Intervention de Serge Guillon

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 octobre 2023 à 9h00
Fonctionnement de l'union européenne — Audition de M. Serge Guillon ancien secrétaire général des affaires européennes

Serge Guillon, ancien Secrétaire général des affaires européennes :

Je vous remercie de m'accueillir ce matin ; je parlerai à titre strictement personnel, sans engager personne, notamment pas le ministère de l'économie et des finances, où j'occupe des fonctions au sein du Contrôle général économique et financier, ni l'Institut national du service public (INSP).

Mon objectif est de vous parler du monde réel, et non des approches théoriques ou juridiques relatives au fonctionnement de l'Union européenne.

À la question de savoir comment appréhender l'Union européenne, on peut répondre de deux manières correspondant à deux écoles. Il y a ceux qui, comme Michel Barnier, s'appuient sur le modèle français pour présenter le fonctionnement de l'Union européenne : le fonctionnement de l'Union ressemblerait à celui du système décisionnel français. Une deuxième école, dont je fais partie, soutient qu'au contraire, il s'agit d'un monde à part, tout à fait particulier, et qu'il faut, pour l'appréhender, oublier les références culturelles, juridiques et institutionnelles françaises.

Le système européen s'organise autour de l'influence - j'entends par là une véritable guerre d'influence, d'une ampleur incomparable avec ce qui peut se passer en France -, du compromis - là encore, il s'agit d'une différence importante avec l'organisation verticale qui prévaut en France - et de la négociation. L'Union européenne est une machine de négociation gigantesque : au total, plus de 10 000 réunions de négociation ont lieu chaque année à Bruxelles - quatre à dix réunions du Conseil européen, mais aussi plus d'une centaine de Conseils des ministres, ou encore de très nombreuses réunions des ambassadeurs dans le cadre du Comité des représentants permanents (Coreper), sans parler des comités techniques préparatoires.

Concrètement, le système institutionnel européen prend la forme non pas d'un triangle, comme certains juristes l'enseignent encore, mais d'un carré, composé du Parlement européen, de la Commission européenne, du Conseil de l'Union européenne et du Conseil européen, érigé en institution par le traité de Lisbonne et dont le poids est de plus en plus important. Il faut citer aussi l'institution de régulation des conflits et des contentieux qu'est la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), mais également la Banque centrale européenne (BCE) et la Cour des comptes européenne, qui est d'inspiration anglo-saxonne.

Ce fonctionnement apparaît toujours plus complexe au gré de l'approfondissement et des élargissements de l'Union : plus on élargit et plus on approfondit, plus il faut adapter et réformer le système décisionnel, et plus il est difficile de le faire - voilà le paradoxe.

Dans la réalité, les adaptations se font partiellement en dehors des textes : le mode de fonctionnement effectif est parfois éloigné de ce que les traités ont prévu. Les institutions ménagent donc une plasticité, une souplesse, des interprétations différentes, une adaptation par la pratique. À cet égard, certains débats théoriques semblent assez surréalistes...

En définitive, ce système reste un formidable ciment de la construction européenne : les milliers de réunions que j'ai évoquées créent des clubs, des échanges, des rencontres. Simplement, ce ciment peut se fissurer sous l'effet de certains défis.

Ces remarques introductives étant faites, j'en viens au premier point de mon intervention, qui a trait à l'efficacité du système.

Le premier défi du système décisionnel est l'adaptation à l'approfondissement de l'Union européenne, c'est-à-dire à l'extension de ses compétences, avec les enjeux de subsidiarité afférents. Cela n'est pas simple ; on constate que le système décisionnel s'est adapté par la mise en place de modes de fonctionnement spécifiques par secteur : le comité spécial Agriculture, le comité politique et de sécurité (CoPS) en matière de politique étrangère, etc. Des filières se sont créées en fonction des sujets, régies par des modes de décision différents.

Un mode de fonctionnement très spécifique a été élaboré également lors de la création de la zone euro. En la matière, le système décisionnel est en partie opaque, au point d'échapper à beaucoup de ministères, via l'Eurogroupe, formation adjointe au comité économique et financier. Il y a là une véritable usine à gaz, qui échappe même en partie aux ambassadeurs et au milieu bruxellois.

Ce genre d'adaptations est apparu de plus en plus crucial sur les nouveaux sujets comme le terrorisme : on a créé des formules de plus en plus informelles - je pense au G6 en matière de lutte contre le terrorisme. Côté Conseil de l'Union européenne, de plus en plus de sujets échappent aux filières traditionnelles ; côté Parlement, il est devenu courant que soient créés des commissions et des groupes de travail spécifiques. L'approfondissement conduit donc à un éclatement et à une opacité croissante du système décisionnel.

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