Intervention de Hervé Gillé

Réunion du 21 novembre 2023 à 14h30
Déclinaison territoriale de la planification écologique : quel rôle et quels moyens pour les collectivités locales ? quel accompagnement du citoyen — Débat organisé à la demande du groupe socialiste écologiste et républicain

Photo de Hervé GilléHervé Gillé :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la perspective du Congrès des maires, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a souhaité proposer ce débat de contrôle pour interroger le Gouvernement sur les modalités d’accompagnement et de concertation dont s’assortit, pour les collectivités locales, le volet planification de la transition écologique.

Les feux hors normes de 2022, les sécheresses qui se sont prolongées jusqu’à l’automne et les inondations que connaît aujourd’hui le nord de la France nous rappellent de façon vive que la transition écologique, au-delà des discours, nécessite d’être mise en œuvre selon une méthodologie elle-même fondée sur une planification décentralisée et comprise par tous. Les métropoles, les agglomérations, les communautés de communes et leurs groupements, les départements et les régions sont donc incontournables.

Malheureusement, la présentation par le Président de la République, le 25 septembre dernier, de sa feuille de route écologique n’a pas clarifié les modalités de cette mise en œuvre nécessaire à l’échelle territoriale. Au contraire, le chef de l’État n’a fait que recycler des mesures déjà annoncées sans que l’on comprenne finalement en quoi la feuille de route présentée était « partagée » et en quoi elle était le fruit d’une concertation.

Cette feuille de route, loin de constituer un nouveau départ, est une redite de ce que nous demandions depuis plusieurs années : par exemple, l’annonce de la sortie du charbon, censément entérinée depuis 2022, ou encore la mise en place de RER métropolitains, renommés, grâce à l’action du Parlement, sous le terme de « services express régionaux métropolitains ». Mais aucune annonce n’est faite concernant le financement concret et sur la durée de cette politique. Une première enveloppe est prévue, mais on attend la suite.

Sur la sortie progressive des énergies fossiles, là encore, les interrogations demeurent. Par exemple, une société vient de recevoir un avis favorable du commissaire enquêteur pour la réalisation de huit nouveaux forages d’hydrocarbures en Gironde. À suivre…

L’écologie à la française, juste et accessible, dont se prévaut le Président de la République semble peu compatible avec la pause environnementale demandée à l’échelon européen, mi-octobre, par le Gouvernement. Que faut-il penser de son renoncement à sa promesse de campagne de 2017 d’interdire le glyphosate en France ? En adoptant une position d’abstention sur le renouvellement de l’autorisation dans l’Union européenne de cette substance active vivement critiquée, il fait le choix d’une hypocrisie classique consistant à faire peser la responsabilité sur les institutions européennes.

Les défis sont pourtant immenses : il faut définir le rôle et les compétences des collectivités locales, accompagner le citoyen, faire de la pédagogie lorsque cela est nécessaire et ne pas laisser derrière nous les populations les plus fragiles. En d’autres termes, il faut créer un récit et embarquer tous nos concitoyens dans l’aventure de la transition écologique, qui est, je le crois, porteuse d’espérance.

Une fois interrogée la vision, regardons maintenant du côté des moyens et des outils apportés par l’État. Là encore, nous restons sur notre faim. Les dispositifs présentés manquent cruellement d’une colonne vertébrale territorialisée. La logique d’appels à projets revient à arroser des territoires, sans concertation, sans définition d’une bonne manière d’agir, sans cartographie des besoins. Les collectivités se sentent soit dépossédées soit dépassées par des injonctions contradictoires.

Tel est le cas notamment pour ce qui concerne les zones d’accélération de la production d’énergies renouvelables. J’étais ce week-end avec l’association des maires ruraux de Gironde pour faire le point. De nombreuses communes se trouvent en grande difficulté pour répondre aux injonctions de l’État, car, estiment-elles, elles n’ont eu ni l’ingénierie ni l’accompagnement nécessaires. Or les délais sont très courts.

C’est pourquoi il faut créer un cadre de dialogue avec l’État sur la base d’un projet de territoire partagé avec les différents acteurs publics et privés. Ainsi seulement se donnera-t-on les moyens de faire converger nos projets, les orientations de l’État et les sources de financement.

Médiatisées lors du Congrès des régions de France, les COP régionales ont fait leur apparition dans le paysage, un peu à la façon d’un nouveau numéro vert, avec la lourde tâche de « faire converger travaux nationaux et remontées des territoires », pour reprendre les mots de la Première ministre. Ainsi, il serait demandé aux conseils régionaux d’organiser, avec l’État, des COP dans un temps record et de mettre en place un plan d’action avant l’été prochain.

Une telle annonce est tout de même surprenante dans la mesure où la plupart des collectivités ou, du moins, un grand nombre d’entre elles n’ont pas attendu le Gouvernement pour se lancer dans une logique de planification. Tel est en effet tout le sens des travaux qu’elles mènent via les schémas de planification territoriale que sont, à des échelles diverses, les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), les schémas de cohérence territoriale (Scot) intégrateurs et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi). Cet exercice exigé à l’échelon local, l’État ne se l’impose pas lui-même.

Comment ne pas imaginer que derrière ce calendrier intenable se cache la volonté du Gouvernement de se désengager d’une partie de la mise en œuvre de la planification écologique en renvoyant aux régions la responsabilité de proposer leur propre feuille de route ? À terme, cela pourrait créer des distorsions entre les territoires sans qu’aucun financement crédible soit proposé à court terme, moyen terme et, surtout – car il faut de la prévisibilité –, long terme. Au-delà de l’effet d’annonce, l’objectif fixé est-il partagé par les exécutifs régionaux ?

Malgré votre tour de France des régions, monsieur le ministre, il y a là autant de questions laissées en suspens, qui ne peuvent pas nous faire considérer sérieusement cette annonce si soudaine.

Les synergies, bien qu’essentielles, sont pourtant mal réfléchies au sein des dispositifs ; nous le voyons dans les intercommunalités qui agissent via les plans climat-air-énergie territoriaux. Cet impensé des blocs infrarégionaux des politiques gouvernementales de la transition écologique est une aberration. Il faut redonner du sens et des moyens à tous les outils prospectifs et de programmation qui sont à la main des collectivités. Et il faut à cet effet intégrer la transition écologique dans les politiques qui font l’objet d’une contractualisation avec l’État et proposer des écoconditionnalités partagées et réellement incitatives.

À cet égard, le fonds vert, dont nous saluons le maintien dans le projet de loi de finances, manque de transparence et d’articulation avec les politiques publiques territoriales. Il est indispensable qu’une partie des moyens ainsi mobilisés soit affectée à la promotion de stratégies territoriales partagées. Cela permettrait d’éviter le risque de saupoudrage des financements tout en assurant une optimisation de la consommation des crédits.

De ce point de vue, il faut saluer l’initiative des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), qui a été dans l’ensemble plutôt bien accueillie par les collectivités. Une nouvelle génération de CRTE est en préparation. Les attentes sont grandes, car, en particulier, les collectivités ont besoin de visibilité pour engager des investissements. Ces nouveaux CRTE garantiront-ils une vision consolidée sur la durée des actions financées par l’État ? Ils devront en effet être bien davantage qu’un programme récapitulant les financements de droit commun des différents ministères ; on en revient aux objectifs et à la conditionnalité.

Si l’on veut avoir davantage de recettes et transformer notre modèle, le principe du pollueur-payeur doit être mieux appliqué en France. Cela permettrait de lever les moyens financiers nécessaires à la transition environnementale. De tels montants doivent être largement affectés aux territoires pour leur permettre de piloter les transformations nécessaires, en matière de production comme de mobilités, d’agriculture comme d’aménagement des espaces. Je pense ici aux formidables outils que sont les paiements pour services environnementaux (PSE) et les projets alimentaires territoriaux (PAT), qui doivent être consolidés auprès des collectivités.

Enfin, la baisse constante des ressources du bloc local exige notre plus grande vigilance. Les auteurs d’une tribune parue au mois de juin dans le journal Le Monde pointaient du doigt, à juste titre, un système de financement fragile et qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Les conséquences négatives directes d’une telle lacune sur la mise en œuvre de la transition écologique doivent nous alerter.

Monsieur le ministre, si vous poursuivez la baisse des impôts de production et les demandes d’efforts budgétaires sans concertation ni négociation, les marges de manœuvre des collectivités seront réduites d’autant.

Plus encore, nous vous demandons la clarification des compétences et l’arrêt des transferts masqués de l’État vers les collectivités dans le domaine de la transition écologique. Il est aujourd’hui légitime de décliner des objectifs qui devront s’inscrire dans les politiques contractuelles associant l’État aux collectivités. Cela impose de clarifier l’allocation des moyens et de construire collectivement l’évaluation des politiques publiques menées en la matière.

De tels principes sont essentiels si nous voulons que les citoyens et l’ensemble des acteurs s’approprient ces politiques.

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