Intervention de Prisca Thevenot

Réunion du 23 novembre 2023 à 9h00
Culture citoyenne — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Prisca Thevenot :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honorée de m’exprimer devant vous pour la première fois depuis ma prise de fonction en tant que secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel, également chargée de la vie associative.

J’aime à qualifier ce ministère de « ministère du lien » : lien entre les générations, lien entre les jeunes eux-mêmes, lien entre eux et la société, lien au sein de la société elle-même.

Ce lien est dans l’ADN de mon secrétariat d’État et des politiques publiques que je conduis. Il sera, j’en suis sûre, au cœur de nos échanges sur la citoyenneté, socle de notre nation.

Je remercie sincèrement le groupe RDSE d’avoir mis à l’ordre du jour du Sénat cette proposition de loi, complète, riche et constructive.

Ce texte est le fruit d’un travail sénatorial transpartisan extrêmement rigoureux et le Gouvernement en partage les constats : le goût des jeunes pour l’engagement, l’urgence de reconstruire la confiance entre citoyens et élus, le danger pour notre démocratie que représente la propagation de fake news sur les réseaux sociaux ou encore le succès du service civique.

Nous en partageons également pleinement la philosophie : oui, l’engagement des jeunes est un véritable enjeu de cohésion nationale et nous devons, aujourd’hui plus que jamais, travailler à le renforcer.

S’engager, c’est rappeler que nous sommes non pas simplement une somme d’individus, mais bien une équipe de citoyens engagés sous un même drapeau et partageant les valeurs qui ornent les frontons de nos mairies et de nos écoles : liberté, égalité, fraternité.

Ces valeurs sont à construire. Il nous faut plus que jamais le faire, dans le cadre d’une société résiliente, plus tolérante et plus unie.

Depuis six ans, la jeunesse est au cœur de nos priorités. Elle est aujourd’hui confrontée à ce que le Président de la République a appelé la « grande bascule ». Et les défis auxquels elle doit faire face sont importants : crise écologique, difficultés économiques et sociales, retour de la guerre en Europe, conflits sociaux et religieux ou encore transformation numérique.

En réaction, la jeunesse, dans sa diversité, est unanime : elle veut être non pas administrée, mais responsabilisée. Nous devons l’écouter et lui permettre de s’engager pleinement, afin qu’elle soit actrice de son destin.

Cette demande de responsabilisation passe par l’émancipation citoyenne de chacun. Nous devons l’entendre et la rendre audible.

En 2019, nous avons lancé, avec Gabriel Attal, le service national universel, auquel 90 000 jeunes ont pu participer. Pour l’année 2024, nous allons ouvrir 80 000 places.

Le SNU fait un pas de plus cette année avec le dispositif « classes et lycées engagés ». Ce dispositif s’inscrira dans le parcours scolaire, dans le cadre d’un projet pédagogique annuel qui sera déployé aussi bien en classe de seconde qu’en première année de certificat d’aptitude professionnelle (CAP).

Preuve de l’engagement de l’ensemble du personnel éducatif, nous avons déjà dépassé nos objectifs de classes labélisées.

La moitié des classes qui ont répondu présent pour cet appel à projets sont issues des quartiers prioritaires de la politique de la ville. La mixité sociale des jeunes volontaires en séjour de cohésion SNU s’en verra accrue.

Au-delà d’un séjour de cohésion de douze jours, le SNU est aussi un temps d’engagement plus long pour la Nation.

Vendredi dernier, j’ai annoncé le lancement des brigades citoyennes du SNU, qui permettront aux jeunes volontaires de venir en aide, hors temps scolaire et sur la base du volontariat, aux collectivités locales et aux associations dans les territoires sinistrés par les intempéries partout en France. Dès le lendemain, les premiers volontaires étaient déjà sur le terrain, dans le Pas-de-Calais.

Le service civique – nous avons pour ambition de recruter 150 000 volontaires en 2024 – s’inscrit pleinement dans ce temps d’engagement plus long, phase deux du service national universel. Il représente le premier poste de dépenses de mon ministère et son budget annuel s’élève à 518, 8 millions d’euros.

Favoriser les échanges intergénérationnels et le vivre-ensemble est aussi l’objectif du service civique solidarité seniors, lancé en 2021. Au travers de ce dispositif, nos jeunes volontaires agissent pour lutter contre l’isolement de nos aînés, tout en prévenant la perte d’autonomie et en participant à tisser une société plus solidaire.

Vendredi dernier, j’ai annoncé le doublement du nombre de jeunes en service civique solidarité senior. Ils pourront agir aussi bien en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qu’en résidences autonomie, avec l’objectif d’accompagner 200 000 personnes âgées d’ici à 2027.

« Redynamiser la culture citoyenne », selon les termes de votre rapport, c’est aussi permettre à nos jeunes de s’engager dans l’école de la citoyenneté que sont nos associations.

Dès 2024, nous allons augmenter le budget du fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), qui permet de soutenir le fonctionnement des associations, en particulier les plus petites structures. De 50 millions d’euros en 2023, ce dernier passera à près de 70 millions d’euros en 2024.

Le secteur associatif n’est bien sûr pas hermétique aux profondes mutations que connaissent nos sociétés. Il est donc de notre devoir de les accompagner, au-delà de l’aspect financier, dans des démarches structurelles autour de quatre grands axes : simplification, reconnaissance, facilitation et accompagnement des acteurs du monde associatif.

J’en viens au texte que nous examinons ce matin.

L’article 1er prévoit de recentrer le contenu de l’enseignement moral et civique sur deux priorités : la connaissance des institutions françaises et européennes, d’une part, la compréhension des grands enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux, d’autre part.

L’éducation morale et civique est un outil remarquable pour saisir le sens des valeurs de notre République. À l’heure où les enjeux d’éducation aux médias sont de taille, la transmission d’une attitude réfléchie et éclairée vis-à-vis de l’information est un véritable besoin démocratique.

C’est pour cette raison que le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Gabriel Attal, a annoncé le renforcement, dès la rentrée 2024, de l’enseignement moral et civique à l’école et le doublement des heures d’EMC de la cinquième à la troisième.

Nous partageons également la volonté de repenser le contenu de cette matière. À la demande du ministre, le Conseil supérieur des programmes y travaille en ce moment même.

L’éducation aux médias et à l’information y sera pleinement intégrée. Les premières conclusions de ce travail sont attendues d’ici à la fin du mois de décembre.

Il me semble important d’attendre ces conclusions avant de modifier de nouveau, par la voie législative, l’EMC, qui a déjà fait l’objet de nombreuses modifications ces dernières années.

Par ailleurs, l’objectif de l’enseignement moral et civique ne peut pas se limiter à l’apprentissage de notre histoire, de nos valeurs et de notre culture politique, même si cette dimension est importante. Bien au-delà, il s’agit de conforter le principe républicain, de créer une relation de confiance en la République et en ses valeurs.

En somme, l’enseignement moral et civique doit être autant moral que civique.

Par ailleurs, la « fabrique du citoyen » ne se limite pas à l’école : la journée défense et citoyenneté constitue également une étape importante du parcours de citoyenneté.

Elle doit retrouver sa vocation initiale, qui consiste à être un rendez-vous unique, dans la vie d’un jeune, avec les armées et avec tous ceux qui assurent la défense de notre pays. Cette journée doit être pensée comme une véritable expérience démocratique pour toute notre jeunesse, qu’elle sensibilise aux notions d’engagement, de responsabilité et de fraternité.

Dans cette perspective, le ministère des armées travaille actuellement à la refonte de cette journée pour la recentrer sur ses missions premières : enseigner les enjeux et les principes de la défense nationale ; renforcer le lien entre les armées et la Nation ; et, bien évidemment, accroître l’attractivité des métiers de la défense et la volonté d’engagement des jeunes Français.

Là encore, les travaux sont encore en cours ; c’est pourquoi le ministère des armées est réservé quant à l’article 2, pour des raisons non pas de fond, mais de calendrier.

La proposition de loi vise également à favoriser l’insertion sociale des volontaires accueillis au sein des centres de l’Épide. Ce dispositif de seconde chance présente d’excellents résultats d’insertion au regard de la précarité des volontaires lors de leur entrée dans le dispositif. Le Gouvernement est donc favorable à cet article, sous réserve que l’amendement du rapporteur, à l’article 3, soit adopté.

Le Gouvernement émettra un avis défavorable sur les deux articles suivants, qui concernent le processus électoral.

En effet, le vote par procuration constitue une dérogation au principe du secret du vote. En 2021, dans le contexte de la crise sanitaire, le Gouvernement avait fait le choix de déroger au plafond du nombre de procurations. Le retour d’expérience nous montre qu’en réalité très peu d’électeurs se sont emparés de cette possibilité. Seuls 7 % des mandataires étaient concernés par une double procuration. Par ailleurs, le Gouvernement a assoupli le dispositif pour le rendre plus accessible. Depuis le 1er janvier 2022, un électeur peut ainsi désormais donner procuration à un électeur inscrit sur les listes électorales d’une autre commune que la sienne.

L’inscription dans le marbre de la loi de l’envoi dématérialisé du matériel de propagande électoral semble prématurée, même si nous comprenons les enjeux de simplification et de numérisation. Cette mesure nécessiterait une collecte de données de grande ampleur. En effet, à ce jour, seuls 25 % des électeurs inscrits sur les listes électorales ont renseigné leur adresse électronique.

Enfin, nous devons tout faire pour faciliter la vie des jeunes qui font le choix courageux de s’engager en politique. Ils doivent pouvoir concilier leurs études avec leur mandat, qu’il soit local, national ou européen. Le Gouvernement souscrit donc pleinement à l’objectif de l’article 6, qui vise à leur permettre d’aménager leurs études en tenant compte des obligations liées à leur mandat. Cependant, l’inscription de ces dispositions dans le code général des collectivités territoriales ne nous semble pas opportune.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que nous puissions poursuivre, au-delà de cette matinée, ce travail sur le renforcement du parcours citoyen tout au long de la vie. Nous devons continuer à avancer ensemble sur ce sujet d’une importance capitale pour notre pays, dans un esprit constructif. Faisons-le ensemble, pour nos jeunes et avec eux.

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