Intervention de Nathalie Delattre

Réunion du 23 novembre 2023 à 9h00
Prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Nathalie DelattreNathalie Delattre :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’entrée en vigueur du décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, dit décret Bruits, a modifié l’article R. 1336-6 du code de la santé publique.

Cette modification, qui trouve son origine dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, a fait basculer l’ensemble des activités des sports mécaniques dans le droit commun des bruits de voisinage.

Cette évolution soumet de fait les sports mécaniques à un dispositif d’infractions pénales plaçant de très nombreux circuits et, surtout, la pratique encadrée de ces sports dans l’incapacité de respecter la règle d’émergence.

Elle porte en germe des risques contentieux bien réels qui menacent la pérennité des activités sportives des fédérations françaises du sport automobile et de motocyclisme.

En effet, aucun circuit ne peut raisonnablement respecter ce nouveau cadre réglementaire disproportionné. Celui-ci a malheureusement fait fi de la situation des sports mécaniques, puisque ses acteurs n’ont à aucun moment été associés aux discussions préalables à la mise en œuvre de ce décret d’application.

Par cette proposition de loi, il s’agit de trouver une solution équilibrée, partageant l’objectif ciblé et pragmatique de création d’un régime proportionné contre le bruit, conciliant pratique des sports mécaniques et protection de la tranquillité publique. À aucun moment l’objet de cette proposition de loi n’est d’autoriser un bruit excessif et nuisible à la santé.

Les circuits de sports mécaniques font partie du patrimoine collectif de notre pays. Environ 2 300 épreuves sportives sont organisées chaque année à travers notre territoire, sur plus de 1 000 circuits, dont 37 circuits de vitesse. Ils sont le porte-étendard du savoir-faire français en matière de sports mécaniques. L’aura et la popularité auprès d’un public varié de ces compétitions, telles que les 24 heures du Mans ou le Grand Prix de France de Formule 1, dépassent largement les frontières hexagonales.

La filière des sports mécaniques en France représente 2, 3 milliards d’euros annuels d’impact économique et 13 500 emplois directs, ce qui la propulse au rang de troisième filière économique et sportive en France.

Autour de chaque site, c’est tout un écosystème générant des emplois directs et indirects qui s’est tissé, un ferment de cohésion sociale et d’animation de nombreux territoires, tant ruraux qu’urbains.

Nous ne pouvons laisser planer cette épée de Damoclès sur la continuité de ces activités. Nous devons trouver une solution aménageant les contraintes qui pèsent tant sur les fédérations de sports mécaniques que sur les acteurs des circuits automobiles, tout en garantissant le respect des normes de sécurité et de protection de l’environnement.

Aujourd’hui, les fédérations sportives délégataires doivent se conformer à une réglementation complexe rendant l’application de ce décret Bruits d’autant plus excessive. Après obtention d’un arrêté d’homologation de la part du préfet qui se renouvelle tous les quatre ans, après visite et avis de la Commission nationale d’examen des circuits de vitesse ou de la commission départementale de sécurité routière, ces fédérations édictent, dans le cadre de leur mission de service public, les règles techniques et de sécurité, dont les réglementations sonores font déjà partie intégrante.

De nombreux circuits font désormais face à l’impossibilité de respecter la règle d’émergence prévue par le nouveau cadre juridique en vigueur, identique à celle qui encadre les activités industrielles ne relevant pas du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Cette règle limite le bruit à 5 décibels en journée et à 3 décibels en période nocturne. Ainsi, une seule plainte émanant d’un riverain ou d’un collectif suffirait à menacer de fermeture un grand nombre de ces circuits.

Cette menace se renforce à mesure que l’urbanisation se déploie et s’étend à proximité des circuits, pourtant initialement construits en périphérie des centres urbains pour ne pas engendrer de nuisances.

Les inquiétudes sont d’autant plus fortes que l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation, qui prévoit l’opposabilité de l’antériorité de la construction aux activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, ne s’applique pas aux sports mécaniques.

Or cette menace est d’autant plus paradoxale que la filière des sports mécaniques est un vecteur d’innovations technologiques et techniques en matière environnementale.

La France est pionnière en la matière : les émissions sonores à la source des véhicules ont été réduites de plus de 20 décibels en vingt ans. Reconnue pour ses compétences et son excellence dans le domaine de l’ingénierie automobile, de la conception des moteurs aux pneumatiques, la filière a développé de manière significative, grâce à ses fédérations et ses constructeurs, de nouvelles technologies profitant à l’ensemble de l’industrie automobile ainsi qu’à l’ensemble des citoyens.

À l’origine de la motorisation hybride ou électrique et du biocarburant, les compétitions de sports mécaniques catalysent et transposent les avancées technologiques et techniques réalisées sur circuit vers nos véhicules de série.

Entraver leur développement, c’est par conséquent ralentir l’indispensable transition écologique des transports, qui, je le rappelle, restent la première source de gaz à effet de serre sur notre territoire.

Preuve de leur volonté de poursuivre leurs efforts en la matière, la Fédération française du sport automobile (FFSA) et la Fédération française de motocyclisme (FFM) seront les deux premières fédérations sportives françaises à rendre les conclusions du baromètre environnemental qu’elles viennent de mettre en place, au début du mois de décembre prochain.

Par ailleurs, ne pas prévenir la paralysie de l’économie des sports mécaniques, c’est aussi prendre le risque que se développent les rodéos urbains. Dois-je vous rappeler qu’il y a cinquante ans, le gouvernement avait justement décidé le développement de nombreux circuits de sports mécaniques afin de répondre aux problématiques de rodéos urbains et à leurs conséquences tragiques ? Ainsi, le circuit Carole, à Tremblay-en-France, a été ainsi nommé en mémoire de la dernière victime déplorée avant la création du circuit.

Il ne s’est en outre jamais autant vendu de motos que ces dernières années. N’est-il pas préférable d’encourager une pratique encadrée sur circuit plutôt que de voir ces derniers fermer un à un, menant inéluctablement au développement de ces rodéos urbains ? Je suis bien placée, en Gironde, pour en attester !

De nombreux maires, inquiets de perdre leur circuit, m’ont fait part de leur soutien à l’occasion de ma proposition de loi ; je salue d’ailleurs la maire d’Albi, présente dans les tribunes. Ces élus craignent le développement de la conduite hors cadre, qui, comble de la situation, ne serait soumise à aucune mesure de limitation du bruit, puisque la voirie publique, bordée de millions d’habitations, n’est pas concernée par ce décret Bruits !

Cette proposition de loi trouve ainsi son essence dans toutes les raisons que je viens d’évoquer.

Elle ne crée pas un droit à la pollution sonore, pas plus qu’elle ne représente en un retour en arrière ou ne donne un blanc-seing aux sports mécaniques pour faire du bruit.

Elle propose de trouver un compromis entre survie des circuits et santé publique.

Ce compromis se matérialise par l’introduction d’une dérogation à l’article L. 571-6 du code de l’environnement. Celui-ci dispose que les activités bruyantes sportives de plein air, ainsi que « les activités bruyantes, exercées dans les entreprises, les établissements, centres d’activités ou installations publiques ou privées établis à titre permanent ou temporaire, et ne figurant pas à la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, peuvent être soumises à des prescriptions générales », voire à une procédure d’autorisation.

La dérogation serait ainsi applicable aux seuls sports mécaniques, prévoyant qu’ils soient soumis à des dispositions particulières, précisées par décret et tenant compte des contraintes propres à leurs activités.

Cette loi permettrait ainsi au pouvoir réglementaire de modifier le décret Bruits de 2017 et d’accompagner la transition écologique et technique des acteurs des sports mécaniques plutôt que de continuer à imposer des normes inapplicables, car disproportionnées, et à plonger cette filière dans le marasme et à mettre la sécurité routière en grand danger.

Enfin, je remercie le rapporteur Alain Duffourg et les services de la commission pour leur travail consciencieux et positif, ainsi que mon groupe, pour avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour de notre niche parlementaire.

Il nous incombe à présent, mes chers collègues, de débattre en conscience, et dans les temps : j’aimerais que ce texte puisse être voté avant treize heures. Sans cela, nous serions obligés de l’inscrire à l’ordre du jour de notre prochaine niche, ce qui serait dommage. Je compte sur vous pour dire l’essentiel – le dire, certes, mais en respectant ce délai.

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