Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 14 février 2011 à 15h00
Sondages — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est la bienvenue. Même si nous en critiquons certains aspects ou si nous y déplorons certaines lacunes, le sens général et l’objectif nous conviennent.

Il est en effet urgent d’assurer un meilleur encadrement juridique des sondages, et donc de leur donner une plus grande sincérité, une plus grande fiabilité, car ils ont pris dans le débat électoral et, plus généralement, dans le débat politique une place considérable, voire, quelquefois, envahissante.

Le rapport d’information que nos collègues Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli ont publié le 20 octobre dernier rappelait que le nombre de sondages a été multiplié par deux depuis vingt ans pour atteindre un millier par an, soit trois par jour. De plus, il soulignait que notre pays détenait la palme du sondage politique.

Or, si le sondage est un instrument de mesure de l’opinion à un moment donné, il est indéniable qu’il joue aussi un rôle actif sur l’opinion.

D’ailleurs, la multiplication et l’utilisation des sondages tendent peu à peu à substituer à la souveraineté populaire, qui exprime le pouvoir du peuple, la démocratie d’opinion, qui serait en quelque sorte l’opinion du peuple sans pouvoir.

L’actuel Président de la République est, oserai-je dire, un expert en la matière. Dans son mode de gouvernance, « l’opinion du peuple » guide sa politique. L’enchaînement est en quelque sorte le suivant : sondage, réactivité immédiate, affichage, sondage.

Ainsi, le débat idéologique et contradictoire, la réflexion, l’expertise, l’évaluation, bref, tout ce qui peut nourrir le débat démocratique est « ringardisé ».

Faut-il rappeler que mission qui a produit le rapport d’information de nos collègues a été constituée après les révélations sur les liens existants entre l’institut de sondage Opinionway, l’Élysée et des organes de la presse quotidienne ?

Au-delà des implications financières de cette affaire – des sommes importantes étaient en jeu – c’est l’utilisation des sondages dans la manipulation de l’opinion qui avait, à l’époque, frappé les esprits. En effet, la dissimulation du commanditaire, en l’occurrence l’Élysée, d’un sondage publié dans un second temps par un quotidien, était révélatrice d’une certaine conception de la démocratie.

À ce titre, les dispositions de la proposition de loi qui tendent à rendre publique l’identité du ou des commanditaires d’un sondage sont très importantes.

Nous approuvons l’amélioration sensible de la loi de 1977 que constitue la publicité d’informations essentielles comme les marges d’erreur ou les taux de réponses, mais aussi l’amélioration de la composition et surtout de la compétence de la commission des sondages. Tout cela participe à l’édification de l’indispensable déontologie à laquelle doivent se conformer les professionnels, mais aussi à la transparence des sondages, transparence nécessaire à la fois pour ceux qui les utilisent et la population qui en prend connaissance.

Pour autant, l’amélioration, même significative, de la législation relative aux sondages ne rendra pas, à elle seule, sa noblesse au débat politique.

La crise politique est grave. Il ne suffit pas de perfectionner le thermomètre. La présidentialisation à outrance du pouvoir réduit à l’impuissance les représentants du peuple, et ce d’autant plus que le pouvoir politique a lui-même abdiqué au profit des marchés. On ne regagnera pas la confiance de nos concitoyens sans apporter des changements profonds dans le fonctionnement des logiques libérales et des institutions.

J’en reviens au texte de la proposition de loi. Nous avons déposé des amendements sur quelques points qui nous paraissent critiquables.

Premièrement, pourquoi maintenir, et même faciliter, la réalisation de sondages portant sur le second tour d’une élection, avant même que le premier tour ait eu lieu ? Cette possibilité est contraire à l’idée même du pluralisme.

En effet, qui peut nier que la publication, plusieurs mois, voire des années, avant une élection, de sondages portant sur le second tour d’une élection présidentielle, influence le débat démocratique ? Dans ces conditions, un premier tour demeure-t-il nécessaire ?

Le triste résultat du 21 avril 2002 devrait inviter à plus de prudence et rappeler aux responsables des principaux partis la nécessité de mener un vrai débat d’idées avant le premier tour, sans tout miser dès le départ sur le second tour. C’est vrai pour l’élection du Président de la République au suffrage universel, qui tend à éliminer tous les candidats sauf les deux qui se maintiennent au second tour, mais c’est vrai aussi pour l’élection des députés au scrutin majoritaire à deux tours. Nous critiquons, pour notre part, ces modes de scrutin ; mais, en tout état de cause, lorsque les deux tours existent, il faut permettre le respect du pluralisme à l’occasion du premier tour des élections.

Deuxièmement, il est important que la situation des instituts de sondages, entreprises privées dont le rôle est de toute évidence significatif dans la vie publique, soit réellement transparente. Cette transparence, qui doit concerner leur fonctionnement, et en particulier la composition de leurs organes dirigeants, est essentielle, ne serait-ce que pour donner tout son sens au mot « transparence ».

Enfin, nous proposons que les remarques méthodologiques portant sur les sondages, qui pourront désormais être rendues publiques par la commission des sondages avant le déroulement d’un scrutin – une avancée très positive –, puissent l’être aussi durant toute la période précédant le scrutin, et pas seulement lors du mois précédant celui-ci. Des manipulations méthodologiques peuvent avoir autant d’importance six mois avant l’élection que quelques jours auparavant.

Mes chers collègues, nous vous proposerons des amendements dans la suite du débat. En attendant, ces quelques remarques étant faites, je confirme que les sénateurs du groupe CRC-SPG voteront cette proposition de loi.

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