Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous est donné l’occasion aujourd’hui de débattre d’un concept ô combien essentiel pour le ciment de notre République : la citoyenneté. Dans notre pays, celle-ci s’est forgée dans les luttes et les aspirations de notre peuple au cours des siècles.
Souvenons-nous quand même que ce concept de citoyenneté, qui est inspiré de l’Antiquité, qui a été mûri par les Lumières et s’est concrétisé avec la Révolution de 1789, revêtait autrefois un caractère d’exclusion pour l’ensemble des femmes ainsi que pour les hommes qui ne pouvaient pas s’acquitter du cens. Je pense à la classe laborieuse, qui, à la suite d’une longue lutte politique, a dû attendre 1848 pour voir le passage du scrutin censitaire au scrutin dit « universel ». Il n’était d’ailleurs alors qu’imparfaitement universel : il ne le deviendra pleinement que près de cent ans plus tard, à la suite d’une lutte encore plus longue et âpre, avec l’obtention du droit de vote des femmes en 1945.
La construction européenne apportera aussi sa pierre à l’édifice en 1992, avec la citoyenneté européenne et le traité de Maastricht.
Aujourd’hui, en 2023, ce combat, cette lutte, continue. La citoyenneté est bien plus qu’un simple statut administratif. Elle est confrontée à de nouveaux défis et enjeux, dont ce débat nous permet de discuter.
Au concept d’individu citoyen, au sens d’un individu qui détient des droits, des devoirs et participe à la vie politique de la cité, à la recherche d’un idéal commun, tend à se substituer lentement celui de l’individu consommateur, qui délaisse la production d’idées et de convictions, l’engagement, la solidarité, au profit d’un intérêt tourné quasi exclusivement vers sa propre consommation de biens et de services.
La mondialisation, les crises environnementales, les avancées technologiques remettent en question le rôle des individus en tant que citoyens.
L’abstention interroge quant aux failles de notre modèle actuel de citoyenneté. Elle est révélatrice d’un désintérêt complet pour la politique dans toutes ses composantes chez une partie des abstentionnistes, tandis qu’une autre partie d’entre eux ne considère plus que le vote assure un débouché démocratique et s’organise donc en conséquence, utilisant d’autres modes d’action, à l’image du mouvement des « gilets jaunes ».
Dans le passé, notre modèle de citoyenneté a su changer, comme je le disais, et s’adapter aux époques dans lesquelles les acteurs évoluaient.
L’enjeu est majeur, et nous en parlerons aujourd’hui : il s’agit de l’adhésion aux valeurs de la République, d’égalité, de liberté, de fraternité, qui ne peuvent être mises en péril.
C’est le sens de cette proposition de loi, qui, si elle n’apporte pas, de toute évidence, de changements substantiels ou d’avancées significatives dans la promotion de la citoyenneté, doit être saluée, tout comme les propositions qu’elle comporte et qui sont toutes issues des recommandations d’un rapport d’information.
Je remercie notre collègue Henri Cabanel, qui a eu le mérite et la volonté de prendre l’initiative de contribuer à ce débat.
On peut toutefois se demander si cette proposition de loi permettra de répondre aux défis contemporains de la citoyenneté. Malheureusement, elle sera imparfaite et ne sera pas forcément positive, car les enjeux, comme je le disais, nécessitent une approche plus ambitieuse et des mesures plus substantielles pour renforcer l’engagement citoyen.
Toutefois, le groupe socialiste reconnaît les quelques avancées que contient cette proposition de loi.
Les mesures proposées à l’article 1er visent à renforcer l’enseignement moral et civique, afin qu’il soit opérationnel, en replaçant les enjeux institutionnels en son cœur, en permettant aux jeunes apprentis citoyens d’appréhender au mieux les outils démocratiques qu’ils auront en leur possession à leur majorité.
L’article 4 pérennise la double procuration mise en place lors de la pandémie de covid-19, afin d’assouplir les conditions de participation matérielle des électeurs au scrutin. Nous appellerons cependant également à une grande vigilance dans sa mise en œuvre opérationnelle, pour éviter tout usage frauduleux.
Enfin, l’article 6, le plus ambitieux, a pour objet de favoriser la participation des jeunes à la vie démocratique – c’est le cœur du sujet. Il prévoit des aménagements pour les étudiants dépositaires d’un mandat municipal, départemental ou régional, dans le déroulement de leurs études. Être citoyen, c’est aussi avoir la capacité d’exercer des droits. Nous nous réjouissons que la commission ait étendu le champ de cette mesure aux mandats nationaux et européen.
En tant que partisans du progrès et de l’égalité, nous ne pouvons ignorer les possibilités offertes par ce texte pour renforcer la pratique citoyenne, même si, je le répète, elles restent modestes sur un certain nombre de points.
Pour aborder de manière plus approfondie les enjeux de la citoyenneté, il semble dès lors impératif que nous explorions, ici même au Sénat, dans les années à venir, des pistes complémentaires.
Nous devons envisager des réformes éducatives plus audacieuses, afin d’intégrer davantage les questions de citoyenneté et de participation civique dans les programmes scolaires.
De plus, une réflexion sur la représentativité des institutions et la participation citoyenne directe pourrait être envisagée pour renforcer la légitimité démocratique. Hier, lors de notre niche parlementaire, la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Yan Chantrel, visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée, a été examinée et malheureusement rejetée : elle allait dans le sens que je viens d’évoquer et je regrette que nous n’ayons pu l’adopter.
Enfin, dans un monde où la communication et l’information sont omniprésentes, où il devient de plus en plus difficile de traiter et d’analyser les données, nous devons également – j’insiste sur ce point – nous attaquer à la désinformation et promouvoir une éducation aux médias et à la pensée critique.
Ainsi, le groupe socialiste, fidèle à ses principes et à son engagement envers le bien commun, votera la présente proposition de loi. Nous considérons que même les petites avancées peuvent être les premiers pas vers des changements plus importants. Cependant, nous appelons nos collègues à ne pas perdre de vue l’urgence d’une réflexion plus approfondie sur les défis actuels de la citoyenneté, dont nous avons pu débattre hier encore.