Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre prévention à l’encontre des conventions fiscales de complaisance nous a valu un communiqué vengeur de la section UMP de Saint-Martin, qui nous dénie le droit de qualifier cette île de « paradis fiscal » !
Ce qui est vrai, c’est que les paradis fiscaux ne sont jamais des paradis pour tous !
À cet égard, tout à l'heure, Nicole Bricq s’est interrogée : faut-il parler de paradis fiscal ou d’avantages fiscaux ? En outre, lors de l’examen du présent texte en commission, elle s’est demandé s’il n’y avait jusqu’à présent aucun échange d’informations entre l’État et un territoire de la République ? C’est une question que je fais mienne.
Nous voici en présence d’une proposition de loi organique, déposée par nos éminents collègues Louis-Constant Fleming et Michel Magras, sénateurs représentant, respectivement, les collectivités territoriales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, et qui porte sur la nature des relations fiscales que ces collectivités entretiennent avec la France métropolitaine.
Je signale au passage que, bien que cette proposition de loi organique concerne aussi la Polynésie française, les sénateurs de ce territoire plutôt vaste n’ont été associés ni à la signature du texte ni à sa défense. Il est permis de se demander pourquoi.
Cette première question permet de lever un coin du voile sur le contenu du texte qui nous est proposé.
Certes, les bonnes intentions des auteurs de cette proposition de loi organique sont affichées : mettre un terme à une situation transitoire – le transitoire qui dure n’est jamais une bonne chose – ; trouver les moyens de financer l’action de la collectivité confrontée à des urgences sociales ; enfin, mettre chacun en face de ses responsabilités quant à son apport à l’effort collectif. Les problématiques sont différentes selon que l’on est à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, mais les enjeux ne varient guère.
Cependant, la réalité des faits que nous avons découverts, qui nous ont été rapportés et que nous avons pris la peine de mesurer et d’analyser, nous incline à penser que les intentions sont une chose, les réalités, une autre.
Par exemple, nous nous sommes procurés deux documents essentiels : le code des contributions de Saint-Barthélemy, dans sa version consolidée, et la délibération du conseil territorial de Saint-Martin, qui a fixé, à la fin de 2007, les règles fiscales en vigueur sur le territoire de la collectivité en adaptant le code général des impôts métropolitain à la situation locale, en élaborant une version que je qualifierais de light.
Il existe quelques points communs entre les deux textes, qui suscitent, par ailleurs, un sentiment général quant à une volonté de faire de ces deux territoires une sorte de laboratoire d’innovation fiscale. Je ne suis pas le seul à le dire.
Le changement de statut des îles du Nord a changé la nature du droit fiscal, devenu local.
Pour mémoire, on remarquera qu’en 2006, dernière année où Saint-Martin et Saint-Barthélemy furent parties intégrantes du territoire français, on dénombrait sur ces territoires, respectivement, 13 394 foyers fiscaux, dont 3 295 imposables, et 696 foyers fiscaux, dont 391 imposables.
Notons-le, à Saint-Martin, la majorité des contribuables, soit près de 7 600, déclaraient moins de 7 500 euros nets annuels et disposaient d’un peu plus de 12 % des revenus déclarés. A contrario, on dénombrait sur ce même territoire 98 foyers fiscaux, soit moins de 1 % de la population de l’île, disposant de plus de 78 000 euros de revenus, déclarant un peu plus de 13 % des revenus imposables et soldant plus de la moitié des 7, 1 millions d’euros de produit de l’impôt sur le revenu perçu par le fisc.
À Saint-Barthélemy, les foyers aisés étaient moins nombreux, soit un total de 25, mais ils disposaient d’un revenu fiscal moyen de près de 300 000 euros et s’acquittaient de plus de 80 % du produit de l’impôt perçu sur l’île. Il faut dire que ces 25 foyers rassemblaient plus de 45 % de l’assiette fiscale de l’impôt sur le revenu de l’île.
En 2008, la situation était pire de ce point de vue, avant que l’année 2009 ne consacre la chute du produit des impôts « nationaux ».
On ne doute pas, à la lumière de ces chiffres, que ces 120 à 130 familles aux revenus importants ont accueilli avec sympathie le changement de statut des deux collectivités, puisque ce changement a mis fin à l’assujettissement à l’impôt sur le revenu métropolitain.
À dire vrai, la lecture du code des contributions de Saint-Barthélemy, qui ne prévoit ni impôt sur le revenu ni ISF et qui accorde aux entreprises locales un forfait local peu élevé en lieu et place de l’impôt sur les sociétés, nous apprend que l’imagination est assez vive dès lors qu’il s’agit de créer des droits indirects sur les biens et marchandises en circulation sur l’île.
Comme la collectivité doit compenser à l’État les pertes de produit fiscal occasionnées par le changement de statut, cela revient pratiquement à faire payer, par le droit de quai, par exemple, c’est-à-dire par tous les habitants de l’île, ce qui, hier, était payé par les plus fortunés des habitants au titre de l’impôt sur le revenu !
Par conséquent, nous sommes certes favorables aux contrôles, mais nous dirons, pour aller vite, que Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont presque des paradis fiscaux, et ce à un détail près : il faut avoir les clés du paradis, c’est-à-dire les biens, la fortune et les revenus qui en découlent pour en jouir pleinement.
Pour les autres, les plus modestes, les plus nombreux des habitants des deux îles, demeurent la persistance des problèmes sociaux, les difficultés d’emploi, de logement, la vie chère – rappelons que Saint-Barthélemy manque d’eau potable et doit quasiment tout importer – et les droits indirects, qui accroissent le prix de n’importe quel bien.
Pour conclure, je rappellerai que les deux îles ont une économie si « touristico-dépendante » que la moindre crise de ce point de vue pose problème – je pense à l’appréciation de l’euro par rapport au dollar, à la concurrence exacerbée sur le moins-disant social et fiscal dans la zone – et met en péril les fragiles équilibres de chaque collectivité.
Madame la ministre, voter en l’état une telle proposition de loi organique reviendrait à confirmer la confiscation de l’intérêt général, qui est le fondement de la loi dans notre pays, au profit exclusif de quelques privilégiés et au détriment, à l’évidence, du plus grand nombre. Je donnerai quelques exemples concrets dans mes interventions sur les articles.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi organique.