Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, cher Jean-François Longeot, monsieur le rapporteur, cher Alain Duffourg, madame la sénatrice, chère Nathalie Delattre, mesdames, messieurs les sénateurs, la France est une grande nation de sport. Si elle l’est devenue en acclimatant un certain nombre de disciplines, notamment celles qui sont nées outre-Manche, à commencer par le football ou le rugby, elle a également, à plusieurs reprises, été pionnière. C’est le cas du sport automobile, domaine dans lequel elle n’a jamais cessé d’être à la pointe de l’innovation, à la fois technologique, comme en témoignent les moteurs hybrides, mais aussi sociétale, à l’image de la ceinture de sécurité.
C’est ainsi que les sports mécaniques sont devenus une passion et une mythologie bien françaises. Les 1 200 circuits qui accueillent chaque année plus de 2 300 épreuves automobiles et motocyclistes en sont l’illustration, au même titre que les 160 000 licenciés et les 130 000 bénévoles qui, chaque semaine, partout en France, font vivre et rayonner nos territoires, notamment ruraux.
Ce rayonnement a d’ailleurs, de longue date, dépassé les seules frontières de l’Hexagone, tant les circuits de Magny-Cours, Paul Ricard et, bien sûr, des 24 heures du Mans se sont fait une place à part dans la grande épopée du sport mondial.
Aujourd’hui, en envisageant à haute voix de retrouver un Grand Prix de Formule 1 sur le territoire national, c’est cette grande histoire que la France entend poursuivre, avec la ferme volonté de continuer à concilier et à enrichir ces liens entre passion des courses, innovations technologiques, développement durable et protection de la santé publique.
Voilà pourquoi, madame la sénatrice, chère Nathalie Delattre, je tenais à vous remercier d’avoir pris cette initiative parlementaire, avec plusieurs de vos collègues et de manière transpartisane.
Son objectif n’est pas, comme vous l’avez rappelé lors des travaux en commission, de placer les sports mécaniques en dehors de tout cadre de prévention du bruit excessif pour les populations. Il s’agit au contraire de définir le meilleur dispositif juridique possible – c’est-à-dire un dispositif pragmatique, responsable et pleinement applicable – pour permettre à ces activités de continuer à faire rayonner nos territoires, dans lesquels elles sont souvent implantées de longue date, tout en continuant de s’inscrire dans une dynamique de réduction de leur empreinte sur notre environnement, au sens le plus complet du terme.
Or, comme vos travaux l’ont démontré, le cadre juridique actuel – celui qui est issu du fameux décret Bruits du 7 août 2017 – crée une double impasse, dans sa philosophie comme en pratique.
Dans sa philosophie d’abord, ce décret résulte en effet d’une disposition de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, adoptée sans concertation préalable avec les acteurs sportifs ni étude d’impact. Il a ainsi intégré, du jour au lendemain, les sports mécaniques dans le champ des règles d’émergence fixées par le code de la santé publique. Ce nouveau cadre législatif et réglementaire a donc été imposé à l’ensemble des circuits sans mesures transitoires : ceux-ci se trouvent dans une position particulièrement délicate, alors même qu’ils étaient déjà régis par des règles techniques fédérales, mais aussi par des prescriptions relevant de leur homologation par le préfet ou le ministre de l’intérieur.
Ensuite, cette erreur de méthode se double aujourd’hui d’une impossibilité pratique d’application de la réglementation par le secteur. Soumis en droit au respect de la règle d’émergence, soit la différence entre un bruit ambiant – l’activité des sports mécaniques sur circuit – et un bruit résiduel – le bruit sans l’activité hors circuit –, les circuits sont bien souvent, malgré eux, pris au piège.
Ainsi, qu’il se situe en milieu urbain ou à l’écart des habitations, le circuit est rarement en mesure de respecter ce cadre réglementaire.
En pleine ville, l’activité du circuit affecte nécessairement son voisinage immédiat, qui s’est souvent installé postérieurement à la création de l’équipement sportif. Le circuit d’Albi en est le parfait exemple, comme l’a expliqué à plusieurs reprises la maire d’Albi, Stéphanie Guiraud-Chaumeil.
En zone rurale, le bruit résiduel étant particulièrement faible, la règle d’émergence est, mécaniquement, impossible à respecter.
Dans cette soustraction entre le bruit ambiant et le bruit résiduel mesuré dans les logements du voisinage, soit le premier terme est considéré comme trop élevé, soit le second comme trop faible. Les circuits sont donc face à une impossibilité pratique d’appliquer la législation.
De même, certaines courses de premier plan, comme les 24 heures du Mans ou encore le Bol d’Or, ne peuvent respecter les règles d’émergence différentes entre la période diurne et la période nocturne, auxquelles les compétitions sont pourtant assujetties de plein droit par le décret Bruits. Enfin, des circuits les plus modestes jusqu’au Grand Prix moto de France, de nombreuses situations sont confrontées aux mêmes difficultés.
Face à ces règles élargies aux sports mécaniques, nous constatons les difficultés de la filière : le flou juridique dans lequel elle se retrouve pénalise avant tout les autorités publiques, au premier rang desquelles les collectivités territoriales, qu’elles soient propriétaires ou gestionnaires de certains circuits, mais aussi l’État, dont la responsabilité peut être invoquée pour indemniser les exploitants ou les collectivités ayant investi dans ces circuits.
Au quotidien, face à ces difficultés, ce sont nos préfets qui se trouvent dans une position particulièrement complexe, en étant à la fois les autorités homologuant la plupart des circuits et celles qui sont chargées, aux côtés de nos maires, d’assurer la police de l’environnement.
Ces règles ont des conséquences très concrètes : au-delà de la remise en question de l’organisation de nombreuses compétitions, leur non-respect entraîne, pour l’organisateur, des sanctions pénales élevées.
Pourtant, les deux fédérations délégataires de service public – la Fédération française du sport automobile et la Fédération française de motocyclisme – n’ont pas attendu le décret Bruits ni la menace qu’il fait peser sur leurs disciplines pour prendre conscience de leur responsabilité en matière de tranquillité publique et de santé.
Depuis le début des années 2000, ces fédérations travaillent en effet à une réduction du bruit généré par leurs activités.
La FFSA a adopté une politique ferme visant à réduire drastiquement le bruit à la source des véhicules : en a résulté une réduction de plus de 20 décibels dans les deux dernières décennies.
De son côté, la FFM a également engagé un travail important depuis 2009, avec une baisse des émissions sonores qui représentera, en 2024, de 5 à 7 décibels pondérés A, selon les disciplines, étant entendu qu’une réduction de 3 décibels A revient à diviser par deux l’intensité sonore ressentie.
Cet engagement responsable de nos fédérations, auquel je suis particulièrement attachée, place la France à l’avant-garde mondiale de la mutation de la pratique des sports mécaniques.
Ainsi, c’est en France que la première compétition automobile électrique sur circuit s’est déroulée, dès 2009, et qu’un véhicule électrique a participé pour la première fois à une compétition sur route, en septembre 2020. De leur côté, plusieurs disciplines sportives ont, d’ores et déjà, opéré leur mutation énergétique en évoluant vers des carburants décarbonés, à l’instar de la Formule 4.
Plus largement, la FFSA et la FFM se sont engagées dans une démarche plus durable en se fixant un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 et en lançant, dès 2022, le premier baromètre environnemental des sports mécaniques, dont les résultats me seront très prochainement présentés.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je considère qu’il est tout à l’honneur de l’initiative parlementaire de rechercher un nouveau point d’équilibre. L’enjeu est la pérennisation d’un secteur automobile, fleuron de notre paysage sportif et économique national, ainsi que la protection de la tranquillité publique et la santé humaine. Je partage pleinement cet objectif de conciliation.
Le dispositif proposé demeure perfectible, et ce sera tout l’objectif du débat parlementaire. L’intitulé de la proposition de loi et le processus de consultation préalable avant adoption du décret permettant d’en assurer l’application font notamment débat, comme nous le verrons tout à l’heure.
Au-delà de ces deux points, je m’interroge sur la nécessité d’exposer plus explicitement la nature des dérogations ainsi fixées au code de la santé publique, mais aussi de préciser la nature des prescriptions particulières auxquelles devront encore être soumis les sports mécaniques, en renvoyant le cas échéant au pouvoir d’appréciation des autorités préfectorales.
Dans ce cadre, je m’engage à mener un travail spécifique pour qu’ensemble, et aux côtés des deux fédérations délégataires, nous continuions à améliorer le dispositif que vous proposez et que nous trouvions le meilleur équilibre. Pour cela, nous devrons nous appuyer en tant que de besoin sur les préfets directement concernés, tout en tirant parti de l’éclairage supplémentaire qui sera apporté par la remise, en décembre, du baromètre environnemental de la filière des sports mécaniques.
Pour toutes ces raisons, s’agissant du texte aujourd’hui débattu en séance, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en nous appuyant sur votre connaissance inégalable de nos territoires et votre approche du droit, résolument tournée vers la pratique, je suis persuadée que nous parviendrons à concilier de la manière la plus efficace et adaptée possible ces deux impératifs essentiels : la pérennité des sports mécaniques et la protection de la tranquillité et de la santé publiques.
Vous pouvez compter sur moi pour mobiliser l’ensemble des acteurs et appeler chacun à ses responsabilités, en faveur de cet objectif de progrès, appuyé sur un devoir d’exemplarité – deux horizons sur lesquels nous n’avons pas le droit de décevoir nos compatriotes.