Pour ma part, il m’est arrivé d’écrire des articles de sciences sociales en utilisant des méthodes quantitatives. J’ai toujours présenté mon corpus et la grille d’analyse que j’avais utilisée, afin que les conclusions auxquelles j’aboutissais puissent être validées par la communauté scientifique.
En d’autres termes, faire de la science suppose une stricte rigueur. C’est pourquoi nous demandons que les résultats qui sont déposés devant la commission des sondages soient publics, de telle sorte que chacun puisse s’y référer, notamment par le biais du site internet de cette instance.
Cela suscitera des débats. Et après ? N’y en a-t-il pas déjà aujourd’hui ? Telle personnalité politique mécontente d’un sondage va dire que l’institut est possédé par telle ou telle personne, va s’offusquer des méthodes utilisées, des redressements effectués. Alors, autant que tout soit transparent !
Si quelqu’un est contre la transparence, j’aimerais bien savoir pour quelles raisons. Car la notion de secret de fabrication ne s’applique pas à la science. La question est donc de savoir si les sondages relèvent ou non de cette dernière. Pour notre part, nous pensons qu’il s’agit d’une démarche scientifique et nous en tirons les conséquences.
Ensuite, nous avons souhaité faire en sorte que la commission des sondages soit totalement indépendante et dispose de toutes les compétences requises.
Nous avons également veillé à ce qu’il y ait des sanctions dans tous les cas de violation de la loi et que celles-ci soient effectives.
Sur un plan plus philosophique, en quelque sorte, nous avons fait très attention à ce qu’aucune atteinte ne soit portée à la liberté d’expression. Par exemple, nous n’interdisons pas la publication des enquêtes – sauf, naturellement, à partir de la veille du scrutin –, et cela même dans le cas d’un sondage fallacieux. En revanche, nous précisons que, le cas échéant, la commission des sondages a le devoir de faire une mise au point qui paraîtra en même temps que le sondage en question : cela aura un effet dissuasif.
Bien que certains nous aient dit qu’il fallait empêcher que des questions absurdes soient posées, nous avons exclu cette possibilité : toute question peut être posée et la loi n’a pas vocation à déterminer si une question est sensée ou absurde.
Nous savons bien que les résultats diffèrent en fonction de la formulation de la question posée. Ainsi, à la suite du discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, deux sondages ayant des résultats diamétralement opposés sont parus, l’un dans le magazine Marianne, l’autre dans le journal Le Figaro. Plusieurs commentateurs ont pensé que c’était bizarre. Or ce n’est pas bizarre du tout dès lors que vous regardez les questions qui ont été posées et l’ordre dans lequel elles l’ont été. L’important c’est qu’on le sache, qu’on puisse faire des commentaires à ce sujet, bref, que ce soit transparent. Plutôt que de dire « Vous n’avez pas le droit de publier ou de poser telle question », ce qui serait attentatoire à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, il vaut mieux favoriser le débat sur la manière dont les questions sont posées.
Il s’agit d’un texte de liberté, mais aussi de rigueur et de transparence, qui, nous le pensons, permettra de « mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral », comme le précise le beau titre qu’Hugues Portelli a choisi et pour lequel je tiens à le féliciter.
La commission des lois a approuvé cette proposition de loi après avoir adopté vingt-trois amendements, que j’évoquerai rapidement.
Tout d’abord, à l’article 1er, la commission des lois a débattu au sujet du qualificatif « représentatif », car le sondage se définit comme une méthode par laquelle on interroge un échantillon représentatif d’une population, à partir duquel on peut extrapoler la position de l’ensemble de la population moyennant la marge d’erreur dont j’ai parlé tout à l’heure.
Sur proposition de Patrice Gélard – à qui je veux à mon tour rendre hommage, car il a beaucoup travaillé sur le sujet –, nous avons fait mention, dans la définition du sondage, et de la méthode aléatoire et de la méthode des quotas, pour montrer que les deux sont couvertes par le texte.
J’ajoute que nous avons publié, en annexe de notre rapport d’information, une démonstration mathématique établissant – car certains ont pu en douter – que la marge d’erreur est publiable, qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre méthode. Vous le savez, monsieur le ministre, si l’on fait le calcul de la marge d’erreur sur l’échantillon donné par la méthode aléatoire, on arrive à un résultat proche de celui auquel on parviendrait avec la méthode des quotas.
Toujours à l’article 1er, nous avons adopté un amendement pour requalifier les études qui tenteraient d’échapper à la loi en ne s’appelant pas « sondages ». Ainsi, elles tomberont néanmoins sous le coup de la loi.
De même, après en avoir largement débattu, nous avons précisé que l’absence de gratification ne valait que pour les sondages politiques et électoraux. Certains organismes de sondages nous ont affirmé qu’il était très important de pouvoir payer les gens qui répondent aux questions. Pour notre part, nous croyons à l’acte citoyen et à la gratuité de la démarche par laquelle une personne va consacrer quelques minutes à donner son avis si elle est d’accord pour le faire. On n’est pas obligé de tout payer et d’être constamment sous la loi de l’argent !
Par ailleurs, à la demande des représentants de la presse, que nous avons reçus longuement, nous avons prévu à l’article 2 que la loi s’appliquerait à la première diffusion du sondage. Par exemple, monsieur le ministre, si vous citez un sondage dans une tribune ou un éditorial – parce qu’il vous arrive d’en écrire, bien que vous n’en ayez plus beaucoup le temps désormais –, il suffira de préciser qu’il s’agit du sondage publié tel jour par tel organe de presse, sans être obligé de faire état des mentions obligatoires.
Nous avons également indiqué, à la demande des représentants des médias, que le texte intégral des questions pourrait figurer sur le site internet de l’organe de presse ou du média concerné, de manière à faciliter les choses.
L’adoption d’un autre amendement a permis de préciser que les marges d’erreurs devraient être publiées en même temps que le sondage.
De plus, à l’article 3, nous avons substitué le terme « précis » à celui de « généraux » pour qualifier les critères de redressement. Nous avons également prévu que le taux de non-réponses, que la transparence impose de connaître, portait non seulement sur le questionnaire dans son ensemble mais aussi sur chaque question.
Pour ce qui est de la prise en compte du premier tour dans les sondages de second tour, nous avons écrit, à l’article 5, que ces derniers devaient non pas « correspondre aux », comme le disposait la rédaction initiale, mais « tenir compte des » résultats du premier tour. En effet, ce que j’ai dit précédemment sur la marge d’erreur montre qu’il est tout à fait pertinent de faire une simulation de second tour à partir des deux, trois ou quatre personnalités qui arrivent en tête au premier tour, quand bien même l’un ou l’autre n’est pas premier puisqu’il peut obtenir quelques points de moins et donc être compris dans l’écart qui résulte la marge d’erreur.
Pour les dispositions relatives à la commission des sondages, à l’article 7, notre commission a souhaité que la personne qualifiée en matière de droit public fût désignée par l’Académie des sciences morales et politiques. Je pense qu’il n’y aura que des avantages à ce que cette prestigieuse institution puisse désigner un spécialiste en droit public.
Au sujet des incompatibilités des membres de la commission des sondages, nous avons précisé qu’elles doivent viser l’appartenance à la fois aux organismes de sondages et aux médias qui les publient.
À l’article 12, nous avons indiqué que l’ordonnateur des dépenses de la commission des sondages – puisque nous avons souhaité que celle-ci dispose d’un budget autonome – serait le président et non la commission elle-même : pour des raisons évidentes, l’ordonnateur ne peut être qu’une personne physique.
De surcroît, nous avons maintenu à l’article 13 de la proposition de loi les dispositions de l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977. Comme vous le savez, l’élection présidentielle relève d’une loi organique. Eu égard à la théorie de la « cristallisation » élaborée par le Conseil constitutionnel dans les années quatre-vingt-dix, si nous n’avions pas maintenu ce dispositif au sein de la loi de 1977, l’élection présidentielle eût échappé aux dispositions de la loi, ce qui eût été incompréhensible. Voilà pourquoi nous maintenons les dispositions de cet article 11, naturellement en y apportant les modifications rendues nécessaires pour le mettre en cohérence avec notre texte.
Nous avons, dans l’article 14, étendu le champ des amendes de telle manière que toutes les formes de violation de la loi soient couvertes.
À l’article 22, nous proposons que la commission des sondages sous sa forme actuelle puisse continuer à exercer sa mission durant trois mois, le temps que les différentes instances, qu’elles soient juridictionnelles ou académiques, puissent procéder, l’élection ou à la nomination des membres comme la nouvelle composition de la commission le prévoit.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le voyez, nous avons beaucoup travaillé et beaucoup écouté. En effet, nous avons entendu à plusieurs reprises les représentants des instituts de sondages et avons reçu de très nombreux spécialistes des disciplines intéressées par le sujet, depuis les mathématiques et la statistique jusqu’à la science politique.
Nous pensons véritablement que le texte que nous vous soumettons à partir de la proposition de loi d’Hugues Portelli, laquelle fait suite au travail que nous avons pu mener au sein de la commission des lois, représente un pas très important vers la transparence, au service de la vérité.