Autrement dit, le rejet de la politique française en Afrique devient un levier pour qui veut asseoir son pouvoir. C'est dire si le problème est profond et la nécessité de changer de politique urgente.
Cette image dégradée n'aurait pour explication que l'influence malveillante d'autres puissances à notre égard. Si ce phénomène est bien réel, il ne doit pas détourner notre regard de nos propres responsabilités. Les autorités françaises doivent tirer les leçons de ces différents échecs diplomatiques et adopter une politique humble et sans œillères face à la situation sahélienne.
Tendons une oreille attentive à l'aspiration des jeunesses africaines à une seconde indépendance et respectons la volonté des États africains de diversifier leurs partenariats stratégiques. Si les autorités françaises ne tiennent pas compte de cette lame de fond, en s'efforçant de trouver notre place dans ce nouvel environnement, nous continuerons à mener une politique empreinte de relents néocoloniaux.
La droite sénatoriale nous a montré, lors des débats sur le projet de loi immigration pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, que nous sommes encore bien loin d'une telle prise de conscience. Lorsqu'elle vote une mesure visant à conditionner l'aide au développement à la coopération en matière migratoire des États bénéficiaires, nous ouvrons la porte à une logique de punition collective et, par là même, couvrons de honte la France.
Pour entamer cette mue, notre groupe a formulé et continue de défendre ses nombreuses propositions.
Tout d'abord, en recommandant une augmentation des recettes fiscales des pays africains, car celles-ci ne représentent qu'à peine la moitié de celles des pays de l'OCDE, nous proposons de flécher 10 % de l'aide publique au développement vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays, afin de leur donner, à terme, des moyens budgétaires pérennes pour relever les défis de développement et de changement climatique auxquels ils font face.
Ensuite, plus globalement, il est nécessaire de revoir en profondeur la philosophie de notre aide, pour la tourner résolument vers la construction des bases solides d'un développement propre des pays destinataires et la dégager de toutes les logiques de pillage, qui persistent encore largement.
Sans doute conviendrait-il de travailler en plus étroite relation avec les ONG présentes sur le terrain. Efforçons-nous également d'octroyer plus de dons que de prêts, puisque ces pays sont dans l'incapacité de rembourser.
Tout en soutenant le développement du financement endogène dans ces pays, nous devons réviser les règles d'attribution des droits de tirage spéciaux (DTS) au FMI, en favorisant les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Si nous n'allons pas en ce sens, soyons sûrs que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) seront actifs en ce domaine – ils ont d'ailleurs déjà commencé.
Agissons également en faveur d'une agroécologie vivrière qui a fait ses preuves, plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.
Œuvrons en faveur de l'industrialisation indispensable de ces pays. Au cours des dernières décennies, les relations économiques ont maintenu dans les États africains une économie de rente. Dans notre intérêt, il faut rompre avec cette dernière. En vue d'atteindre cet objectif, ne faudrait-il pas réfléchir à des mécanismes au niveau national, européen et international, favorisant une transformation sur place des matières premières de ces pays ?
Du point de vue énergétique, nous pourrions faire profiter les États africains de notre savoir-faire, notamment en matière nucléaire, en étroite collaboration avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Comment se fait-il que le Niger nous fournisse depuis des décennies de l'uranium pour le fonctionnement de nos centrales nucléaires, sans que nous lui proposions en échange une expertise technique pour le lancement d'un programme nucléaire civil ?
De plus en plus de dirigeants et de décideurs africains réfléchissent de cette manière. Si nous ratons le coche, d'autres pays, comme la Russie, l'Inde, le Canada et la Chine, saisiront cette occasion. J'en veux pour preuve les derniers accords passés avec des États africains, dont la République centrafricaine, le Burkina Faso et le Rwanda.
Il est temps de changer de logique et d'engager une stratégie à long terme, fondée sur la coopération et sur le soutien des choix endogènes de développement de ces pays. Il s'agit du seul moyen de réparer nos liens avec eux, ainsi qu'avec leurs peuples.