Intervention de Serge Guillon

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 octobre 2023 à 9h00
Fonctionnement de l'union européenne — Audition de M. Serge Guillon ancien secrétaire général des affaires européennes

Serge Guillon, ancien Secrétaire général des affaires européennes :

Oui, c'est compliqué. C'est la raison pour laquelle il doit s'agir d'une simple possibilité. Le Parlement européen devrait aussi en bénéficier.

J'en viens à la gestion des crises. Depuis une quinzaine d'années, nous sommes face à ce que le Président Juncker appelait « une polycrise » : crise financière, crise de la zone euro, crise migratoire... La gestion des crises implique une capacité rapide de décision. Cela représente un défi interinstitutionnel.

C'est compliqué du côté du Parlement européen, pour des raisons de nombre, de diversité, etc. C'est compliqué du côté de la Commission, car, pour avoir des temps de réaction rapides, il faut une commission très politique, avec une présidence qui considère qu'il faut s'impliquer plus fortement en période de crise. Jacques Delors avait cette conception : il déclarait influencer 80 % de l'ordre du jour des Conseils européens. Aujourd'hui, l'impulsion politique venant de la Commission est plus faible.

Par exemple, la gestion de la crise du marché de l'énergie a été très critiquée en interne : on a considéré que la Commission n'avait pas été à la hauteur du rôle qu'elle aurait dû jouer, qu'elle aurait dû prendre des initiatives pour mettre en place des dérogations. Certains ont accusé Mme von der Leyen de défendre la position allemande.

Les Conseils des ministres ne sont pas très adaptés à un fonctionnement de gestion de crise, car il y a une dizaine de formations différentes du Conseil. Généralement, une gestion de crise nécessite une approche globale, et non sectorielle.

Deux instances sont opérationnelles pour le faire. La première est le Comité des représentants permanents, le Coreper, qui a une vision globale et peut se réunir très facilement. Le Conseil des ministres est assisté par des instances de préparation. Ce sont environ 150 groupes d'experts sectoriels, chacun traitant de matières différentes. Ils sont chapeautés par deux Coreper - je rappelle que le représentant permanent est notre ambassadeur auprès de l'Union européenne. Selon les Conseils des ministres qu'il s'agit de préparer, il y a un Coreper 1 et un Coreper 2, qui se réunissent au moins une fois et parfois trois ou quatre fois par semaine.

La négociation d'un texte ou d'une position commence, côté Conseil, par une approche sectorielle, au niveau du groupe d'experts, puis elle remonte au niveau du Coreper, où l'approche est globale. Cela repasse ensuite par une approche beaucoup plus sectorielle, au niveau de l'une des formations du Conseil des ministres, qui se réunit à peine tous les mois.

La seconde instance qui peut se réunir très vite, qui est assez opérationnelle et décisionnelle, est le Conseil européen, au niveau des chefs d'État ou de gouvernement.

Dès lors qu'il faut des réponses techniques, il est nécessaire de faire travailler le Coreper et, sur les sujets qui butent sur des difficultés, passer par le Conseil européen. Le système favorise ces deux instances.

Dans beaucoup de pays, notamment en France, le ministre des affaires européennes a peu de poids et ne dispose pas de vision transversale et de la capacité à décider.

La gestion de crise a conduit à mettre en place des réunions très spécifiques. Ainsi, au moment de la crise financière, Nicolas Sarkozy a inventé un sommet européen réduit aux pays membres du G7, un format zone euro réduit plus le Royaume-Uni. Il souhaitait même que l'on mette en place des sommets réguliers zone euro. Il aurait voulu les institutionnaliser. On a ensuite inventé, pour d'autres crises, des formules où le Conseil européen se réunissait en même temps que le comité réunissant les directeurs du Trésor, le Comité économique et financier (CEF).

C'est cela la plasticité des institutions, le fonctionnement réel dont je parle. Vous n'en trouverez pas mention dans les textes. Mais c'est la capacité d'adaptation qui a pu être démontrée.

Cela a fonctionné sur certains sujets, moins sur d'autres. Pour la crise grecque, les temps de réaction ont été de l'ordre de sept à huit mois, notamment à cause de l'Allemagne, qui bloquait. Malgré tout, les choses ont évolué.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à un défaut de réaction aux crises migratoires. Sur ce sujet, il est à peu près impossible de prendre de vraies décisions à 27. Je rappelle que, dans 7 États de l'Union européenne, la population étrangère représente moins de 1 % de la population globale ! Ces pays qui n'ont aucune expérience de l'immigration sont souvent bloquants.

Les dernières crises - terrorisme, migration... - ont montré qu'il y avait une vraie réflexion à mener : en réalité, il n'y a que quelques États qui sont très impliqués, et le fonctionnement à 27 pose problème.

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur le Parlement européen, qui a été relativement négligé lors des crises financières.

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