Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 novembre 2023 à 16h35
Institutions européennes — Audition de M. Olivier Costa directeur de recherche au cnrs chercheur au centre de recherches politiques de sciences po paris cevipof directeur du département d'études politiques et de gouvernance européenne au collège d'europe et Mme Daniela Schwarzer membre du conseil d'administration fondation bertelsmann professeur honoraire à l'université libre de berlin co-rapporteurs du groupe d'étude france-allemagne sur la réforme des institutions de l'union européenne auteurs du rapport naviguer en haute mer : réforme et élargissement de l'union européenne au xxie siècle 18 septembre 2023

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui deux éminents professeurs, Mme Daniela Schwarzer, membre du conseil d'administration de la Fondation Bertelsmann, professeur honoraire à l'Université libre de Berlin, et M. Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris (CEVIPOF), directeur du Département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe.

Au nom de mes collègues, je suis très heureux de vous accueillir au Palais du Luxembourg et je vous remercie d'avoir accepté de venir devant notre commission nous présenter les conclusions de votre rapport.

Vous avez été, en effet, co-rapporteurs du groupe des douze experts franco-allemands sur la réforme des institutions de l'Union européenne, mis en place en janvier dernier à l'initiative de la secrétaire d'État aux affaires européennes, Mme Laurence Boone, et de son homologue allemande, Mme Anna Lührmann, ministre adjointe chargée des affaires européennes et du climat.

Il est en effet progressivement apparu aux États membres que l'élan vers l'élargissement, nourri par des considérations géopolitiques évidentes dans le contexte de la guerre en Ukraine, ne pouvait pas ignorer la nécessité, en parallèle, de mettre l'Union en capacité d'intégrer de nouveaux membres, potentiellement au nombre de huit, voire de dix si la Géorgie et le Kosovo se voyaient aussi reconnaître le statut de pays candidat. Car le constat de départ est le suivant - je vous cite : « L'Union européenne n'est pas encore prête aÌ accueillir de nouveaux membres, ni sur le plan institutionnel ni sur le plan politique ».

Il est heureux qu'une initiative franco-allemande ait ainsi été prise pour réfléchir ensemble à ce défi : quelle réforme de l'Union européenne peut-on ou doit-on envisager pour maintenir sa capacité d'action, protéger ses valeurs fondamentales, renforcer sa résilience et la rapprocher des citoyens européens, dans la perspective d'un possible élargissement mais aussi dans le prolongement de la conférence sur l'avenir de l'Europe ?

Je tiens à préciser, pour y avoir représenté le Sénat avec ma collègue Gisèle Jourda, que, paradoxalement, le sujet de l'élargissement n'a quasiment pas été abordé dans les travaux de cette conférence.

Après plusieurs mois de travaux, vous avez présenté, le 18 septembre dernier, vos conclusions et propositions dans un rapport au titre bien choisi : « Naviguer en haute mer : réforme et élargissement de l'Union européenne au XXIe siècle ». Il a été transmis aux membres de notre commission. Je précise que vous avez travaillé en toute indépendance et que vos propositions n'engagent pas les gouvernements français et allemand.

Si nous avons souhaité vous entendre, c'est parce que notre commission a la conviction que ce sujet de l'élargissement de l'Union européenne et de la nécessaire réforme de l'Union à mener au préalable s'impose comme l'enjeu majeur des prochaines élections européennes de juin 2024 - mais je ne sais pas si tout le monde en a conscience.

Votre audition, tombe, heureuse coïncidence, le jour même où les eurodéputés doivent adopter eux aussi leurs propositions de réformes de l'Union européenne, préparées par cinq rapporteurs, dont quatre Allemands, il faut le relever.

Nous sommes donc particulièrement intéressés d'échanger aujourd'hui avec vous sur les conclusions de votre rapport, qui portent sur des pistes pour assurer à la fois l'avenir des politiques européennes et un fonctionnement efficace des institutions européennes - qu'il s'agisse de l'effectif de la Commission européenne, du système décisionnel au sein du Conseil ou encore de la composition du Parlement européen.

Il s'agit de propositions innovantes : par de nombreux aspects, votre rapport présente le mérite de « sortir des sentiers battus ». Audacieux, il n'en est pas moins réaliste. Je pense, en particulier, à vos propositions pour rendre acceptable une extension du vote à la majorité qualifiée, en créant un « filet de sécurité pour la souveraineté », voire la possibilité d'un opt-out. Réaliste aussi, l'idée d'une intégration différenciée, avec une Europe à quatre cercles au moins : un noyau restreint, l'Union européenne, les membres associés puis la Communauté politique européenne.

Cela rejoint nos propres réflexions sur l'intérêt du recours à la différenciation. Je vous renvoie à ce sujet au rapport d'information sur les suites de la conférence sur l'avenir de l'Europe que ma collègue Gisèle Jourda et moi-même avons soumis à notre commission, qui l'a adopté en juillet dernier. En effet, dans une Europe à 27 aujourd'hui - et peut-être à 35 demain, voire plus -, tous les États ne voudront et ne pourront pas progresser au même rythme et il sera indispensable de permettre à ceux qui le veulent d'aller plus loin dans la voie de l'intégration, comme cela a été le cas avec l'euro ou Schengen.

En même temps, il faudra rendre substantielle l'intégration dans le club européen pour d'autres États, en utilisant des flexibilités leur permettant de participer par étapes à certaines des politiques européennes, c'est-à-dire en les accueillant dans chaque pièce de l'édifice européen, l'une après l'autre. Mais cette différenciation doit être encadrée et obéir à des principes garantissant l'unité européenne : à cet égard, vos propositions méritent toute notre attention.

Votre rapport a aussi l'intérêt de présenter plusieurs options possibles pour modifier les traités, en tenant compte notamment des réserves de nombreux États membres à se lancer dans une révision des traités, tant l'incertitude est grande, à la fois sur le fruit qui résulterait d'un tel processus de révision et sur la capacité des États membres à faire chacun ratifier ladite révision.

Je relève enfin votre insistance sur le respect des valeurs communes et de l'État de droit, tant en ce qui concerne les membres actuels de l'Union européenne que les candidats à l'adhésion. J'aimerais savoir comment, en votre qualité de juristes, vous appréhendez cette notion d'État de droit : citée parmi les valeurs de l'Union à l'article 2 du traité, cette notion n'a pas de définition juridique précise. Pourtant, c'est en référence à l'État de droit qu'a été construit le mécanisme de conditionnalité budgétaire qui est basé sur l'article 7 du traité et que vous suggérez d'étendre. C'est aussi sur son fondement que les institutions européennes justifient un contrôle de plus en plus étroit des politiques menées par les États membres - je pense au rapport annuel que la Commission publie sur l'État de droit depuis quatre ans. Quel jugement portez-vous sur ces évolutions ?

Enfin, je voudrais regretter que la place des Parlements nationaux n'ait pas été mieux reconnue dans votre rapport. Vous évoquez la création d'une chambre commune des cours et tribunaux suprêmes de l'Union pour les inciter à mieux dialoguer, mais les chambres parlementaires nationales restent les grandes oubliées de votre rapport, alors qu'elles ont à mon sens un rôle important à jouer pour rapprocher l'Union européenne des citoyens.

Madame le professeur, monsieur le professeur, je vous laisse maintenant la parole, dans l'ordre qui aura votre préférence, pour présenter votre travail, avant de répondre aux questions de mes collègues.

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