Ce ne fut donc pas un échec militaire, mais bien un échec politique : celui de ne pas avoir su partir à temps et de ne pas avoir cherché des solutions alternatives à ces conflits extrêmement meurtriers.
Si elle reste en l'état, la présence militaire va compliquer toute tentative d'amélioration de l'image de la France. Si, comme le Président de la République le dit, elle doit être moins visible, il serait utile, monsieur le ministre, d'en débattre avec le Parlement.
Un autre symbole de la domination française est le franc CFA. Soixante-quatorze ans après sa création, il fait toujours l'objet de multiples critiques : instrument de stabilité pour les uns, vestige colonial lié aux élites pour les autres. Son existence même prouve que le processus de décolonisation n'a pas été achevé. La promesse de 2019 de réformer le franc CFA doit aboutir.
Cependant, au-delà de la sortie du franc CFA, la question qui se pose est celle de la monnaie dont les pays africains ont besoin pour transformer leur économie et leur société. Cette monnaie devrait avant tout être servir le crédit, l'emploi et l'écologie de ces pays, et non pas être livrée à tous les vents de la spéculation.
Il est temps de permettre aux Africains de décider de la ligne politique et économique qu'ils souhaitent suivre. Ils veulent une rupture franche, vous le disiez, madame la ministre, avec un Occident vieillissant. Ils regardent désormais vers d'autres partenaires, comme les Brics – le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud.
L'Afrique veut être considérée comme un acteur de plein droit sur la scène internationale. C'est un défi géopolitique majeur, que le Président de la République a pointé du doigt et qu'il convient de traduire dans les faits.
Depuis six ans, Emmanuel Macron prétend s'adresser à la jeunesse et à la société civile, et il a vu juste ! Or il a continué à s'afficher aux côtés des représentants de la Françafrique, ces dinosaures ou leurs successeurs dynastiques. Peut-être les croit-il garants d'une stabilité illusoire ?
La France prétend soutenir les démocraties, mais elle n'est pas toujours regardante quant à la gouvernance : on condamne le pouvoir militaire au Mali, on l'accepte au Tchad ! Au fil du temps, ce double langage nous a fait perdre toute crédibilité. Aux yeux des Africains, la France doit rester fidèle à ses valeurs : le respect des droits humains, le droit des peuples et l'universalisme.
Sur ce point, que dire de notre politique de l'immigration et l'attribution des visas, qui a suscité d'immenses frustrations à l'égard de la France, particulièrement de la part des jeunes ? Les empêcher de rendre visite à leur famille, de faire un stage ou de suivre une formation, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, ne rime à rien et ne permettra certainement pas de juguler l'immigration illégale ! Si l'on veut engager une nouvelle relation avec l'Afrique, il faut revenir à une politique des visas plus ouverte.
La contestation anti-française s'est répandue parmi la jeunesse – une jeunesse moins scolarisée, plus perméable aux manipulations et à laquelle les dirigeants n'ont rien d'autre à proposer que cet os anti-français à ronger.
Cet os, c'est également celui que proposent en Afrique de l'Ouest certaines élites religieuses, qui s'attaquent à la France et à ses valeurs laïques.
La société civile africaine a changé, et nous n'avons pas compris qu'une époque s'achevait à nos dépens. Être à l'écoute des populations, c'est comprendre leurs aspirations. À titre d'exemple, le refus de la France de soutenir la proposition de l'Inde et de l'Afrique du Sud de suspendre temporairement les droits de propriété industrielle sur les vaccins pour lutter contre la covid nous a discrédités et placés du côté des égoïstes.
L'Afrique subsaharienne est la région où la démographie connaît la plus forte croissance. Quelque 30 millions de jeunes travailleurs arrivent chaque année sur le marché du travail, mais seuls 10 % à 15 % d'entre eux trouveront un emploi.
Par désœuvrement, certains rejoindront des sectes islamistes. Beaucoup seront condamnés à vivre dans l'extrême pauvreté. L'ONU est consciente de la crise humanitaire qui se prépare : selon cette organisation, « si la tendance actuelle se poursuit, en 2030 l'Afrique abritera plus de la moitié des personnes qui souffrent de manière chronique de la faim dans le monde. »
L'Agence française de développement (AFD) est le principal outil de notre politique de solidarité internationale, mais elle prend trop souvent la forme de prêts et pas assez celle de dons. De ce fait, elle ne parvient pas à capter les véritables enjeux.
On constate d'ailleurs la persistance des problèmes de santé et de malnutrition, les faibles progrès de la scolarisation ou de la lutte contre la marginalisation des femmes.
C'est pourquoi nous devons faire de nos ONG les partenaires privilégiés de nos actions de solidarité : non seulement elles sont actrices, mais, par leur expérience et leur expertise, elles ont la capacité de participer à la définition et à la mise en œuvre de notre politique.
Pourtant, on les a mises en danger ! Au Sahel, on a ressorti du placard la coopération civilomilitaire, avec l'idée que le développement et la sécurité dépendaient l'un de l'autre. C'est faux et dangereux. Nous l'avons théorisé dans la stratégie 3D – diplomatie, défense, développement –, qui a échoué et qu'il convient de définitivement abandonner.
De la même façon, nous avons assisté à l'effacement de la diplomatie française au profit du sécuritaire – cela a été souligné tout à l'heure. C'est la même erreur ! Cette vision sécuritaire ne peut plus être la nôtre.
Depuis lors, une digue a cédé. À l'issue des coups d'État au Sahel, le Gouvernement a décidé de suspendre l'aide au développement. Suspendre toute coopération avec un gouvernement est une chose, arrêter les projets menés par les ONG en est une autre !
Désormais, le ministère veut traiter les dossiers « au cas par cas ». Un double standard s'installe donc : ceux qui seraient dignes de la coopération et ceux qui ne le seraient pas. Sur quels critères allez-vous décider d'abandonner des populations particulièrement vulnérables et de les replonger dans l'extrême pauvreté, madame, monsieur les ministres ? Près de 9 millions de personnes sont concernées.
Qui décide ? On ne sait pas ! En tout cas, ce ne sont certainement pas les parlementaires, ce qui pose un problème de démocratie. On sait en revanche que ce sont les ONG de terrain qui devront, par exemple, annoncer aux 5 000 femmes des organisations paysannes produisant du beurre de karité au Burkina Faso que c'est désormais fini ! Pensez-vous que cela va améliorer l'image de la France ?
En inféodant ainsi les enjeux de développement à la politique étrangère de la France, je crains que les acquis de la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont nous sommes les garants, ne soient menacés à la fois dans l'esprit et dans la lettre. Nous appelons donc à sanctuariser l'aide publique au développement (APD), qui n'a qu'un seul objectif : répondre aux besoins fondamentaux où qu'ils soient et quels qu'ils soient.
Dans cette même loi du 4 août 2021, la France a pris un engagement clair : allouer 0, 7 % du revenu national brut à l'aide publique au développement (APD) à l'horizon 2025. Cette trajectoire doit être maintenue, pour soutenir prioritairement les dix-neuf pays les plus pauvres.
Que dire en conclusion ? Que jusqu'à présent le Président de la République a échoué à engager un véritable renouveau qu'il a pourtant souhaité. Il répète rituellement qu'il n'y a pas de politique africaine de la France – si c'était vrai, il ne serait pas obligé de le répéter !
Notre politique africaine s'effondre au profit de nouveaux partenaires. Les nouvelles générations ne veulent plus des effets nocifs de la dépendance. Elles souhaitent tisser avec le reste du monde des relations qui libèrent.
La France doit-elle pour autant se résigner à abandonner l'Afrique ? Certainement pas ! Le désengagement de la France serait catastrophique pour la défense de nos intérêts, ceux de l'Europe, mais, surtout, ceux de l'Afrique elle-même. La Russie et la Chine en tireraient immanquablement les bénéfices en y pillant par ailleurs les ressources.
La politique de la France au Sahel et en Afrique doit être révisée en profondeur. Nous devons sortir de notre isolement, donner une dimension européenne à nos relations avec les pays d'Afrique et inscrire notre action dans le cadre de leurs propres priorités.
Alors, non, n'abandonnons pas l'Afrique, mais trouvons un chemin entre le renoncement et l'acharnement !