Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique qui a été déposée par nos collègues Louis-Constant Fleming et Michel Magras, et que nous examinons aujourd’hui, est spécifique pour deux raisons.
D’une part, elle vise à l’approbation de conventions fiscales proches du modèle des conventions fiscales habituellement passées entre la France et des pays tiers, mais, dans ce cas précis, conclues entre l’État et trois collectivités territoriales d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution : Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française. Elles se distinguent donc des « classiques » conventions fiscales internationales.
D’autre part, c’est un projet de texte de nature organique. À ce titre, il aurait pu être renvoyé devant notre commission des lois. Cependant, s’agissant de conventions exclusivement fiscales, la conférence des présidents l’a renvoyé à juste titre devant la commission des finances.
En préambule, je veux souligner le fait que les quatre conventions fiscales visées par ce projet de loi organique appartiennent à deux catégories distinctes.
L’article 1er a pour objet l’approbation d’une convention fiscale « classique » avec Saint-Martin, visant à éviter la double imposition des contribuables.
Les articles 2, 3 et 4 tendent respectivement à approuver des accords avec Saint-Martin, la Polynésie française et Saint-Barthélemy, qui sont de simples accords d’assistance administrative et d’échanges de renseignements dont la portée est donc plus limitée.
Après une brève introduction, je vous présenterai donc successivement la convention fiscale visant à éviter les doubles impositions avec Saint-Martin, puis, de manière groupée, les trois accords d’assistance administrative passés avec Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française.
La première question qui se pose est la suivante : pourquoi signer des conventions fiscales avec des collectivités territoriales d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, collectivités qui sont, comme je l’ai rappelé, dans une situation différente de celle des pays étrangers ?
La raison est que les compétences de ces collectivités qui sont régies par des lois organiques englobent une large compétence fiscale qui s’exerce sur leur territoire. Leur situation par rapport au reste de la France est donc proche de celle des pays tiers au regard de notre pays.
Sans convention fiscale, comme pour les pays tiers, les résidents de chaque territoire risquent d’être soumis à une double imposition sur certains de leurs revenus et sur leur patrimoine.
Seconde question : pourquoi un texte de nature organique ?
C’est le Conseil constitutionnel qui a imposé cette règle dans un avis de 2010. Il a en effet jugé, à juste titre me semble-t-il, que les conventions fiscales pouvaient être de nature à remettre en cause les modalités d’exercice par les collectivités d’outre-mer concernées de leurs compétences fiscales. Or les compétences, notamment fiscales, de ces collectivités, leur sont confiées par une loi organique. Il est donc logique qu’une loi organique vienne également approuver les conventions prévoyant les modalités d’exercice de ces compétences.
En outre, la loi organique du 21 février 2007, qui a transformé Saint-Martin et Saint-Barthélemy en collectivités territoriales d’outre-mer à part entière, régies par l’article 74 de la Constitution – elles faisaient précédemment partie intégrante de la Guadeloupe – a explicitement prévu la signature de conventions fiscales avec ces deux territoires en vue de prévenir les doubles impositions. L’exercice auquel nous nous livrons aujourd’hui est donc la suite logique de l’évolution institutionnelle de ces collectivités.
Venons-en au principal sujet de cette proposition de loi organique : la convention fiscale visant à éviter les doubles impositions, signée entre l’État et Saint-Martin.
Des conventions de ce type ont déjà été adoptées avec les autres collectivités d’outre-mer disposant déjà d’une compétence fiscale : la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore Mayotte.
Pourquoi sommes-nous aujourd’hui appelés à approuver une convention avec Saint-Martin et non avec sa voisine Saint-Barthélemy ? Pour la bonne et simple raison que Saint-Barthélemy, qui dispose également d’une large compétence fiscale, n’a pas mis en place de fiscalité directe sur son territoire. Il en résulte que les doubles impositions sont impossibles entre l’État et Saint-Barthélemy, puisque cette dernière collectivité n’impose pas.
En revanche, Saint-Martin est dans une situation économique, sociale et financière bien moins favorable que sa voisine. L’île a donc prévu un régime fiscal proche, en de nombreux points, de celui qui est appliqué par l’État. Il en résulte des risques de doubles impositions, ce qui explique la conclusion de la convention fiscale que nous examinons aujourd’hui.
La convention fiscale avec Saint-Martin s’est largement inspirée du modèle prévu par l’OCDE, agrémenté des adaptations habituelles que la France ajoute à ce modèle, lors de la négociation de ses accords fiscaux avec des pays tiers.
Je ne commenterai pas en détail les dispositions de ce modèle et je vous renvoie pour cela aux excellents rapports de notre collègue Adrien Gouteyron sur les nombreuses conventions fiscales conclues entre la France et des pays étrangers. Je relève uniquement que le choix de prendre pour base de négociation le modèle de l’OCDE a l’avantage de permettre de couvrir l’ensemble des champs fiscaux et d’aboutir à une convention qui pourra servir de référence pour celles qui seront passées à l’avenir entre l’État et des collectivités territoriales d’outre-mer.
Je m’attacherai donc à décrire les modifications dont le modèle de l’OCDE a fait l’objet et qui constituent la spécificité de la convention conclue avec Saint-Martin.
Premier point ayant fait l’objet de modification : il a fallu, de manière générale, adapter la convention fiscale, car elle est d’une nature différente de celle d’une convention internationale. Ainsi, par exemple, l’article 3 de la convention fiscale a été modifié par rapport au modèle de l’OCDE pour faire mention non pas d’« États contractants », mais de « territoires ». De même, l’article 23 de la convention présente une spécificité, puisqu’il prévoit qu’une loi organique sera nécessaire pour la dénoncer, tout comme une loi organique est nécessaire pour la conclure.
Deuxième point ayant fait l’objet d’adaptations : il a fallu prendre en compte le fait que la compétence fiscale de Saint-Martin n’est pas aussi étendue que celle d’un État tiers indépendant. Ainsi, l’article 2 de la convention fiscale ne vise pas les prélèvements obligatoires opérés au profit de la sécurité sociale, car Saint-Martin ne dispose pas de compétence fiscale en cette matière.
Troisième point ayant nécessité des modifications : il s’agit de l’existence d’une règle de résidence fiscale particulière à Saint-Martin. Depuis la loi organique de 2007, qui a créé la collectivité, les règles de résidence fiscale à Saint-Martin diffèrent des règles habituellement applicables à l’échelon international. En effet, il faut cinq ans de résidence sur le territoire saint-martinois pour qu’un contribuable français puisse être considéré comme un résident fiscal local et non plus comme un résident fiscal de l’État. Cette disposition particulière a été adoptée pour prévenir les abus qu’aurait pu engendrer la création d’un régime fiscal spécifique. Cette règle de résidence n’est pas sensiblement modifiée par la convention fiscale. Elle a toutefois nécessité que le modèle de l’OCDE soit adapté en plusieurs points pour la prendre en compte.
J’en viens au quatrième et dernier point, le plus important me semble-t-il, qui a fait l’objet de modifications par rapport au modèle classique des conventions fiscales conclues par la France : il s’agit des modalités d’imposition des fonctionnaires de l’État. Habituellement, les conventions prévoient que les fonctionnaires de l’État en poste à l’étranger, essentiellement les diplomates, voient leur traitement imposé par la France et non par l’État dans lequel ils résident. Au cours des négociations avec Saint-Martin, il est apparu que l’application de la même règle au cas de Saint-Martin aurait des conséquences bien différentes.
En effet, on compte à Saint-Martin près de 2 000 fonctionnaires sur une population active d’environ 15 000 personnes. Ce chiffre paraît important, mais les estimations à l’échelle nationale font apparaître à peu près les mêmes proportions.
Priver la collectivité saint-martinoise de la possibilité d’imposer ces fonctionnaires est donc apparu difficile, notamment au regard des difficultés financières qu’elle rencontre.
Au final, la convention prévoit donc de les assujettir au régime applicable aux salariés du secteur privé. Ils sont par conséquent imposables, lorsqu’ils sont résidents fiscaux à Saint-Martin, par la seule collectivité de Saint-Martin.
Cette disposition conduira à une réduction des recettes fiscales de l’État, que les services de la Direction de la législation fiscale estiment entre 1 et 2 millions d’euros par an. Elle me semble toutefois justifiée, notamment par la situation financière de Saint-Martin. Un récent rapport de l’Inspection générale des finances, l’IGF, pointe ses difficultés financières, en particulier son déficit de trésorerie de 25 millions d’euros.
Ces difficultés résultent directement de la ressource que représentait l’octroi de mer, dont Saint-Martin ne bénéficie plus depuis qu’elle ne fait plus partie de la Guadeloupe. Il me paraît donc souhaitable de donner à cette collectivité d’outre-mer les marges de manœuvre fiscales qui lui seront nécessaires pour assainir sa situation. À défaut, nous savons tous d’ailleurs que l’État serait appelé en dernier ressort pour remédier aux difficultés financières de la collectivité de Saint-Martin. Je profite d’ailleurs de cette intervention pour relayer le souhait, exprimé par notre commission des finances, que Saint-Martin se serve utilement de la compétence fiscale qui lui a été dévolue pour parvenir à redresser sa situation financière.
Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, telles étaient les observations que je souhaitais faire sur cette proposition de loi organique. Son adoption me semble indispensable pour régulariser la situation.