Intervention de Sabine Drexler

Réunion du 23 novembre 2023 à 9h00
Culture citoyenne — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Sabine DrexlerSabine Drexler :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 1789, nous sommes tous reconnus comme des citoyens et nous faisons partie d’une même nation, une nation démocratique où la souveraineté appartient au peuple, qui est appelé à donner son avis, à travers son vote, sur les décisions qui le concernent.

Nous vivons de nos jours une profonde crise démocratique, qui se manifeste notamment par une lente érosion de la participation à toutes les élections. L’abstention est même devenue ce que d’aucuns appellent le premier parti de France. Elle a atteint un record en 2021, lors des élections départementales et régionales, avec seulement un tiers de votants.

Cet état des lieux interpelle et inquiète, évidemment. Au Sénat, nous réfléchissons aux causes de ce phénomène, mais aussi aux solutions à apporter pour réenchanter la politique et renouer les fils de la confiance entre les citoyens et leurs représentants.

Faut-il pourtant être défaitiste ? Je ne le pense pas et il ne le faut pas, car les citoyens, en fait, ne demandent qu’à y croire.

Cet état des lieux est la traduction d’un mécontentement, celui des électeurs désabusés, mais aussi le signe d’une méconnaissance des institutions due aux réformes successives, qui ont rendu le paysage institutionnel de notre pays illisible pour les citoyens.

En effet, et c’est regrettable, le problème majeur du système d’administration français est la répartition incohérente et complexe des compétences entre les collectivités territoriales entre elles, d’une part, et entre celles-ci et les services de l’État, eux-mêmes organisés sur plusieurs niveaux, d’autre part. Périodiquement, des lois cherchent à rationaliser la distribution des compétences, mais leur seul résultat est de compliquer encore davantage le paysage institutionnel.

Cet émiettement des responsabilités pour gérer des affaires qui sont fortement interdépendantes présente d’innombrables défauts, à commencer par l’opacité du système pour les citoyens, ce qui contribue à leur démotivation lors des élections et à leur méfiance à l’égard d’un ensemble incompréhensible, avec ses multiples acteurs aux responsabilités mystérieuses.

Cette situation est également le fruit d’une longue dégradation du débat public, qui a vu la parole être remplacée par l’invective.

Cet essoufflement démocratique, nous pouvons l’endiguer par des mesures comme celles qui nous sont aujourd’hui soumises dans cette proposition de loi. Celle-ci constitue une première étape, qui devra en appeler d’autres, pour continuer à retisser les fils de la confiance perdue.

Si je devais qualifier le texte dont nous allons débattre ce matin, je proposerais trois mots : recentrer, faciliter et encourager.

Pourquoi recentrer ?

L’école et l’éducation sont les terreaux qui forgent les citoyens de demain. Mais pour cela, encore faut-il que l’instruction civique dispensée dans les classes de notre République soit, comme autrefois, une discipline à part entière et non un enseignement « strapontin », comme le qualifie très justement notre rapporteur Bernard Fialaire.

L’EMC est devenu un fourre-tout, qui a perdu de vue ses objectifs initiaux. Nous devons le recentrer sur ses fondamentaux : l’esprit républicain, les valeurs démocratiques, mais aussi la morale.

Il est également essentiel – fondamental, même - de former les élèves à la connaissance des institutions, des mécanismes de vote et des élections, au fonctionnement administratif, au fonctionnement de la justice et des instances de gouvernement. Cette refonte devra passer par des supports pédagogiques repensés, recentrés et simplifiés.

La journée défense et citoyenneté, quant à elle, est une occasion de nouer un contact direct avec les militaires, et de sensibiliser aux enjeux de défense mondiaux et nationaux, dans un monde où les conflits armés se multiplient. Il est vraiment nécessaire de recentrer son contenu sur les enjeux de sécurité et de défense, ainsi que sur les différentes formes d’engagement, ce qui contribuera à faire de nos jeunes des citoyens responsables et éclairés, capables de réfléchir et de penser par eux-mêmes, d’avoir un avis personnel sans se laisser manipuler, car ce sont bien l’ignorance ou le déni qui font le lit des guerres, en mobilisant les plus influençables autour de causes qui ne sont pas les leurs.

Et pourquoi faciliter ?

Les centres de l’Épide sont des structures qui, depuis dix-huit ans, ont fait la preuve de leur performance. Avec près de cinquante mille jeunes qui en sont sortis et un taux d’insertion dans l’emploi de plus de 40 %, c’est une solution qu’il faut continuer à développer et à soutenir.

En cela, la proposition qui est faite par le rapporteur d’ouvrir la possibilité de prolonger la durée d’hébergement et l’accompagnement des jeunes travailleurs de trois mois est sans nul doute une excellente chose dans le contexte actuel où l’accès au logement est l’une des principales difficultés rencontrées par les jeunes travailleurs.

J’en arrive aux mesures qui concernent le processus électoral et l’amélioration de l’information délivrée aux électeurs. Là encore, et pour commencer par ce qu’il y a du plus simple, je pense que nous ne pouvons qu’adhérer au principe et à la nécessité de faciliter les démarches pour inciter les électeurs à voter.

Faciliter, c’est aussi encourager.

En ouvrant la possibilité d’une double procuration, nous répondons aux attentes exprimées par les citoyens. De même, ouvrir la possibilité de diffuser la propagande électorale par voie électronique me semble être une réponse qui devrait permettre de faire repartir la participation électorale à la hausse.

Ces deux éléments répondent à une attente forte notamment des jeunes générations et de celles qui sont les plus éloignées du vote dans sa forme traditionnelle, tel que nous l’avons, nous, toujours connue.

Nous élargissons ainsi une technique de vote directe, qui ne nécessitera pas de se déplacer, et nous évitons le gâchis, qui nous questionne tous, de milliers de tonnes de papier et d’encre. Sans même parler de l’organisation logistique qu’implique la mise sous pli de la propagande électorale, par ailleurs chronophage pour les préfectures ou les collectivités, et des difficultés liées à sa distribution – nous avons notamment pu les constater lors des derniers scrutins.

En mettant en place un système mixte d’envoi de la propagande électorale par voie écrite et électronique, nous ne pourrons que davantage inciter les électeurs à voter.

Enfin, pourquoi encourager ?

Nous savons que les jeunes générations se détournent de plus en plus de l’engagement associatif ou politique faute de temps, mais aussi parce qu’il est difficile pour eux de concilier un tel engagement avec leurs études ou le début de leur vie active.

À l’heure où l’engagement politique est de plus en plus chronophage et complexe et où nous vivons une crise profonde des vocations qui se traduit en particulier par un record jamais connu de démissions de maires et d’élus locaux, je me réjouis que l’on puisse ouvrir la voie à ce droit particulier, très incitatif, pour les étudiants. Je ne doute pas qu’ainsi nous inciterons de nouveau une partie de nos jeunes à s’engager dans la vie locale.

Pour finir, mes chers collègues, il me semble que, sur ces sujets, il nous faut dépasser les clivages politiques, car la santé de notre démocratie est en jeu.

Cette première étape, je l’espère, en appellera d’autres et, en tout état de cause, poursuivons ensemble cet objectif ambitieux de proposer des solutions et de susciter de nouveau l’envie : l’envie de s’exprimer, en sachant être entendu ; l’envie de s’engager, en sachant que sa mobilisation a de la valeur et est reconnue en tant que telle ; et, surtout, l’envie et la fierté d’être en toute connaissance de cause un citoyen français.

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