Cela étant dit, au Parlement européen et à la Commission européenne, on recevait, quand le Royaume-Uni était encore membre, un lobbyiste français contre sept lobbyistes anglo-saxons. C'est donc une pratique qui est encore plus développée dans les autres pays.
Quant à la production bureaucratique, elle est d'abord l'effet d'une administration largement hors-sol, je le répète, car elle n'a pas à mettre elle-même en oeuvre ses propres normes et car ses fonctionnaires font toute leur carrière à Bruxelles, sans faire d'allers-retours dans leur pays d'origine, donc sans connaître un univers plus concret.
Elle tient également au déficit de vision politique de l'administration. Ainsi, un projet de texte peut être soumis par une direction générale au collège des commissaires européens, mais émaner en réalité d'un lobby, car, à côté du lobbying négatif, destiné à contrer ou à amender une proposition, existe un lobbying positif, visant à susciter l'adoption d'une norme. Jean-Claude Juncker avait d'ailleurs commencé son mandat de président de la Commission européenne par un grand ménage, en demandant l'origine de tous les textes pendants, parce qu'il s'était aperçu que de nombreux projets procédaient de l'initiative d'un lobby. Il cite souvent le cas d'un texte visant à normaliser les semelles de chaussures pour sols glissants et qui provenait d'une entreprise ayant obtenu un brevet sur ce type de semelle et espérant se créer ainsi un marché captif.
La production bureaucratique s'explique également par le fait que l'on se préoccupe peu de la mise en oeuvre des normes. Cela a des conséquences majeures. Nombre de textes sont ainsi applicables au marché intérieur sans que l'on se soit enquis en amont de la possibilité de contrôler leur respect par les produits importés, car les services de douane n'ont pas été impliqués. C'est ainsi que le règlement dit Reach (Regulation on the Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) n'est pas appliqué sur nombre de produits importés, instaurant une concurrence déloyale pour la production européenne.
De même, beaucoup de règles sont appliquées de façon très différenciée selon les États membres, ce qui entraîne d'importantes distorsions de concurrence et des problèmes très concrets. Un texte peut se révéler inapplicable si les principaux acteurs du secteur concerné n'ont pas été associés à son élaboration. Je pense, par exemple, aux primes agricoles en matière d'élevage.
Conscient de cette difficulté, j'ai tâché de faire inclure dans certains textes une obligation d'évaluation après cinq années d'application. Il faudrait, selon moi, prévoir systématiquement, dès qu'une nouvelle norme est instaurée une évaluation et une possibilité de modification.
En effet, l'une des causes de la rupture entre l'Union européenne et nos concitoyens est que le droit européen paraît à ces derniers rigide, immuable, alors que le droit national peut évoluer facilement, au gré des changements de majorité. Dans le cadre européen, le monopole de l'initiative de la Commission implique que celle-ci doit nécessairement être convaincue pour faire évoluer un texte. Si quelque chose ne fonctionne pas correctement, il faut des années pour convaincre la Commission européenne de bouger... C'est pour cette raison que je plaide pour le partage de l'initiative législative : on ne peut pas maintenir une telle dépendance à l'égard de la Commission européenne.