d'opérations, dès lors que le partenaire ne fait pas de la lutte contre le terrorisme une priorité.
C'est pourquoi nos soldats présents au Niger sont en cours de rapatriement vers la France. Nous aurons quitté ce pays avant la fin de l'année, comme le Président de la République l'a annoncé.
On peut alors légitimement s'interroger aujourd'hui, et nous l'avions fait dans cet hémicycle au début du mois de juillet dernier : fallait-il répondre présent lorsque nos partenaires africains nous ont appelés ? Pour ma part, je pense que oui, car la France ne pouvait laisser sans réponse l'appel à l'aide – pour ne pas dire l'appel au secours – des autorités autrefois légitimes de ces pays exposés à un péril plus qu'imminent.
Pourquoi partir aujourd'hui ? Parce que la France respecte la souveraineté des États africains : elle ne s'ingère pas dans les affaires d'un autre pays, quelle que soit la direction politique que prend celui-ci et même si nous ne pouvons que regretter cette orientation. Là encore, pas de double standard !
Nos objectifs sont clairs : lutter contre la menace terroriste islamiste, garantir la sécurité de nos ressortissants sur place et approfondir nos partenariats stratégiques d'intérêts communs, comme cela a été rappelé par la ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Je sais que ces objectifs sont aussi largement partagés par la plupart des groupes politiques représentés au Sénat.
La réarticulation entreprise depuis le début de l'année vise à renforcer l'attractivité de notre offre et la solidité de nos partenariats avec les États africains qui le souhaitent, en répondant aux grandes évolutions du moment, dans un environnement beaucoup plus compétitif qu'auparavant.
Avant de vous présenter cette réarticulation plus en détail, je veux vous présenter l'état actuel de notre présence militaire sur le continent africain.
Nous avons deux grandes familles de forces de présence.
Tout d'abord, nous disposons de deux pôles de coopération, au Sénégal et au Gabon. Ces bases ont des éléments prépositionnés depuis l'indépendance de ces pays et la conclusion des premiers traités de défense. Elles permettent l'accès à des infrastructures qui peuvent être utilisées à des fins militaires et proposent de nombreuses formations à ces partenaires, ainsi qu'à d'autres pays situés à proximité.
Les armements, sur ces bases, sont très limités et servent essentiellement, voire, exclusivement, à la formation.
Ensuite, d'autres bases disposent de capacités opérationnelles. Je pense aux forces prépositionnées en Côte d'Ivoire et à Djibouti. La base d'Abidjan regroupe un peu moins de 1 000 soldats et celle de Djibouti quasiment 1 500 militaires ; ceux-ci se sont encore illustrés récemment lors de l'évacuation de ressortissants français et européens du Soudan dans le cadre de l'opération Sagittaire.
Enfin, nous avons des bases de nature différente au Tchad, comme nous en avions jusqu'à l'été dernier au Niger. Nos forces avaient vocation à agir sur demande et en soutien des forces armées locales, dans le cadre d'opérations antiterroristes précises. Elles ont contribué à freiner l'expansion de la menace et menaient des actions de coopération et de formation des armées partenaires. C'est toujours le cas au Tchad.
Ces capacités de projection depuis l'Hexagone seront par ailleurs renforcées grâce à la loi de programmation militaire. Nous en avons déjà largement débattu ici même, avant votre vote l'été dernier.
La France est donc présente aux côtés de ses partenaires africains, lorsqu'ils le souhaitent, pour mieux assurer leur propre sécurité et en répondant à leurs demandes.
Certains d'entre eux, comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Bénin ou le Gabon, par exemple, ont accompli des efforts remarquables dans la montée en puissance de leur appareil de sécurité ; c'est vrai tant pour leurs services de sécurité que pour leur armée. Ces pays ont obtenu de belles victoires sur le terrain face aux groupes armés terroristes.
Par ailleurs, et c'est un point central, nous faisons évoluer notre accompagnement en le renforçant à travers nos offres de formation, comme je l'avais souligné en juin, mais également d'un point de vue capacitaire et par le biais de notre réseau diplomatique de défense.
En matière de formation, tout d'abord, nos efforts ont ainsi porté sur nos capacités d'accueil en Afrique et au sein de nos écoles militaires françaises, avec l'objectif de doubler les places de formation : à la rentrée 2023, nous comptons déjà une centaine de places supplémentaires, d'ores et déjà attribuées à des sous-officiers et officiers africains.
En 2022, en outre, près de 3 000 stagiaires africains sont passés par notre réseau des Écoles nationales à vocation régionales (ENVR).
À l'appui de cette dynamique, 25 000 militaires africains ont été formés sur le continent depuis le début de l'année. Quelque 10 000 militaires français et africains suivent des entraînements conjoints, pour se former ensemble aux défis sécuritaires d'aujourd'hui et de demain. Nous poursuivrons ces missions communes. Nous tournons ainsi la page de la réduction de ces capacités, engagée depuis la moitié des années 1990 et accélérée dans les années 2000, pour y mettre enfin un terme.
D'un point de vue capacitaire, ensuite, je veux insister sur notre volonté de mobiliser davantage nos industriels et équipementiers, afin de fournir un accompagnement capacitaire moderne, mais adapté aux besoins de nos partenaires africains. C'est vrai pour le prix comme pour la nature des équipements, sans oublier les sauts technologiques pour les drones ou le cyber, envers lesquels les attentes sont importantes.
Le délégué général pour l'armement (DGA) s'est rendu sur le continent africain – une première depuis 1961, qui en dit long sur la relation sur ce terrain entre les différents pays d'Afrique et la France jusqu'alors. Les équipes pour l'Afrique ont été renforcées à cet effet.
En matière de diplomatie de défense, enfin, notre réseau en Afrique se densifie, en coordination avec la ministre Catherine Colonna : de nouveaux postes d'attachés de défense ont été ouverts au Rwanda, aux Comores, en Guinée-Bissau, ainsi que des postes d'attachés d'armement au Sénégal et en Côte d'Ivoire.
Au-delà de ces principaux axes d'effort, le volet renseignement est un élément essentiel que je ne puis développer ici dans le détail ; j'ai toutefois eu l'occasion d'informer la représentation nationale à l'occasion d'une audition devant la délégation parlementaire pour le renseignement, avec le directeur général de la sécurité extérieure.
Nous prendrons également soin de continuer à engager nos alliés en Afrique, en associant plus encore nos partenaires européens et américains à ces missions, comme la ministre l'a souligné.
Enfin, et j'en terminerai par-là, la France et ses partenaires africains sont liés par un honneur commun au combat et une singulière histoire partagée, que nous avons à cœur de faire vivre. Nous ouvrons une période mémorielle importante, qui mettra à l'honneur l'action de l'armée d'Afrique tout au long des commémorations de la Libération, avec, en 2023 et en 2024, le quatre-vingtième anniversaire de sa participation à la libération de la Corse, à la campagne d'Italie et, bien sûr, au débarquement de Provence.
Je veux ainsi conclure en rendant hommage à ces combattants d'Afrique tombés sous les couleurs de la France et pour la liberté aux côtés de leurs frères d'armes. Je pense également à nos soldats morts au Sahel, ainsi qu'à nos blessés et à leurs familles.