J’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la rédaction de l’article 30 représente une réelle entorse au texte de notre Constitution.
La rétention administrative constitue une mesure privative de liberté. En conséquence, pour le bon fonctionnement de notre justice et pour le respect des droits de l’homme, il est impératif qu’un juge du siège ait à se prononcer rapidement sur le bien-fondé d’un placement en rétention administrative.
Actuellement, l’intervention du juge des libertés et de la détention se fait sous quarante-huit heures, un délai raisonnable qui nous permet de respecter les exigences de notre Constitution. Vous, vous proposez de porter ce délai à quatre jours.
Il s’agit manifestement d’une régression, que vous ne parvenez pas à justifier. Jusqu’à présent, vous aviez jugé qu’un délai de deux jours était raisonnable, et le Conseil constitutionnel le pensait aussi. Comment croyez-vous que ce dernier réagira devant le peu d’arguments que vous avancez pour le modifier, lui qui se fonde sur la nécessité d’avoir un délai aussi court que possible ?
Il nous semble important de ne pas encourir une énième censure, plus que prévisible, en décidant de ne pas modifier le dispositif actuel.
Vous estimez que le droit des étrangers est entravé par l’existence de deux procédures distinctes : une administrative et une judiciaire. Soit ! Selon vous, c’est parce que ces deux procédures s’enchevêtrent que le bon fonctionnement de la justice est freiné.
Aujourd’hui, notre justice fonctionne pourtant correctement dans ce domaine : le juge des libertés et de la détention intervient rapidement et peut libérer tous les étrangers qui ne devraient pas se trouver dans les centres de rétention parce que la procédure d’interpellation n’est pas conforme au droit ; il applique la loi avec rigueur et limite ainsi le nombre de cas étudiés par le juge administratif.
Ce n’est pas le bon fonctionnement de la justice que le juge des libertés et de la détention perturbe, ce sont vos chiffres d’expulsions ! Le juge est responsable non pas de la politique migratoire, mais simplement de l’application de la loi. Si vous ne remplissez pas vos quotas, essayez de les modifier plutôt que de vous attaquer à l’État de droit !
Que le juge des libertés et de la détention soit un « empêcheur d’expulser en rond », quoi de plus normal ? C’est sa mission que de faire respecter la loi et de s’opposer à ce que l’on interpelle quelqu’un en niant ses droits et en se fondant notamment, comme cela peut arriver, sur la couleur de sa peau.
De manière assez constante, pour un ministre de l’intérieur, le droit, le juge, la justice sont sources d’ennuis et de tracas, et ce dans tous les domaines. On se doute à vous entendre, monsieur le ministre, que c’est encore vrai aujourd’hui et qu’il serait plus simple pour vous d’expulser avec plus de célérité. D’aucuns appelleront cela la recherche de l’efficacité… Cependant, pour l’équilibre de notre démocratie, jamais la recherche de l’efficacité ne doit venir contrarier le droit.
Votre intervention en la matière risque, de plus, dans la pratique, d’être contre-productive. La mutation que vous préconisez n’est pas simplement contraire au droit : elle va de surcroît provoquer un embouteillage de la juridiction administrative.
En effet, le juge des libertés et de la détention sert souvent aussi d’« entonnoir » : il permet au juge administratif de n’être finalement saisi que de peu de cas. Si vous supprimez ce verrou, vous allez conséquemment augmenter le nombre de cas sur lesquels la juridiction administrative aura à se pencher. À effectifs constants, puisque vous n’avez pas prévu d’augmenter ses moyens en personnels – sans doute une telle proposition tomberait-elle sous le coup de l’article 40 de la Constitution… –, il n’est pas certain qu’elle puisse le faire sans entraîner un allongement général des délais de jugement, ce qui aggraverait des situations déjà bien difficiles.
Au final, vous allez désorganiser la justice alors que vous prétendez vouloir en améliorer le fonctionnement.
Bref, on marche sur la tête ! Et cela vaut pour de nombreux articles : je ne pense pas que, à force de pinailler, vous obteniez les effets escomptés.
Plutôt que de nous soumettre cinq lois sur l’immigration en quelques années, il aurait été préférable, avant de commencer à discuter de la suivante, de lancer un audit sur l’application de la précédente. Ce faisant, on aurait pu savoir si les dispositions votées avaient servi à quelque chose, connaître la manière dont elles avaient été mises en œuvre et réfléchir aux moyens de les rectifier.
On passe d’une loi à l’autre, sans jamais avoir le recul nécessaire. C’est nier le rôle du Parlement !