Je vous confirme que certaines décisions sont parfois prises parce que les États n'osent pas officiellement tenir une position qui pourrait leur être préjudiciable.
J'en viens maintenant à la question de la légitimité de l'Union européenne, qui est exposée à de multiples critiques.
Le système est critiqué en raison de ses insuffisances démocratiques.
Tout d'abord, le Parlement européen a certes davantage de pouvoirs que certains parlements nationaux, notamment le nôtre, sur certains sujets - je pense au pouvoir de récuser un commissaire lors de son audition par exemple -, mais il est globalement amputé de certains pouvoirs fondamentaux comme l'initiative législative.
En matière budgétaire, le Parlement européen ne vote que les dépenses, et pas les recettes, ce qui affecte sa crédibilité, notamment lors des négociations sur le cadre financier pluriannuel européen, un cadre contraignant adopté en règle générale tous les sept ans, et sur lequel le Parlement ne peut apporter de modifications qu'à la marge.
En outre, le Parlement européen a tendance à se dessaisir de certains sujets au profit de la Commission, notamment au gré de l'attribution de nouvelles compétences très techniques. En matière financière par exemple, il renvoie de plus en plus ses décisions à des actes délégués ou des actes d'exécution de la Commission.
Cela étant, le Parlement européen effectue parfois un vrai travail de législateur, un travail efficace sur les textes dont il est saisi.
En définitive, la procédure législative ordinaire européenne, qui résulte d'un travail commun entre Parlement européen et Conseil, est progressivement éclipsée par des trilogues associant notamment la Commission européenne et les États, qui arbitrent les principaux points en débat. En somme, la procédure ne repose pas sur un système du type « navette parlementaire » : il s'agit d'un système relativement opaque, marqué par des déséquilibres en termes de représentation, puisque la Commission et les États y jouent un rôle très important.
En ce qui concerne le Conseil, la situation se caractérise par un défaut de transparence en termes d'organisation et de comptes rendus.
Le Coreper est la véritable instance de décision, mais son fonctionnement interne reste très opaque, de même que l'élaboration par le SGAE des instructions transmises à notre Représentant Permanent.
La préparation du Conseil européen est tout aussi opaque. Si le Conseil des affaires générales est plus transparent, son rôle est très minime. Dans la mesure où il se tient quelques jours seulement avant le Conseil européen, on peut comprendre que les ministres ne cherchent pas à se mettre d'accord alors que les chefs d'État vont se réunir incessamment.
Le Coreper prend aujourd'hui de plus en plus d'importance. Sous présidence française, tous les compromis ont été adoptés non pas en Conseil des ministres, mais dans le cadre du Coreper.
Au début de chaque conseil des ministres, on adopte les points A, à savoir une liste de textes sur lesquels un accord a été conclu en Coreper et qu'il n'est donc pas nécessaire d'aborder. Cela peut parfois poser problème : la directive Bolkestein avait été adoptée en point A, alors que la plupart des ministres ne savaient pas de quoi il s'agissait.
Le Conseil européen est si opaque que certains Premiers ministres ont pu m'appeler pour savoir comment il s'était déroulé. Je leur demandais s'ils s'étaient tournés vers le Président de la République, mais ils me répondaient qu'ils voulaient aussi connaître mon retour ! À cet égard, je pense que nous sommes trop dépendants du rôle du Président de la République. On peut, par exemple, se battre pendant des mois sur un sujet dont on pense qu'il sera le point le plus important de la réunion et être ensuite interpellé par les autres délégations, parce que le Président n'a pas mentionné du tout le sujet au cours du Conseil européen, ce qui nuit à notre crédibilité globale.