Sans doute est-ce là l'héritage d'un regard daté sur l'homme africain… (Mme et M. le ministre se récrient.) Essayons, dans nos débats sur ce sujet, d'adopter collectivement une approche moins caricaturale.
Dans le temps qui m'est imparti, je concentrerai mon propos sur la relation entre la France et les pays d'Afrique de l'Ouest et du Sahel, qui est au cœur de notre politique étrangère.
Cette relation revêt à la fois une dimension affective et historique, en même temps qu'elle constitue un enjeu stratégique majeur : de son évolution dépendront la place et l'influence de la France dans le monde de demain. Or cette relation a fait les frais, ces dernières années, d'un certain nombre d'erreurs dans notre approche, qui ont conduit à des échecs cuisants.
La première erreur est de considérer notre relation avec ces pays sous un prisme trop étatique. Bien entendu, les États sont des acteurs clés, qui doivent demeurer au cœur de la relation. Mais on ne peut faire l'économie d'une analyse plus fine des acteurs non étatiques, des réseaux des sociétés civiles, soucieux du maintien d'une relation mutuellement profitable entre la France et les pays africains.
Ces réseaux doivent compléter les dispositifs institutionnalisés. Ils permettront de percevoir des dynamiques qui n'apparaissent pas de manière évidente quand on se concentre uniquement sur le système interétatique. Dans son discours devant les ambassadeurs, le Président de la République a bien sûr appelé le corps diplomatique à aller plus à la rencontre des sociétés civiles. Mais c'est un discours que nous entendons depuis plusieurs années… Il est temps de passer de la rhétorique à la pratique.
La seconde erreur est un manque de cohérence entre nos discours de politique intérieure et extérieure. La diplomatie française a l'ambition, légitime, de faire rayonner notre pays à travers le monde en se fondant sur l'universalisme de ses valeurs.
Je partage cette ambition, madame la ministre, mais elle doit être en cohérence avec notre discours en matière de politique migratoire. On ne peut pas dénigrer – pour ne pas dire insulter – les populations étrangères, comme cela a été le cas lors des débats sur le projet de loi sur l'immigration que nous avons examiné récemment et espérer avoir une belle image en Afrique. Les liens entre les sociétés civiles et les acteurs économiques et culturels dépendent des échanges et des déplacements.
C'est aussi par les politiques de visas que le bât blesse, quand on empêche injustement nos amis, les personnes attachées à la France et à la francophonie, de nous rendre visite. Notre ambition doit être alignée avec nos discours et nos actes.
Ces deux erreurs dans notre approche ont malheureusement conduit à des échecs retentissants ces dernières années.
Je pense notamment aux nombreux pays du Sahel qui se sont détournés brutalement de nous au profit d'autres puissances étrangères, comme la Chine et la Russie.
Je pense aussi à cette jeunesse africaine, de plus en plus connectée, de plus en plus anglophone et qui, à tort ou à raison, voit en notre politique africaine la continuité d'une Françafrique qui, au mieux, n'a rien apporté de positif, au pire, est la source de tous ses maux.
Cette forte dégradation de la perception de la France survient dans un contexte où l'Afrique fait face à une crise de plus en plus multidimensionnelle, dont le dérèglement climatique est un catalyseur.
Malgré ces échecs récents, je suis convaincu que la relation avec l'Afrique, et plus particulièrement les pays francophones, demeure pleine de promesses. Je suis persuadé que nous sommes en mesure de relancer très rapidement une nouvelle dynamique positive et d'ériger des passerelles entre nous et nos frères africains. Les atouts sont là, sous nos yeux. Permettez-moi de vous en citer quatre.
Le premier atout est, bien entendu, la francophonie qui, malgré la progression de l'anglais, demeure bien ancrée.
Le deuxième est la diaspora africaine, diverse et engagée. Les nombreux jeunes Français, talentueux et dynamiques, issus des différentes diasporas, sont autant de passerelles entre nous et nos frères africains. Ils sont à même, par leur engagement, de créer un nouvel élan positif.
Ces diasporas seront l'atout majeur de la France dans les années à venir, face aux puissances étrangères qui ne disposent pas d'un tel avantage. Je vous invite donc, madame la ministre, à encourager l'émergence d'une véritable diplomatie parlementaire, qui pourra travailler sur la relation avec les diasporas et les sociétés civiles africaines.
Le troisième atout est la multitude de projets de coopération culturels, économiques et sociaux engagés par nos ONG et les sociétés civiles africaines. Mais, pour valoriser cet atout, il faut adopter une approche humaniste et nous donner les moyens de nos ambitions. Or l'aide publique au développement est malheureusement instrumentalisée au détriment des populations, et ce à l'encontre de l'esprit de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales d'août 2021.
Nous avons la chance que des Françaises et des Français s'engagent, dans de nombreuses ONG, auprès des populations et des sociétés civiles du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Il est impératif, indépendamment du contexte politique, de maintenir tous ces financements.
Ces ONG, qui travaillent dans la santé, l'éducation et bien d'autres domaines essentiels permettent de venir en aide à des populations en prise avec de nombreuses vulnérabilités. Elles sont les meilleures ambassadrices d'une France ouverte, tolérante et humaniste. Donnez-leur, madame la ministre, les moyens financiers nécessaires à leur action ! Celle-ci permet en effet aux populations locales de mieux vivre sur leurs territoires, alors que la France tend à durcir, en ce moment même, ses conditions d'accueil des migrants.
Ainsi, je vous recommande de continuer à accroître l'aide publique au développement de la France, pour atteindre l'objectif de 0, 7 % du revenu national brut (RNB), et ce dès le prochain PLF. Ces ONG, ces sociétés civiles, seront le lien grâce auquel nous pourrons réparer notre relation avec ces pays. Si ténu soit-il, c'est grâce à lui que nous y reprendrons pied.
Enfin, le quatrième atout est la possibilité historique d'engager une coopération avec nos partenaires africains pour lutter conjointement contre le dérèglement climatique qui ravage économiquement et socialement de nombreuses régions.
Lançons cette coopération dans la lutte contre la déforestation, la lutte contre le commerce illégal d'espèces de faunes et de flores sauvages protégées – celui-ci, je vous le rappelle, est estimé à 20 milliards de dollars par an – ou encore la lutte contre l'une des plus grandes injustices du réchauffement climatique, qui fait de l'Afrique le continent le plus affecté, alors qu'il est le moins émetteur.
En conclusion, madame la ministre, il faut que notre pays ait une vision et une politique sur le long terme. C'est la vision court-termiste que l'on appelait Françafrique qui est la source de nos difficultés actuelles.
Ne reproduisons pas les mêmes erreurs. Ne donnons pas l'impression que notre relation avec les pays africains n'est qu'une histoire d'intérêts politiciens et économiques, et que, au moindre soubresaut, nous coupons les vannes aux populations les plus vulnérables. Surtout, madame la ministre, il est grand temps d'aligner nos discours et nos actes avec nos ambitions !